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Burundi

Les Banyamulenge congolais sacrifiés sur l’autel des Grands lacs

Les funérailles des victimes du massacre de Gatumba ont eu lieu lundi. 

		(Photo : AFP)
Les funérailles des victimes du massacre de Gatumba ont eu lieu lundi.
(Photo : AFP)
Les quelque 160 morts de Gatumba ont été inhumés lundi après-midi à l’écart de leur terres natales congolaises, en territoire burundais, non loin du camp de réfugiés attaqué le 13 août. Seul, le dernier groupe armé à ne pas avoir rejoint les négociations inter-burundaises, le Palipehutu-FNL (Parti de libération du peuple hutu-Forces nationales de libération), a revendiqué le massacre sélectif des Banyamulenge congolais. Mais, de Bujumbura à Kigali et Kinshasa, en passant par le Kivu congolais, des démentis répondent aux accusations croisées qui visent aussi des rebelles rwandais, des combattants Maï-Maï et des soldats de l’armée régulière de la République démocratique du Congo (RDC).

«Deux compagnies des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), basées aux secteurs 6 et 7 de la localité de Kiliba (Sud-Kivu) et commandés par le major Ekofo… ont traversé la rivière Rusizi pour Gatumba», accuse une déclaration du Rassemblement pour la démocratie au Congo (RCD), l’ancienne rébellion ancrée au Kivu. Son chef politique, Azarias Ruberwa, est aujourd’hui l’un des quatre vice-présidents de la transition congolaise. Le jour du massacre de Gatumba, il achevait au Burundi deux jours d’une tournée des camps de réfugiés congolais destinée à les inciter au retour. Lors des obsèques, il a demandé «l'arrêt de la transition politique» au Congo, le temps de «faire le point». A Kigali, certains commentent la tuerie comme une claque infligée à Ruberwa et le président Kagame désigne sans détour les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), qui dénient toute responsabilité.

Pour Paul Kagame, le massacre de Gatumba «ne fait que prouver ce que nous disons depuis longtemps, c'est-à-dire qu'il y a des incidents que la communauté internationale et l'Onu font semblant de ne pas voir, et où on tue des gens». La mission des Nations unies au Congo (Monuc) dénonce de son côté une «attaque insensée» mais invoque un récent rapport alarmiste sur les mouvements récents des FNL. «On attendait depuis deux mois le feu vert du gouvernement burundais pour déplacer le camp dans un endroit plus sûr, éloigné de la frontière», se défend le Haut commissariat aux réfugiés. «Ce que j'ai découvert est une catastrophe humanitaire», déclare le président burundais Domitien Ndayizeye qui s’est assez vite rendu à Gatumba.

«Les FNL sont des terroristes»

Dimanche, le Burundi a fermé sa frontière avec la RDC «pour raisons d'enquête», ainsi que l’a souhaité le sommet africain extraordinaire réuni à Pointe-Noire (Congo) sous l’égide du Nigérian Olusegun Obasanjo et en présence du Rwandais Paul Kagame et du vice-président Yerodia Abdoulaye Ndombasi, représentant le président congolais, Joseph Kabila. La veille, le 14 août, le président burundais, Domitien Ndayizeye, avait dénoncé l’attaque d’une «coalition de divers éléments venant de la RDC». Il appelle «la communauté internationale à comprendre que les FNL sont des terroristes et nous devons conjuguer nos efforts pour combattre ce mouvement».

Les autorités burundaises avaient eu vent de l’opération visant les Banyamulenge. Selon elles, d’autres attaques seraient à craindre, «sur les deux sites de la province de Cibitoke». Mais Bujumbura ne croit pas à la seule initiative des FNL qui ont revendiqué l’attaque de vendredi contre Gatumba. Le mouvement armé d’Agaton Rwasa affirme aujourd’hui qu’il avait pour objectif le camp militaire installé à 500 mètres des réfugiés. Mais selon Bujumbura, le véritable objectif était de massacrer les réfugiés banyamulenge, l’action des FNL servant de diversion pour fixer les forces de sécurité burundaises. Pendant ce temps, se perpétrait à Gatumba des actes de génocide, contre des Congolais rwandophones considérés comme tutsi dans la sous-région, même si eux-mêmes assurent qu’ils ont remisé la distinction hutu-tutsi depuis leur migration, du Rwanda au Congo, deux siècles plus tôt.

