Burundi
«<i>Désamorcer la bombe foncière</i>»
Plus d’un Burundais sur six est réfugié à l’extérieur de son pays ou déplacé à l’intérieur des frontières, loin de sa maison et de ses terres. Et cela, parfois depuis des décennies. Aujourd’hui encore, l’insécurité perdure, malgré l’accord de paix signé le 8 octobre dernier à Pretoria entre le gouvernement et le principal mouvement armé, les Forces pour la défense de la démocratie (FDD). Mais les Burundais veulent croire la réconciliation nationale en marche et le retour sur les collines natales possibles. Rapatriement et réinstallation sont d’ailleurs la condition sine qua non et le ciment de la paix. Mais en quarante ans de turbulences politico-militaires, maisons et terres ont changé de main. Pour éviter de nouveaux casus belli, il est urgent et crucial de préparer le retour des absents spoliés, sans pour autant «jeter à la rue» les occupants illégaux, comme l’explique l’organisation indépendante International crisis group (ICG), dans son rapport intitulé : «Réfugiés et déplacés au Burundi: désamorcer la bombe foncière» (www.crisisweb.org)
1962, 1965, 1972, 1993, l’histoire sanglante du Burundi a chassé de leurs maisons et de leurs terres des flux de réfugiés. Ils sont issus de la communauté hutu dans leur écrasante majorité. Ils ont fui pour la plupart en Tanzanie où ils seraient plus de 500 000 entassés dans des camps du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) et au moins 300 000 dispersés dans des villages improvisés. Dans tous les cas, ils survivent dans la plus grande précarité et, pour certains d’entre eux, sont en exil depuis des générations. A ces réfugiés à l’extérieur s’ajoutent des dizaines de milliers de déplacés, à l’intérieur des frontières burundaises, tout particulièrement depuis 1993. De nombreux paysans tutsi aussi connaissent l’infortune de leurs compatriotes hutu. 286 000 tutsi sont recensés dans 226 camps de fortune qu’ils n’ont guère quittés depuis 1993.
ICG rappelle qu’en juin 1993, la victoire électorale du Front démocratique burundais (Frodebu) avait sonné l’heure du retour pour quelque 50 000 réfugiés de 1972, rassurés par l’avènement du premier président hutu du pays, Melchior Ndadaye et spontanément revenus au pays. «La première préoccupation des rapatriés hutu», écrit ICG, «avait été de retrouver leur propriété familiale et d’en expulser les occupants tutsi». L’ancien parti unique, l’Union pour le progrès national (Uprona) s’était alors appuyé sur la hantise tutsi des expulsions pour mobiliser ses troupes dans des manifestations qui ont «fortement contribué à la dégradation de la situation politique qui aboutit à l’assassinat du président Ndadaye, le 21 octobre 1993».
Spoliations en tous genres
Selon ICG, tous les réfugiés et les déplacés ont pu, toutes communautés confondues, être spoliés d’une manière ou d’une autre dans ce tout petit pays de 26 650 kilomètres carrés dont 90% de la population vit, plutôt mal que bien, d’une agriculture de subsistance en perte de vitesse, la pression démographique sur une terre en voie d’érosion et d’appauvrissement ne cessant de grandir. Dans ces conditions, ceux qui sont restés au pays ne sont pas forcément plus justement lotis que les réfugiés. D’ailleurs, ajoute ICG, la troisième communauté nationale, celle des «Batwa sans terre devrait recevoir des parcelles» car, au total, il en va de la paix, mais aussi de «la survie de centaine de milliers de paysans lésés dans leurs droits et sans autre perspective économique, à moyen terme, que la production vivrière».
Du côté des «profiteurs», les spoliations ont pris selon les époques des tournures diverses même si la condition minimale a toujours été de recevoir l’agrément des autorités en place. En 1972, par exemple, sous Michel Micombero, l’auteur des premières grandes purges qui ont frappé l’intelligentsia hutu, l’Etat avait redistribué sans autre forme de procès les terres de centaines de milliers de Hutu, morts ou en exil. Mais dans la même période, certaines sociétés publiques de développement rural ont aussi saisi et aménagé des terres privées pour les replanter en palmeraies par exemple, redistribuant ensuite arbitrairement des parcelles. Des terres accaparées indûment ont également été revendues. Plus tard, en 1976, le tombeur de Micombero, le colonel Jean-Baptiste Bagaza, avait affiché sa volonté de mettre fin aux spoliations. Mais il a au contraire pris des décrets qui ont permis aux aigrefins de dépouiller «légalement» certains propriétaires en leur imposant un partage foncier avec leur «occupant illégal».
