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Délocalisations : la guerre entre pays du Sud

Usine textile en Chine. La main d’œuvre chinoise est cinq fois meilleur marché que les salariés mexicains.  

		(Photo: AFP)
Usine textile en Chine. La main d’œuvre chinoise est cinq fois meilleur marché que les salariés mexicains.
(Photo: AFP)
La course aux coûts les plus bas ne concerne pas seulement les pays développés, touchés par les délocalisations d’entreprises. Entre pays en développement, aussi, une surenchère s’est instaurée en faveur des pays les «moins-disants» salariaux.

En Europe, la recherche, par les entreprises, de coûts de production les plus bas possibles est à l’origine, surtout depuis l’entrée des pays d’Europe centrale et orientale dans l’Union, de délocalisations ouest-est. A tel point que le gouvernement français envisage de prendre en 2005 des mesures pour tenter d’enrayer le phénomène. Celui-ci n’est pas nouveau et depuis une vingtaine d’années déjà des groupes français ou allemands se sont implantés en Asie et en Afrique du Nord.

Toutefois, plus récemment, la menace de délocaliser est utilisée par les entreprises pour revenir sur des avantages acquis par les salariés. Ce «chantage», dénoncé par les syndicats, est amorcé des deux cotés du Rhin où les groupes Siemens, en Allemagne et Bosch, en France, sont parvenus à négocier avec les organisations syndicales de renoncer à délocaliser contre l’augmentation de la durée hebdomadaire du travail. D’autres entreprises, moins connues, moins en vue, suivent chaque jour le même chemin.

Le patron de Siemens, Heinrich von Pierer, théorise même cette politique en invitant les entrepreneurs allemands à s’engager encore davantage en Asie et conseille à ses compatriotes de s’inspirer des Chinois qui, eux, travaillent «comme des fanatiques».

Au Mexique, 474 usines fermées

Il est cependant d’autres régions du monde où les délocalisations vers des pays à moindres coûts salariaux ne sont plus une menace mais bien une réalité. C’est le cas du Mexique, pays en développement qui a longtemps été la destination privilégiée des délocalisations d’entreprises venues des Etats-unis. Depuis 2001 les maquiladoras, ces entreprises de sous-traitance des sociétés étrangères, situées tout le long de la frontière sud des Etats-Unis, sont touchées de plein fouet par des fermetures de sites. La main d’œuvre chinoise est en effet cinq fois meilleur marché que les salariés mexicains et, entre 2001 et 2003, 474 usines ont fermé supprimant plus de 220 000 emplois. Au plus fort de leur activité les maquiladoras employaient 1,3 millions de Mexicains dans les zones franches qui leur étaient spécialement destinées.

Le Guatemala, l’un des pays les plus pauvres de la planète, fait état pour les sept premiers mois de 2004 de plus de vingt fermetures d’entreprises du même type et du licenciement de 3 800 personnes. Ces sous-traitants emploient 140 000 salariés au Guatemala et une augmentation récente du salaire minimum a incité nombre d’entre eux à s’installer au Nicaragua où les rémunérations sont encore plus faibles.

Dès 2002 le ministre mexicain de l’Economie Luis Ernesto Derbez jugeait ces usines condamnées à terme car incapables de rivaliser avec la Chine ou l’Inde. Mais il se prononçait pour l’abandon des secteurs économiques où seul compte le coût de la main d’œuvre pour développer une industrie intégrant plus de capital et de technologie. Certains s’interrogent aussi sur l’intérêt de maintenir à flot contre vents et marées ces entreprises constamment dénoncées par les organisations syndicales et les ONG pour infractions aux droits fondamentaux des travailleurs.

Maghreb et Turquie tentent de riposter

Pour les «bénéficiaires» des délocalisations aussi des questions se posent. Françoise Lemoine, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) à Paris, souligne que pour entrer à l’OMC la Chine a dû s’ouvrir aux investissements étrangers et que cette libéralisation n’est pas sans conséquences sur la restructuration du marché intérieur chinois. La Chine devrait se spécialiser encore davantage dans les secteurs où elle est la plus compétitive, c’est-à-dire les industries à forte intensité de main d’œuvre dont, au premier rang, le textile. Ainsi, elle pourrait représenter d’ici peu environ 20% des exportations mondiales de vêtements. Ce secteur maintiendra une importante créations d’emplois peu qualifiés et mal payés. En revanche les grandes productions agricoles (blé, riz, maïs) vont pâtir de la concurrence étrangère et aggraver la condition des ruraux.

Les pays du pourtour de la Méditerranée, traditionnellement en contacts économiques étroits avec l’Europe, craignent tout autant la concurrence des produits asiatiques. Déjà, ils doivent absorber le choc de l’entrée dans l’Union européenne de pays moins développés et sur le même créneau qu’eux pour certains produits. Face à la menace chinoise ces pays dits Euromed, les pays de l’Union européenne et les pays qui lui sont associés par des accords spécifiques depuis 1995 (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Jordanie, Palestine, Liban, Syrie, Turquie),, tiendront d’ici la fin 2004 une conférence axée sur le textile et l’habillement afin d’organiser la riposte.



par Francine  Quentin

Article publié le 13/08/2004 Dernière mise à jour le 13/08/2004 à 13:44 TU