Les rebelles rwandais «condamnent ces actes de barbarie»

Comme à leur habitude, les FNL disent avoir agi seules. De leur côté, les rebelles rwandais des FDLR «condamnent sans ambages ces actes de barbarie dont ont été victimes les réfugiés banyamulenge et s'associent dans le deuil». Formation politico-militaire, les FDLR se réclament des ex-Far et ex-Interahamwe, soldats et miliciens de l’ancien régime rwandais, toujours sur le pied de guerre contre Kigali. Dans l’Est congolais, les deux Kivu leurs servent de bases arrières. L’Accord de Lusaka du 10 juillet 1999 engage la Monuc à les désarmer. Mais l’Onu a passé la «patate chaude» à la nouvelle armée nationale congolaise, elle-même sortie déchirée du giron de la transition, dont les institutions civiles, mais aussi militaires sont le fruit d’un âpre partage du pouvoir entre belligérants congolais, conclu à Pretoria le 17 avril 2002.

Au passage, les FDLR reprochent au vice-président munyamulenge (singulier de banyamulenge) de la transition congolaise, Azarias Ruberwa, d’avoir fait une récente «visite à Kigali au cours de laquelle il s’ est engagé à demander aux Nations Unies que la MONUC désarme par tous les moyens les FDLR». Pour les FDLR, les meurtres de Gatumba sont l’occasion «sans toutefois pointer du doigt l’armée rwandaise» d’interpeller «la Communauté internationale sur les incursions quasi quotidienne que l’APR effectue à la frontière burundo –congolaise». Bref, les FDLR demande que «le Rwanda se désengage définitivement de la RDC et qu’il commence un programme de résolution du problème rwandais en entamant sans délais et sans condition un dialogue hautement inclusif avec ses opposants».

Pactes d’agression

Comme les FNL du Burundi, les FDLR sont sapées par la lassitude qui conduit nombre de leurs combattants à sortir du maquis. Plusieurs officiers rebelles rwandais se sont rendus aux autorités rwandaises avec troupes et bagages ces derniers mois. Et dans le Kivu congolais où monte l’animosité contre tous ceux qui ressemblent à des rwandophones (hutu et tutsi confondus), les causes d’hier ne sont plus complètement celles d’aujourd’hui. Cela n’empêche par la rébellion rwandaise, morcelée, de conclure des «pactes d’agression» ici ou là.

Pour n’avoir jamais dépassé les préalables à l’ouverture de négociations avec Bujumbura, les FNL sont aujourd’hui seuls contre tous, l’Afrique et l’Onu menaçant de les mettre au pas de force. Leur théâtre d’opérations s’est réduit à la portion congrue de Bujumbura rural avec le cessez-le-feu conclu l’année dernière par le principal mouvement armé, le CNDD (Conseil national de défense de la démocratie). Ce dernier vient d’ailleurs de se transformer en parti politique, début août. Il a aussi sonné le départ du Congo de ses hommes qui faisaient régulièrement le coup de feu aux côtés des partisans de Kinshasa (Maï-Maï congolais ou soldats de l’armée régulière). Dans le Kivu congolais, le RCD était en effet l’adversaire principal des combattants congolais qui voient en lui la mainmise étrangère de Kigali et, jusqu’à récemment de Bujumbura, mais aussi celui des Hutu (burundais et rwandais) en guerre contre les pouvoirs tutsi de leurs pays respectifs. Quant à la communauté des Banyamulenge, pépinière de recrues pendant les deux guerres du Congo (1996 et 1998), elle cristallise tous les ressentiments.

En 1998, en rompant l’Alliance avec le Rwanda, Laurent-Désiré Kabila avait décrété une chasse aux Tutsi, relayée avec ferveur par l’actuel vice-président de son fils, Yerodia Abdoulaye Ndombasi. Dimanche, à l’issue du sommet panafricain consacré à Gatumba où il représentait Joseph Kabila, Yerodia déclarait : «nous condamnons énergiquement cet acte et exigeons du gouvernement du Burundi et des Nations unies qu'une enquête soit faite de façon diligente afin de déterminer les auteurs et éventuellement de prendre les mesures qu'il faut à l'égard des auteurs qui seront ainsi identifiés». Lui-même est l’objet de poursuites internationales pour incitation au génocide.