Entre autres formules concoctées pour accaparer des terres, ICG relève notamment le code foncier de 1986 qui joue au profit des spoliateurs des classifications en terres domaniales ou immatriculées, soumises soit au droit écrit soit au droit coutumier. L’organisation relève aussi l’immensité du domaine foncier ecclésiastique, le dévoiement de projets financés par des aides extérieures et l’accumulation foncière dans les hautes sphères du pouvoir civil et militaire. Au total, c’est une véritable «curée» foncière qui a submergé ce pays rural où déjà «80% des litiges» concernent la propriété foncière ou le droit d’usage de terres. Le problème s’est encore envenimé depuis 1993. Mais il constitue depuis toujours un enjeu politique majeur.
Au Burundi plus qu’ailleurs, on se tue pour un conflit de clôture. Chaque départ en exil a été officiellement considéré comme un aveu de culpabilité et comme un permis d’occuper pour les tenants des pouvoirs tutsi. En retour, la revendication foncière a été un argument fondateur pour un parti ethniste comme le Parti pour la libération du peuple hutu (palipehutu). Aujourd’hui encore, sa branche armée (les Forces nationales de libération) continue farouchement de lutter contre le pouvoir de transition (dirigé depuis mai dernier par un président hutu). Nul doute que la réintégration réussie des exilés hutu lui couperait définitivement l’herbe sous les pieds. Mais pour le moment, rien n’augure un succès quelconque en la matière.
Parmi ses recommandations d’usage, ICG presse le gouvernement de transition d’organiser et de légiférer sur la réinstallation dans le détail. Elle suggère même de remettre en vigueur au niveau local les commissions traditionnelles de sages, les bashingantahe et de prévoir aussi bien des critères de compensations pour les familles expropriées que le montant des réparations pour ceux qui ne pourraient pas réintégrer leurs anciennes propriétés. Dans ce pays aux innombrables veuves, ICG propose aussi de «s’assurer notamment de la reconnaissance explicite du droit des femmes à la propriété foncière».
L’accord de paix d’Arusha ayant prévu en 2000 la création d’une Commission pour la réhabilitation des sinistrés, ICG juge important de réserver des sièges aux représentants de la rébellion qui avaient boycotté le cénacle tanzanien. Enfin, les bailleurs de fonds aussi sont sollicités parce qu’il n’y aura pas de réinstallation réussie sans moyens pour cultiver et récolter. La tâche est colossale, c’est ni plus ni moins tout l’univers rural burundais qu’il s’agit de reconstruire, dans l’équité et l’espoir d’un mieux-vivre ensemble, toutes communautés confondues.
ICG rappelle qu’en juin 1993, la victoire électorale du Front démocratique burundais (Frodebu) avait sonné l’heure du retour pour quelque 50 000 réfugiés de 1972, rassurés par l’avènement du premier président hutu du pays, Melchior Ndadaye et spontanément revenus au pays. «La première préoccupation des rapatriés hutu», écrit ICG, «avait été de retrouver leur propriété familiale et d’en expulser les occupants tutsi». L’ancien parti unique, l’Union pour le progrès national (Uprona) s’était alors appuyé sur la hantise tutsi des expulsions pour mobiliser ses troupes dans des manifestations qui ont «fortement contribué à la dégradation de la situation politique qui aboutit à l’assassinat du président Ndadaye, le 21 octobre 1993».
