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Environnement

Turquie : les oiseaux ne se cachent pas pour vivre

Les flamands roses à nouveau rois d'Izmir. 

		(Photo : Jérôme Bastion/RFI)
Les flamands roses à nouveau rois d'Izmir.
(Photo : Jérôme Bastion/RFI)
Les défenseurs turcs de l'environnement viennent de remporter une bataille juridique qui permet à l'une des réserves ornithologiques les plus riches du pays, le delta du Gediz, en pleine communauté urbaine d'Izmir (ouest de la Turquie, côte égéenne), d'échapper à l'assèchement et à l'urbanisation qui menaçaient plusieurs espèces rares.

De notre correspondant à Istanbul

Coincé entre des bouquets d'immeubles en construction sortis comme des champignons, un vaste centre commercial et une décharge de gravats, l'endroit ressemble à une vague friche mal asséchée. Et pourtant, dès qu'il a installé sa longue vue sur un tripode, Ortaç Onmus s'emballe, oubliant le décor de banlieue grise. Le nez dans le viseur, il énumère : «pas moins de 5 espèces sur ce petit banc de sable de moins de 2 m2 : une poule d'eau, une échasse immobile sur une patte guettant sa proie, une sterne qui fait sa toilette et une guifette qui chasse de là un vanneau éperonné ! ».

Responsable des zones marécageuses à l'Association égéenne de protection de la nature, Ortaç est le « guetteur » du WWF (Fonds mondial pour la vie sauvage) de la région. Il a observé ici, tout près du centre d'Izmir, troisième plus grande ville du pays avec 1 million d'habitants, près de la moitié des 220 espèces qu'abrite cette réserve ornithologique, la deuxième de Turquie. Son préféré, c'est le vanneau, qui virevolte entre la tour de béton à l'élévation ininterrompue et les camions vidant leur chargement ; sans doute parce qu'il est menacé de disparition de la surface de la terre, et que la moitié de ces spécimens vivent en Turquie.

La Justice a été sensible à l'argument avancé par les défenseurs de l'environnement, qui avaient demandé l'annulation de la décision du gouvernement, en octobre 2002, de déclasser cette aire marécageuse de 4 hectares, au bord de la réserve de plus de 20.000 hectares. D'autant que ce petit coin de nature abrite une quarantaine d'espèces différentes,  dont 32 nidifient ici. Un tribunal d'Izmir a jugé fin juin que ce petit lopin de terre, en marge des marais salants et des lagons où s'ébattent des dizaines de milliers de flamands roses, pélicans et oies sauvages, ne pouvait être dissocié du reste de la réserve, et même qu'il méritait d'être classé en zone protégée de première catégorie, interdite à toute activité humaine.

« C'est une grande victoire qui fera jurisprudence pour d'autres cas similaires », explique Hatice Dinç du WWF-Turquie, car la pression est très forte dans cette zone urbaine et industrielle où les intérêts des promoteurs immobiliers sont énormes : dès la décision gouvernementale, 90% de la zone était recouverte de gravats par les services municipaux. Le verdict, presque inespéré, semble effectivement avoir déjà fait école puisqu'un autre tribunal local vient également de suspendre un projet de modification du plan d'occupation des sols qui prévoyait l'aménagement d'aires de loisirs. Un autre projet, qui envisageait là la construction d'un port de marchandises, sera sans doute également affecté par ce souci des juges de faire respecter les lois turques et les conventions internationales ratifiées par la Turquie.


Cette réserve ornithologique abrite 220 espèces. 

		(Photo : Jérôme Bastion/RFI)
Cette réserve ornithologique abrite 220 espèces.
(Photo : Jérôme Bastion/RFI)
La bataille du delta du Gediz n'est pas terminée

Reste à effacer les traces laissées par l'homme et ses engins de terrassement sur ce petit « paradis ornithologique » déjà rongé par bien d'autres menaces. Selon l'avocat Ugur Kalelioglu, le jugement prévoit bien le retour à la situation originelle, le permis de construire a été de fait annulé, les travaux doivent être stoppés et le terrain réintégré dans son état naturel. Il se promet d'intenter tous les procès nécessaires contre les autorités locales pour obtenir l'application du verdict. Cela ne serait certes pas une première dans les annales, mais la démolition des deux tours quasiment achevées, dans une boucle de l'ancienne rivière du Gediz, serait un triomphe encore plus grand que la décision de justice elle-même.

« Les exemples sont rares, c'est vrai, mais il existent ! », se persuade Hatice Dinç. « Il faut arrêter les abus dès le début, sinon la nature continue inexorablement de perdre du terrain », ajoute-t-elle, citant l'usine de retraitement des eaux usées installée sur le site qui, contrairement au protocole initial, rejette 600 tonnes de boues résiduelles en pleine réserve naturelle. La bataille du delta du Gediz n'est donc pas terminée, puisque les plantations d'eucalyptus et de mimosas, redoutables assécheurs de marais, continuent elles aussi, clandestinement, selon le WWF. Une bonne nouvelle cependant pour les volatiles du Golfe d'Izmir : la base aérienne d'entraînement toute proche vient de promettre qu'elle ne survolerait plus la réserve ornithologique, en dehors des cas de nécessité absolue, et qu'elle en indiquerait l'exclusion sur ses cartes de vol.


par Jérôme  Bastion

Article publié le 28/08/2004 Dernière mise à jour le 28/08/2004 à 10:15 TU