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République démocratique du Congo

Azarias Ruberwa: «Jouons cartes sur table !»

Le vice-président de la RDC, Azarias Ruberwa, arrive sur l'aéroport de Goma, le 17 août 2004. 

		(Photo: AFP)
Le vice-président de la RDC, Azarias Ruberwa, arrive sur l'aéroport de Goma, le 17 août 2004.
(Photo: AFP)
Le 23 août, depuis Goma, quartier général de l’ancienne rébellion, au nord du lac Kivu, le vice-président issu du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), Azarias Ruberwa, annonçait «la suspension du RCD dans l'exercice et l'activité de la transition». Azarias Ruberwa invoque des dysfonctionnements graves de la transition. Ceux-ci concernent en particulier l’armée nationale et menacent, selon lui, d’empêcher des élections dans le Kivu, tout particulièrement frappé d’insécurité. Azarias Ruberwa estime que la réconciliation est un échec. Il en veut pour preuve le massacre des réfugiés banyamulenge du camp de Gatumba au Burundi. Pour éviter à la transition «de mourir», il demande l’arbitrage du médiateur sud-africain Thabo Mbeki. Ce dernier est annoncé le 30 août à Kinshasa où le porte-parole du gouvernement assure que la transition continuera avec ou sans le RCD.

A Kinshasa, personne n’a vraiment envie d’examiner le cahier de doléances d’Azarias Ruberwa, surtout pas devant témoins. Le président du RCD ratisse en effet très large, invoquant la défense des intérêts collectifs menacés, selon lui, par la corruption qui détourne les fonds alloués à la santé, à l’éducation nationale et plus généralement aux salaires des fonctionnaires. «Qu’est-ce que nous faisons de la gestion de la transition et de sa transparence ?», interroge-t-il. Ce genre de discours lui a valu dans le passé une certaine reconnaissance populaire à Kinshasa. Mais Azarias Ruberwa relève aussi l’insécurité qui prévaut dans son fief kivutien pour demander «un face à face devant la médiation».

Le Kivu n’est pas la seule région troublée du vaste Congo, explique Azarias Ruberwa. L’insécurité hypothèque le quotidien de nombreux Congolais. Mais au Kivu, elle risque de servir d’argument de «dernière minute» pour empêcher les élections promises par la transition. On dira que le Kivu est «inaccessible, faute de sécurité», prophétise-t-il, il n’y aura pas de scrutin. Mais pour Azarias Ruberwa, le Kivu porte aussi les stigmates de l’échec de la réconciliation et de celui de la cohabitation engendrée par le partage du pouvoir dans les institutions de transition.

Kivu invivable

«Le Kivu est invivable à cause des forces négatives (rebelles rwandais essentiellement, mais aussi burundais, les maï-maï étant désormais partie prenante de la transition) qui n’ont toujours pas été désarmées», accuse Azarias Ruberwa. A cet égard, il évoque le massacre de Gatumba (le 13 août dernier) comme la résultante de la pérennité des groupes armés qui sillonnent la plaine de la Ruzizi (8 000 hommes selon lui), des discours radiodiffusés débordants de haine ethnique et du déploiement dans la région d’une «armée pas formée dans le sens de l’intégration». Le 16 août, en annonçant qu’il songeait à suspendre la participation du RCD à la transition, le temps d’une «évaluation», Azarias Ruberwa avait accusé cette introuvable nouvelle armée nationale congolaise d’avoir participé à la tuerie sélective de Gatumba.

«Jouons cartes sur table», propose Azarias Ruberwa, justifiant la «suspension du RCD pour nous permettre, avec les autres acteurs et avec la médiation d’évaluer la transition et de prendre des mesures pour l’empêcher de mourir». Défense, sécurité, économie, finances, infrastructures, développement, «nous avons beaucoup à dire» sur des «questions de fond qui peuvent intéresser la population qui attend des solutions» et des élections, conclut-il. «A huit mois des élections… l’Etat ne peut pas se mettre en congé, même si les politiciens parlent entre eux», riposte le porte-parole du gouvernement, Henri Mova Sakani, accusant Azarias Ruberwa de «calculs politiciens» et assurant que le Parlement comme le gouvernement «peuvent se réunir» en son absence. En outre, ajoute-t-il «l’armée ne dépend plus des composantes» (mouvance présidentielle, opposition armée et non armée, maï-maï). Bref, la transition peut poursuivre sa route sans le RCD. Quant à l’arbitrage de Thabo Mbeki sollicité par Ruberwa, il «ne répond à aucun terme de l’accord global».

