Justice internationale
Le tribunal impose un avocat à Milosevic
De notre correspondante à La Haye
Les yeux noirs de colère, Slobodan Milosevic range ses lunettes, tourne son micro vers le mur, sort son cartable de cuir noir : après plus de deux ans de procès, les juges viennent de désigner une équipe chargée de sa défense. Les deux avocats britanniques, Steven Kay et Gillian Higgins, seront postés au pupitre placé, dans le prétoire, entre lui et les juges. Mais Slobodan Milosevic craint surtout que ces derniers se placent entre lui et « l’opinion publique mondiale » à laquelle il dit s’adresser.
La décision était attendue depuis que le 5 juillet, les juges avaient dû reporter de nouveau le procès en raison de l’état de santé de l’accusé. Pas encore prêt à présenter ses propres témoins, l’ex-homme fort de Belgrade, qui souffre d’hypertension chronique, tentait de gagner du temps. Il aura perdu une partie de sa tribune. Et le procès pourrait prendre une nouvelle tournure. Le juge Iain Bonomy, fraîchement arrivé dans le procès, avait, la veille, forcé le ton au cours d’un débat de procédure. « Il y a des limites à l’audition des opinions de l’accusé », avait-il déclaré, « il a accusé la chambre d’être membre d’une entreprise criminelle, à mon avis, c’était une insulte ». En désignant les deux anciens « amis de la Cour », qui, jusqu’ici et puisque Milosevic comparaissait sans avocats, devaient guider les juges sur l’équité du procès, les juges espèrent forcer la main de l’accusé. Dans leur décision, ils laissent la voie ouverte à la désignation, par celui-ci, d’un avocat qui serait, cette fois, de son choix.
Un complot d’un autre siècle
La veille, et lors d’un long discours de six heures, Slobodan Milosevic semblait encore avoir la main sur son affaire. Il avait revêtu la robe du procureur pour énoncer les grands points de sa stratégie de défense. Pour cette seconde phase du procès au cours de laquelle il promet de faire venir à la barre autour de 1 500 témoins, Slobodan Milosevic a privilégie l’attaque sur la défense pour dénoncer « la destruction par la force d’un pays européen ».
Le complot destiné, selon lui, à « rayer la Serbie de la carte » – fomenté au début du siècle passé par l’empire austro-hongrois, exécuté pendant la seconde guerre mondiale et accompli par la dislocation de la Yougoslavie – et les attaques à l’encontre de leurs auteurs présumés n’ont jamais été exprimé en des termes si virulents. Pour l’accusé, les auteurs de la dislocation de la Yougoslavie, contre laquelle il affirme s’être élevé, sont rassemblés dans « des mouvements d’extrême droite de la Croatie, du Kosovo et de la Bosnie, des oustachis et des néonazis que sont les islamistes et les terroristes albanais ». Cette « élite chauvine, composée de terroristes, d’intégristes islamiques et de néo-nazis pour obtenir un état ethniquement pur, sans Serbes » était menée et soutenue par « ceux qui ont créé ce tribunal : le Vatican, les Etats Unis et l’Allemagne », a t-il asséné à plusieurs reprises.
Les coupables: le Pape, l'administration Clinton et l'Allemagne
Ses homologues croates et bosniaques, Franjo Tudjman et Alija Izetbegovic, tous deux décédés sans jamais avoir été inculpé par le tribunal, n’ont pas été épargné, tout comme le « Fuhrer Bill Clinton » et son administration, pointée pour avoir « sponsorisé le terrorisme » au Kosovo, et dévoyé le droit international : « la force des Nations unies s’est transformée en force d’occupation », a affirmé Milosevic, elle « n’a cessé de tromper le monde entier depuis 5 ans, alors qu’il s’agissait de camoufler la militarisation. » Enfin, l’ex-homme fort de Belgrade a promis de produire des pièces et des témoignages pour démontrer que l’armée de libération du Kosovo a reçu le soutien des États-Unis et de Ben Laden. L’ancien président serbe ne s’est défendu d’aucun des 66 chefs d’accusation portés contre lui pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre et risque le hors sujet, comme lui ont signifié les juges. En substance, Slobodan Milosevic a toujours affirmé que les bosniaques et les croates avaient, en quelque sorte, tiré les premiers. Mais l’argument ne vaut pas devant le tribunal, dont la jurisprudence considère que rien ne peut légitimer un crime contre l’humanité.
par Stéphanie Maupas
Article publié le 02/09/2004 Dernière mise à jour le 02/09/2004 à 12:43 TU