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Burundi

Le nord du pays a faim

La famine menace dans la province de Karuzi, au nord du Burundi. Selon Médecins sans frontières (MSF) et le Programme alimentaire mondial (PAM), une action urgente est nécessaire pour éviter que la pénurie alimentaire actuelle ne prenne des proportions plus graves.
De notre envoyé spécial au Burundi

En l'espace d'un mois, les admissions d'enfants sévèrement malnutris dans les centres nutritionnels de la province de Karuzi, dans le nord du Burundi, ont été multipliées par deux. Parmi ces 19.000 malheureux dont le nombre augmente tous les jours, la mortalité serait de 12%. Ainsi, au terme de deux ans de sécheresse, le «pays du lait et du miel» a vu ce que, jamais, personne ici n'aurait cru possible: des enfants squelettiques amenés par des mères à bout de force dans les centres nutritionnels.

«Nous assistons en ce moment même à une aggravation très sévère de la situation. Les gens qui se trouvaient jusqu'ici dans leurs collines difficiles d'accès sont en train d'en descendre. Ils sont en très mauvais état. Chacun des centres que nous ouvrons est saturé en deux jours», témoigne Laurence Sailly, coordinatrice à Karuzi pour Médecins sans frontières (MSF). Depuis deux ans, en effet, les récoltes ont été insignifiantes, et les récentes pluies qui se sont abattues avec violence sur la province n'ont fait que détruire une partie des semailles.

Aujourd'hui, le nord du Burundi a faim. A Karuzi, d'abord, mais aussi dans les provinces avoisinantes: «Un quart au moins des enfants que nous admettons ici viennent de Ngozi ou de Muyinga», explique Laurence Sailly. Certes, comme le fait valoir le responsable pays du Programme alimentaire mondial (PAM): «On ne meurt pas de faim en masse au Burundi. Il y a dans le nord une situation sérieuse qui exige un effort important de notre part pour distribuer des vivres dans toute cette partie du pays, et au plus vite, mais il ne s'agit en rien d'un désastre national.»

Le PAM a néanmoins mobilisé toutes ses ressources et insiste actuellement auprès des bailleurs de fonds pour obtenir que des milliers de tonnes supplémentaires de nourriture parviennent au Burundi. Idéalement, estiment les spécialistes des Nations unies, 19.000 tonnes seraient nécessaires chaque mois pour tuer dans l'oeuf une disette qui, si elle n'est pas maîtrisée, risque alors de se transformer en famine aux effets plus graves encore.

Les raisons d'une disette annoncée

La disette dans le nord n'aura surpris que les imprévoyants. Depuis plusieurs années, en effet, la région s'enfonce dans des difficultés croissantes. Certes, la sécheresse qui a frappé l'année dernière pratiquement un quart du continent, surtout dans la Corne, affecte sérieusement le Burundi comme du reste le sud du Rwanda voisin. Mais la province de Karuzi, l'une des plus déshéritées du pays, située dans ce que les Burundais nomment eux-mêmes «le tiers monde», est surtout en difficulté depuis l'épisode sanglant de 1993. Cette année-là, l'assassinat du président avait donné lieu à des tueries à vaste échelle de Hutus et de Tutsis assorties.

A Karuzi, effectivement, on a beaucoup tué, puis la guerre civile entre la rébellion hutue et l'armée, à dominante tutsie a continué de plonger la région dans le chaos. L'organisation de «camps de regroupements» par l'armée pour couper la rébellion de ses bases jusque en 1998, a terminé de ruiner les cultures. Karuzi, qui vivotait depuis, a alors pris de plein fouet la suite de calamités des deux dernières années. Une sécheresse sérieuse, pour commencer puis, amenée sans doute par l'élévation globale des températures, une prolifération de moustiques qui a ouvert la voie à une épidémie de paludisme d'une intensité jamais vue au Burundi.

A l'échelle nationale, on estime que près de trois millions de personnes sont impaludées, faisant de la maladie «le premier problème de santé public» du pays. Le paludisme a multiplié dramatiquement les effets du manque de nourriture, les enfants des collines, anémiés par le parasite, devenant des cibles de choix pour la malnutrition. Or, cette épidémie est aussi liée, en partie, aux désordres de la guerre civile. Les problèmes de sécurité et les déplacements ont poussé les habitants à développer de nouvelles formes de culture dans les marais, riz et produits maraîcher, qui forment de véritables réservoirs pour les moustiques.




par Jean-Philippe  REMY

Article publié le 19/02/2001