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Burundi

La paix s’installe

Après dix ans de guerre, l’heure est à l’apaisement au Burundi depuis l’entrée au gouvernement des rebelles hutus des Forces pour la défense de la démocratie (FDD). La plupart des provinces profitent de cette accalmie, tandis que se profile déjà la campagne pour les élections, qui pourraient avoir lieu dès la fin de l’année. Mais un dernier groupe rebelle jusqu’au-boutiste, les Forces nationales de libération (FNL), refusent pour l’instant de déposer les armes et continuent de combattre contre le nouveau front commun formé par l’armée régulière et les FDD.
De notre envoyée spéciale

Debout à l’arrière d’une camionnette, une quinzaine d’anciens rebelles lancent le poing tendu vers la population locale venue les acclamer sur le bord de la route. Un large sourire éclairant leur visage, ils tendent de l’autre main leur arme vers le ciel en criant «intsinzi !» (victoire !). Devenus gardes du corps, ces ex-rebelles des FDD (Forces pour la défense de la démocratie), qui se battaient il y a trois mois encore contre l’armée régulière, paradent aujourd’hui à travers le pays. Les «Zoulous», comme les surnomment leurs sympathisants, escortent à présent Pierre Nkurunziza, ancien chef de la rébellion hutue, devenu ministre de la Bonne gouvernance.

C’est la première tournée à l’extérieur de la capitale du nouveau ministre d’État, entré en fonction au mois de décembre. Une tournée qui ressemble déjà au lancement d’une campagne électorale ; les premières élections présidentielle et législatives devraient avoir lieu avant la fin de l’année. A Nyamurenza, dans le nord du pays, d’où l’on aperçoit les collines du Rwanda, tout le village semble s’être déplacé vers l’école. L’ancien rebelle y prononce un discours. Tambours du Burundi, danses traditionnelles : tout est prévu pour faire de ce rendez-vous un symbole de paix, malgré la cohorte de combattants qui l’accompagne. «Nous sommes heureux de le voir avec ses hommes, la guerre est enfin finie !», s’exclame Audace, un jeune homme, qui écoute de loin le nouveau ministre. «Je suis venu vous dire que c’est la paix, hurle ce dernier à travers un porte-voix, nous allons construire ensemble un nouveau pays !». D’un signe de la tête, Audace acquiesce, sans toutefois cacher son scepticisme : «Vous voyez cette école, la plupart des murs sont détruits et il n’y a pas assez de professeurs. Le gouvernement va avoir du travail». Car en plus des 300 000 morts, dont certains massacrés dans des conditions atroces par les hommes de Nkurunziza ou par l’armée, les dix ans de guerre ont fait de très nombreux dégâts aux infrastructures et à la vie économique du pays. Écoles, hôpitaux, centres de santé et routes portent les séquelles des combats.

Retour des réfugiés

L’apaisement de la situation touche également Muyinga, petite ville du nord-est du Burundi, à la frontière tanzanienne. Cinq cents réfugiés sont arrivés aujourd’hui. Des femmes et des enfants surtout, habillés de loques et l’air exténué, mais qui sourient à la vue des ex-rebelles venus poursuivre ici leur campagne. «Je ne sais pas dans quel état je vais retrouver ma maison, je ne sais pas où est mon mari, mais je suis sûre que je vais pouvoir cultiver un petit bout de terre chez moi, pour nourrir mes enfants, maintenant que la paix est revenue», confie Sylvie, une jeune femme de 26 ans, alors que son bébé lui tète le sein. Elle a quitté le pays en 1996, lorsque les combats faisaient rage dans sa région d’origine. Voir les anciens combattants accompagnés d’un responsable local, affilié à un parti opposé, lui donne de l’espoir : «Beaucoup de personnes m’encourageaient à rentrer depuis longtemps, mais c’est seulement quand j’ai entendu à la radio que les rebelles étaient arrivés à Bujumbura que j’ai pris mon courage à deux mains !», poursuit la jeune femme à qui le Pam (le Programme alimentaire mondial) s’apprête à donner un sac de vivres pour faciliter sa réinstallation. Une vague massive de retours – il reste officiellement 320.000 réfugiés burundais en Tanzanie – est attendue par le HCR, le Haut Commissariat aux réfugiés, qui prépare un programme d’encadrement spécial.

Mais la vue des anciens rebelles est certainement plus émouvante encore pour les habitants de Bujumbura rural, toujours en proie à des combats. Scène inédite pour la population de Mubimbi, dans le nord de la province : les FDD et l’armée, hier encore ennemis, lancent des opérations conjointes contre la dernière rébellion non signataire d’un accord, les FNL (Forces nationales de libération), dont Bujumbura rural est le fief. «Je crois encore à un rêve !», s’enthousiasme Nestor. «Voir les FDD et l’armée partager une bière, bavarder et rire ensemble, jamais je n’aurais cru cela possible», poursuit-il en indiquant du regard les combattants effectivement attablés ensemble à quelques mètres de là. Seul l’uniforme les distingue : le vert kaki des FDD et le vert «camouflage» des militaires. Agé de 21 ans, Nestor est un déplacé. Une situation fréquente pour les habitants de Bujumbura rural. Le jeune homme a fui il y a un mois les combats de son petit village d’origine perché sur les hauteurs. S’il s’estime confiant aujourd’hui, son arrivée à Mubimbi n’a pas été facile : «Les FDD nous soupçonnent d’être des rebelles en civil, parce que nous avons soutenu les FNL pendant la guerre. Ils nous ont parfois maltraités pour avoir des informations, mais maintenant ça va un peu», affirme-t-il souriant. Plus haut dans les collines, tapissées de palmiers et de bananiers, les populations plus fragiles n’ont pu se réfugier jusqu’au site de déplacés de Mubimbi. Dans la commune d’Isale par exemple, des coups de feu viennent de retentir. Une vieille femme boitant, des suites d’une blessure par balle mal soignée, est hébergée dans un centre de santé. Elle accompagne sa fille sur le point d’accoucher dans des conditions sanitaires déplorables. D’ici, la vue est spectaculaire sur la capitale et le lac Tanganyika, mais la situation des populations est loin d’y être aussi apaisée. Les militaires et les ex-rebelles, aujourd’hui réunis, ont repoussé pour cette fois l’attaque des FNL, mais pour combien de temps ?



par Pauline  Simonet

Article publié le 27/01/2004

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