La présidence refuse négociations et médiation

Lundi, Joseph Kabila a fait annoncer la venue à Kinshasa de Thabo Mbeki, le 30 août prochain. En même temps, le porte-parole de la présidence congolaise, Kudura Kasongo, s’est employé à démarquer cette visite de la démarche de Ruberwa et plus encore à tordre le cou aux allégations de discussions entre le RCD et la mouvance présidentielle, sous l’égide sud-africaine. «Toutes les questions doivent être discutées et trouver des réponses au sein des institutions de la transition et non en dehors de celles-ci», affirme Kudura Kasongo, précisant que «il est hors de question pour le gouvernement de transition qu'il y ait des négociations avec qui que ce soit et où que ce soit». La fin de non-recevoir est claire. Elle n’est pas forcément définitive, même si l’ensemble de la classe politique congolaise abonde dans ce sens, applaudissant en coulisses à ce qu’elle considère comme une auto-exclusion opportune du RCD.

Nul doute que les adversaires d’Azarias Ruberwa vont faire feu de tous leurs talents procéduriers pour ruiner ses velléités critiques. De son côté, le vice-président Ruberwa va pouvoir employer sa retraite à Goma à la restauration de son autorité sur la hiérarchie militaire du RCD. Il retrouve aussi dans la cité lacustre les huit députés RCD qui ont abandonné en juillet dernier  leurs sièges dans l’Assemblée nationale, installée en juin 2003. Leur chef de file, un munyamulenge qui faisait office de  «ministre de l’Intérieur» dans la rébellion du RCD, Bizima Karaha refait actuellement surface avec des critiques tonitruantes contre l’armée «réunifiée» de RDC. «Officiellement, il existe en RDC 300 000 hommes armés, dit-il, on leur a donné le titre de FARDC (Forces armées de la RDC), mais sur le terrain les FARDC n'existent pas. Elles n'existent que sur le papier».

Cette question militaire est effectivement un problème, pas seulement pour le RCD mais aussi pour tous les anciens combattants des nombreuses factions qui n’ont toujours pas vu leurs effectifs affectés selon leurs grades dans la nouvelle armée dite nationale. Mais si à Kinshasa, les partenaires d’Azarias Ruberwa peuvent vaquer à la transition sans trop s’en préoccuper, pour le chef de file du RCD, cette réunification de l’armée et de la police est politiquement – et électoralement – cruciale. Dans l’immédiat, il a interdit l’entrée de Goma à l’un des deux auteurs d’une offensive sur Bukavu, le général Laurent Nkunda, un Tutsi du Nord-Kivu, qui, en mai dernier, avait prétendu voler au secours de la communauté banyamulenge en essayant de chasser de la place le nouveau commandement militaire «réunifié» dépêché par Kinshasa. Le général dissident avait menacé de reprendre le sentier de la guerre après les événements de Gatumba. Ruberwa se fait une toute autre idée de la manière de régler le problème. Le 21 août, il a officiellement demandé au commandant de la région militaire légitimé par la transition d’arrêter «immédiatement» Nkunda s’il «mettait les pieds à Goma».

Militairement, le RCD s’est effrité au Kivu. A Kinshasa, un texte hostile à Ruberwa demande «aux ministres, vice-ministres, sénateurs, députés, gouverneurs et vice-gouverneurs de province, membres des institutions d'appui à la démocratie, militaires et policiers» du RCD de «continuer à servir la nation congolaise» dans la transition. Une dizaine de dignitaires du RCD l’ont signé. Parmi eux, le général-major Jean-Pierre Ondekane, ministre de la Défense dans la transition ou encore Emile Ilunga, premier vice-président du bureau du Sénat. «Le deuil étant levé dans toutes les fédérations du parti, les camarades présents à Goma sont invités à rejoindre Kinshasa, siège des institutions et du RCD», écrivent ils, dans une allusion aux actes de génocide de Gatumba. Eux ne sont ni banyamulenge, ni rwandophones. Une nouvelle ligne de fracture se fait jour au RCD.



par Monique  Mas

Article publié le 24/08/2004 Dernière mise à jour le 24/08/2004 à 15:25 TU

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Azarias Ruberwa

Vice-président du RDC

«Notre démarche n'a pas pour objectif de nuire.»

[24/08/2004]

Henri Movasakani

Porte-parole du gouvernement

«Il n'est pas question que l'on mette à l'arrêt les décisions de la république.»

[24/08/2004]

Journaliste à RFI

«Pour Azaria Ruberwa, le processus de transition a failli à une de ces missions, garantir la sécurité de toutes les communautés congolaises.»

[24/08/2004]

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