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Justice internationale

Le procès Milosevic plombe la logique du TPI

La première phase du procès de Slobodan Milosevic, accusé devant le Tribunal pénal international de La Haye (TPI) de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, doit s’achever le 17 février. Mais ce procès, qui devait être la vitrine du TPI, traîne en longueur et a perdu toute lisibilité.
De notre envoyé spécial à La Haye,

Depuis l’ouverture du procès, le 12 février 2002, près de 300 témoins de l’accusation ont comparu à la barre et un demi-million de documents ont été versés au dossier. Les journalistes ont déserté depuis longtemps la salle d’audience et les sociétés balkaniques elles-mêmes se désintéressent de cette interminable procédure. Trop long et trop touffu, le procès Milosevic a perdu sa lisibilité, et il risque encore de s’éterniser longtemps, car les procédures d’appel pourraient prendre des années.

En choisissant d’assumer lui-même sa défense, Slobodan Milosevic a réussi à subvertir les règles du tribunal. D’accusé, il est devenu avocat demandant des comptes, voire même procureur menant le contre-interrogatoire de témoins souvent tétanisés par la crainte. Slobodan Milosevic était resté l’interlocuteur privilégié de la communauté internationale durant toutes les années 1990, et n’a été inculpé que durant les bombardements de l’OTAN du printemps 1999. Du coup, les juges n’ont cessé de donner des gages à l’accusé pour essayer d’effacer l’image d’une justice de vainqueurs.

En théorie, Slobodan Milosevic devrait disposer, pour sa défense, de moyens équivalents à ceux de l’accusation. Durant la pause de trois mois, prévue pour lui permettre de se préparer, il doit communiquer la liste des témoins qu’il souhaite citer à la barre, cette liste devant être validée par le tribunal. L’ancien maître de Belgrade a fait savoir qu’il entendait convoquer les plus hauts responsables politiques mondiaux. Si les juges acceptent cette liste, Bill Clinton ou Jacques Chirac pourraient venir à La Haye. «Le TPI n’a pas de moyens de coercition, mais il serait étonnant que des témoins convoqués refusent de comparaître», estime la Procureure générale Carla del Ponte, qui ne manifeste pas d’inquiétude devant la lenteur de la procédure. «Le procès prendra sens quand le verdict sera prononcé», assure-t-elle.

Le TPI est cependant soumis à des échéances de plus en plus serrées. Normalement, toutes les enquêtes doivent être bouclées d’ici la fin de l’année 2004, les procès de première instance en 2008, et les procès d’appel en 2010. Pour essayer de tenir son calendrier, le TPI va transférer de nombreuses affaires aux tribunaux spéciaux pour crimes de guerre qui ont été créés dans les pays des Balkans. «Nous avons établi deux listes. La première regroupe des responsables politiques ou militaires de haut niveau qui ne peuvent pas être jugés par des tribunaux locaux. Sur la liste B figurent des criminels plus proches du terrain, des exécutants qui seront jugés localement», explique Carla del Ponte.

Pourtant, certains des accusés les plus célèbres de la juridiction internationale courent toujours, comme les Serbes Radovan Karadzic et Ratko Mladic ou le général croate Ante Gotovina.

«Certains témoins ont été assassinés»

La Procureure ne peut pas s’exprimer sur la dernière et infructueuse tentative d’arrestation de Radovan Karadzic, menée au début du mois par les troupes internationales de la SFOR en Bosnie. «La SFOR dispose de ses propres moyens de renseignements et mène ses opérations sans en référer au tribunal. Par contre, nous avons déposé une requête pour que les documents saisis au cours de cette opération nous soient transmis».

Carla del Ponte certifie qu’il y aura encore «de nombreuses accusations en 2004, qui frapperont tous les pays et tous les groupes nationaux». Le TPI essaie notamment de boucler deux enquêtes importantes contre des Albanais du Kosovo, malgré de nombreuses difficultés. «Les Albanais ont très peur de témoigner. Dans des affaires qui ne sont pas jugées par le TPI, certains témoins ont été assassinés. Nous souffrons aussi d’un manque de documentation écrite pour reconstituer la chaîne de commandement au sein de l’UCK» (l’armée séparatiste des Albanais du Kosovo), reconnaît Carla del Ponte.

À Belgrade, le TPI est toujours dénoncé comme une juridiction «anti-serbe», et les partis les plus favorables à la coopération avec La Haye dénoncent les «maladresses» de la Procureure générale, qui renforceraient les courants nationalistes. «Je suis un Procureur indépendant, et je refuse d’entrer dans les jeux politiques locaux. Je ne peux pas être sous la tutelle des Etats balkaniques ! Il faut que les autorités acceptent l’importance de la collaboration avec le TPI. Zoran Djindjic, le Premier assassiné en mars dernier, l’avait pleinement compris. Deux semaines avant sa mort, il m’avait promis que j’aurais Mladic au printemps. Son assassinat a tout remis en cause», répond Carla del Ponte.

Embourbé dans le procès Milosevic, le TPI essaye en fait d’accélérer le rythme des autres procédures, en négociant des reconnaissances de culpabilité en échange d’allègements de peine. L’ancienne dirigeante des Serbes de Bosnie Biljana Plavsic a ainsi obtenu, l’an dernier, une peine relativement légère en échange de ses aveux de culpabilité. Du coup, le caractère incohérent des peines attribuées rend encore moins compréhensible la logique de la justice internationale.

«Le TPI répond à deux obligations : remettre en cause l’impunité des puissants et établir la vérité des faits. Sans cela, jamais les sociétés balkaniques ne pourront tourner la page des guerres», rappelle la Procureure. Cependant, pour l’instant, les victimes sont encore bien loin d’y trouver leur compte, et le caractère exemplaire du procès Milosevic n’apparaît guère.





par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 24/01/2004