Burundi
Vers une prolongation de la transition ?
(Photo: AFP)
(Photo: AFP)
Face au FDD qui refusent le report des élections, Domitien Ndayizeye invoque justement des questions militaires qui concernent directement l’ancienne rébellion. Il pose en effet comme préalable aux élections «l'intégration des ex-rebelles dans la nouvelle armée», ajoutant que «au minimum, les mouvements armés qui veulent participer aux élections ne doivent plus avoir de combattants sous leurs ordres». Avec ces déclarations, le président Ndayizeye paraît remettre en cause la priorité affichée de son parti, le Frodebu, dont le mot d’ordre principal à toujours été de restaurer au plus vite l’ordre institutionnel balayé par l’assassinat en octobre 1993 du présent Melchior Ndadaye issu de ses rangs. Il est vrai que dans la guerre civile qui a suivi, le Frodebu n’a pas fait le choix de la lutte armée dans laquelle se sont engagés ceux de ses militants qui ont formé les FDD. Aujourd’hui, l’intégration des anciens combattants FDD dans la nouvelle armée nationale constitue un double enjeu, politique autant que militaire, dans lequel les adversaires historiques que sont le Frodebu et l’Uprona ont des raisons symétriques de s’inquiéter du rééquilibrage des forces en cours.
L'intégration militaire modifie les équilibres communautaire et politique
L’accord de paix d’Arusha prévoyait de former la future armée nationale avec 60% d’officiers provenant de l’armée gouvernementale et 40% issus des rébellions armées. Au niveau des troupes, les proportions avaient été fixées à 50-50. Pour le moment, alors que les FNL poursuivent leur combat et en dehors de groupuscules armés aux effectifs peut notables, les FDD constituent le gros des bataillons qui vont permettre la mise en œuvre de la nouvelle répartition militaire. Celle-ci se traduit finalement par une «intégration» de leurs anciens combattants dans l’ex-armée gouvernementale et non point par une véritable fusion des anciennes forces en présence. L’arrivée de gradés et de soldats FDD hutu dans l’armée à majorité tutsi va profondément modifier les proportions communautaires. C’est ainsi que l’entendait d’ailleurs Arusha. Mais ce qui ne l’était pas vraiment, c’est qu’il va aussi influer sur l’équilibre politique dominé jusqu’ici par les deux grands partis historiques que sont l’Uprona et le Frodebu.
La nouvelle configuration militaire avait, entre autre, vocation à réduire l’hégémonie de l’Uprona qui avait l’armée pour pilier principal. Cela répondait aux vœux du Frodebu chassé du pouvoir manu militari. Reste que le Frodebu de Domitien Ndayizeye n’a rien à gagner d’une armée, certes «moins tutsi» mais «davantage FDD». Chacun soupèse donc ces paramètres qui ne manqueront pas d’influer sur le rapport des forces de «l’après-transition». D’autant qu’il faudra démobiliser en quatre ans (selon les prévisions actuelles) les deux-tiers des quelque 70 000 hommes que la nouvelle armée pourrait devoir absorber pour éviter des turbulences immédiates. Pour sortir de cette «paix armée», le chemin est encore long avant de parvenir au cantonnement de tous les porteurs de fusils et au ramassage de toutes les armes en circulation au Burundi, mais aussi au Congo voisin, où certains rebelles avaient leurs quartiers retranchés, compliquant un peu plus la situation dans une région domino où la paix peine à s’installer.
De sources onusiennes, l’armée gouvernementale compterait aujourd’hui quelque 45 000 hommes et les FDD 25 000. Les FNL n’en auraient que 3 000. Mais des effets de vases communicants sont à attendre selon l’intérêt que les uns ou les autres trouveront dans le statut d’ancien-combattant. L’Opération des Nations unies au Burundi (Onub) a mission de gérer ces questions. Créée le 21 mai par le Conseil de sécurité, elle comprendra 5.650 casques bleus. Le 2 juin, elle a déjà intégré les 2 612 soldats éthiopiens, sud-africains et mozambicains de la Mission africaine au Burundi (Miab), le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, invitant fort à propos les Burundais à « répondre aux premières urgences que sont la préparation d'élections, le désarmement et la démobilisation des combattants ainsi que la réforme du secteur sécuritaire».
Pour leur part, les FDD haussent le ton, leur secrétaire général, Hussein Radjabu, se faisant même menaçant. «A la fin de ce mandat», qui échoit normalement le 31 octobre, dit-il, «les FDD ne seront plus partenaires de ceux qui veulent se perpétuer au pouvoir». En la matière, les FDD jettent dans un même sac le président hutu Domitien Ndayizeye, son Frodebu, son vice-président tutsi et l’Uprona qu’il dirige, mais aussi leurs partis satellites respectifs, tous partisans d’une prolongation de la transition, dans la perspective d’une reconquête du pouvoir ou plus médiocrement d’une perpétuation de la rente alimentaire que constitue la transition et son partage des fauteuils. Mais là aussi, la partie se joue de manière contradictoire, Domitien Ndayizeye ayant intérêt à donner au Frodebu l’avantage d’une présidence de la transition couronnée du seul succès qui vaille aux yeux des électeurs burundais : la concrétisation d’une paix durable. Or cela, il ne peut pas non plus l’obtenir sans l’adhésion de la concurrence FDD.
Depuis le 25 mai, le président sud-africain, Thabo Mbeki, tente en vain de convaincre les Burundais de s’entendre sur le calendrier électoral. Ils lui avaient promis de faire de nouveaux efforts dans ce sens à leur retour à Bujumbura, le 1er juin, sans plus de succès. Pour sa part, le FDD estime que «la solution ne pourra venir que du sommet des chefs d'Etat prévu samedi à Dar-es-Salaam en Tanzanie» et qui doit faire le bilan de la transition vers la paix, à moins de six mois de son échéance. De son côté, le vice-président sud-africain, Jacob Zuma, promet d’essayer d’amener les dirigeants des FNL à la table des négociations. Des invitations au sommet de Dar-es-Salaam ont été envoyées à de nombreux chefs d’Etat africains (Zambie, République démocratique du Congo, Kenya, Mozambique, Ethiopie, Gabon) mais aussi à l'Union africaine, l'Union européenne et bien sûr l’Onu. Le calendrier électoral ne manquera pas d’être au menu puisque tout le dispositif de la transition est le fruit d’une médiation régionale dont la stratégie a été jusqu’à présent d’avancer à petit pas en coupant la poire en deux, lorsque c’était possible. Le médiateur sud-africain s’y risquera peut-être.
par Monique Mas
Article publié le 03/06/2004 Dernière mise à jour le 04/06/2004 à 10:18 TU