Spoliations en tous genres
Selon ICG, tous les réfugiés et les déplacés ont pu, toutes communautés confondues, être spoliés d’une manière ou d’une autre dans ce tout petit pays de 26 650 kilomètres carrés dont 90% de la population vit, plutôt mal que bien, d’une agriculture de subsistance en perte de vitesse, la pression démographique sur une terre en voie d’érosion et d’appauvrissement ne cessant de grandir. Dans ces conditions, ceux qui sont restés au pays ne sont pas forcément plus justement lotis que les réfugiés. D’ailleurs, ajoute ICG, la troisième communauté nationale, celle des «Batwa sans terre devrait recevoir des parcelles» car, au total, il en va de la paix, mais aussi de «la survie de centaine de milliers de paysans lésés dans leurs droits et sans autre perspective économique, à moyen terme, que la production vivrière».
Du côté des «profiteurs», les spoliations ont pris selon les époques des tournures diverses même si la condition minimale a toujours été de recevoir l’agrément des autorités en place. En 1972, par exemple, sous Michel Micombero, l’auteur des premières grandes purges qui ont frappé l’intelligentsia hutu, l’Etat avait redistribué sans autre forme de procès les terres de centaines de milliers de Hutu, morts ou en exil. Mais dans la même période, certaines sociétés publiques de développement rural ont aussi saisi et aménagé des terres privées pour les replanter en palmeraies par exemple, redistribuant ensuite arbitrairement des parcelles. Des terres accaparées indûment ont également été revendues. Plus tard, en 1976, le tombeur de Micombero, le colonel Jean-Baptiste Bagaza, avait affiché sa volonté de mettre fin aux spoliations. Mais il a au contraire pris des décrets qui ont permis aux aigrefins de dépouiller «légalement» certains propriétaires en leur imposant un partage foncier avec leur «occupant illégal».
Entre autres formules concoctées pour accaparer des terres, ICG relève notamment le code foncier de 1986 qui joue au profit des spoliateurs des classifications en terres domaniales ou immatriculées, soumises soit au droit écrit soit au droit coutumier. L’organisation relève aussi l’immensité du domaine foncier ecclésiastique, le dévoiement de projets financés par des aides extérieures et l’accumulation foncière dans les hautes sphères du pouvoir civil et militaire. Au total, c’est une véritable «curée» foncière qui a submergé ce pays rural où déjà «80% des litiges» concernent la propriété foncière ou le droit d’usage de terres. Le problème s’est encore envenimé depuis 1993. Mais il constitue depuis toujours un enjeu politique majeur.
Au Burundi plus qu’ailleurs, on se tue pour un conflit de clôture. Chaque départ en exil a été officiellement considéré comme un aveu de culpabilité et comme un permis d’occuper pour les tenants des pouvoirs tutsi. En retour, la revendication foncière a été un argument fondateur pour un parti ethniste comme le Parti pour la libération du peuple hutu (palipehutu). Aujourd’hui encore, sa branche armée (les Forces nationales de libération) continue farouchement de lutter contre le pouvoir de transition (dirigé depuis mai dernier par un président hutu). Nul doute que la réintégration réussie des exilés hutu lui couperait définitivement l’herbe sous les pieds. Mais pour le moment, rien n’augure un succès quelconque en la matière.
Parmi ses recommandations d’usage, ICG presse le gouvernement de transition d’organiser et de légiférer sur la réinstallation dans le détail. Elle suggère même de remettre en vigueur au niveau local les commissions traditionnelles de sages, les bashingantahe et de prévoir aussi bien des critères de compensations pour les familles expropriées que le montant des réparations pour ceux qui ne pourraient pas réintégrer leurs anciennes propriétés. Dans ce pays aux innombrables veuves, ICG propose aussi de «s’assurer notamment de la reconnaissance explicite du droit des femmes à la propriété foncière».
L’accord de paix d’Arusha ayant prévu en 2000 la création d’une Commission pour la réhabilitation des sinistrés, ICG juge important de réserver des sièges aux représentants de la rébellion qui avaient boycotté le cénacle tanzanien. Enfin, les bailleurs de fonds aussi sont sollicités parce qu’il n’y aura pas de réinstallation réussie sans moyens pour cultiver et récolter. La tâche est colossale, c’est ni plus ni moins tout l’univers rural burundais qu’il s’agit de reconstruire, dans l’équité et l’espoir d’un mieux-vivre ensemble, toutes communautés confondues.
par Monique Mas
Article publié le 27/10/2003