Certains Banyamulenge ont estimé avoir été instrumentalisés par le Rwanda en 1996. Ils ont refusé de reprendre le chemin de la guerre, ou même celui du RCD, en 1998. D’autres ont réarmé, mais contre le RCD cette fois. C’est le cas notamment du capitaine Patrick Masunzu, entré en dissidence en 2001 sur le haut plateau originel des Banyamulenge, Itombwe, tout près d’Uvira, à la frontière avec le Burundi. Patrick Masunzu passé dans le camp de Joseph Kabila au nom d’un nationalisme congolais anti-rwandais, la transition congolaise imposant le silence des armes, les éleveurs banyamulenge espéraient un peu de tranquillité dans leurs pâturages. Mais en mai-juin 2004, leurs intérêts présumés ont à nouveau défrayé la chronique de Bukavu.

Des officiers supérieurs du RCD, le général Laurent Nkunda et le colonel Jules Mutebusi, ont invoqué une menace de génocide visant les Banyamulenge pour se dresser, les armes à la main, contre l’affectation à Bukavu du général Buja Mabe, comme commandant de la nouvelle région militaire, conformément aux accords de Pretoria. Les affrontements avaient alors chassé les Banyamulenge de Bukavu, d’Uvira et de la plaine connexe de la Rusizi, vers le Rwanda et le Burundi, à Gatumba notamment. Certains voient une suite de ce conflit dans l’attaque de Gatumba. De l’avis de la plupart des observateurs, celle-ci a dû engager 200 à 300 hommes. Elle était «visiblement très bien préparée», trop bien pour ne pas s’inscrire dans une stratégie dépassant largement les FNL qui la revendiquent.

Effervescence Maï-Maï

La Monuc confirme pour sa part que les tensions restent entières au Kivu, concernant la querelle en souveraineté militaire entre Maï-Maï et armée intégrée d’un côté et troupes RCD de l’autres. Les casques bleus assurent aussi qu’ils avaient noté une effervescence FNL et Maï-Maï dans la plaine de la Rusizi, ces dernières semaines. Mais dans l’autre camp aussi, la fébrilité n’est pas complètement retombée. D’autant qu’au RCD, certains prêchent la rupture avec la transition. Huit dignitaires de l’ancienne rébellion, rangés derrière son ancien «ministre de l’Intérieur», Bizima Karaha, boudent d’ailleurs les fauteuils qui leur ont été accordés à Kinshasa dans les institutions de la transition. Ce faisant, ils contribuent au laminage du leadership politique d’Azarias Ruberwa, déjà affecté par les actions d’une partie de la hiérarchie militaire du RCD à Bukavu. Le vice-président les avait quant à lui dénoncées, comme des mutineries.

Azarias Ruberwa était au Burundi, les 12 et 13 août, pour appeler les réfugiés congolais à rentrer au pays. Les assaillants ont choisi le 13 août pour vouer les Banyamulenge de Gatumba au sommeil éternel, au Burundi. De son côté, l’Assemblée de transition vient de reconnaître la nationalité congolaise aux Banyamulenge suspectés de «nationalité douteuse» depuis le début des années quatre-vingt-dix. A ce titre, la tuerie de Gatumba est hautement symbolique. Mais au-delà des haines ethnistes qu’il rappelle, des complicités qu’il a pu entraîner et des réactions plus ou moins intéressées qu’il suscite, le bain de sang pose des questions que seule une enquête d’envergure peut éclairer.

Les mobiles des actes de génocide de Gatumba sont très certainement à rechercher du côté de ceux qui ne trouvent pas leur compte dans la paix au Congo et au Burundi. Pour sa part, le Conseil de sécurité s’est réuni en urgence dimanche pour demander «aux autorités du Burundi et de la République démocratique du Congo de coopérer activement afin que les auteurs et les responsables de ces crimes soient traduits en justice sans tarder». De leur côté, les chefs d’Etats de la région ont prévu de «discuter mercredi en Tanzanie du processus de paix au Burundi», à l’initiative de l’Ouganda. Nul doute qu’ils menaceront une fois de plus les FNL de leurs foudres. Cela n’empêchera pas les irréductibles rwandais, congolais ou burundais de poursuivre leur hors-jeu sanglant, dans le triangle de la haine désespérée, là où toutes les manipulations amoncellent les cadavres.



par Monique  Mas

Article publié le 17/08/2004 Dernière mise à jour le 17/08/2004 à 08:41 TU

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Journaliste à RFI

«Selon plusieurs témoignages, dont l'ONUB (Opération des Nations Unies au Burundi), des congolais et des extrémistes rwandais hutus faisaient partie des assaillants»

[16/08/2004]

Adolphe Manirakiza

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«Les rescapés du massacre disent que les assaillants venaient de la RDC.»

[14/08/2004]

Leocardio Calmeron

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