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Médias

Avis de tempête au «Figaro»

Le siège du <i>Figaro</i>, à Paris. 

		(Photo: AFP)
Le siège du Figaro, à Paris.
(Photo: AFP)
Les journalistes du Figaro s’inquiètent de l’avenir du quotidien et expriment leur défiance face aux interventions de leur nouveau président, l’avionneur Serge Dassault, sur la ligne éditoriale du journal.
L'avionneur Serge Dassault, possède 80% de la Socpresse, société éditrice du <EM>Figaro</EM>. 

		(Photo: AFP)
L'avionneur Serge Dassault, possède 80% de la Socpresse, société éditrice du Figaro.
(Photo: AFP)

Inquiétude persistante et avis de tempête au sein de la rédaction du Figaro, comme en témoigne l’assemblée générale convoquée jeudi à l’initiative de la Société des rédacteurs (SDR), qui regroupe les journalistes du quotidien. Cette assemblée générale s’est fixée un nouveau rendez-vous pour le 16 septembre, date à laquelle elle adoptera formellement, au vote à bulletin secret, les principes d’indépendance formulés fin juin, lorsque l’avionneur Serge Dassault est devenu le patron du journal. La rédaction souhaiterait, à cette occasion, recevoir le soutien de sa hiérarchie et qu’elle soit «le défenseur des intérêts et de l’indépendance du journal face à l’actionnaire».

Depuis que Serge Dassault est devenu le principal actionnaire, avec plus de 80% des parts de l’un des plus grands groupes de presse français, la Socpresse (70 titres), les relations se sont dégradées entre la rédaction du Figaro (l’un des fleurons de la Socpresse) et la direction du quotidien. Les deux partenaires ne partagent pas la même conception du rôle de la presse, comme en témoigne les déclarations répétées de l’industriel au cours de ces trois derniers mois, et ses appels réguliers de la direction de la rédaction, selon les informations obtenues par le journal Le Monde. La confiance n’y est plus et la nouvelle crise interne a été déclenchée à l’occasion d’une rétention d’enquête sur l’affaire de la vente des frégates françaises à Taiwan, en 1991.

Le climat d’affairisme ambiant

Selon l’hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné, un journaliste du Figaro n’a pas pu rencontrer l’un des bénéficiaires présumés des commissions occultes versées pour l’obtention du marché en raison, dans un premier temps, d’une opposition de la direction puis, dans un second temps, d’une attitude ambiguë de sa part qui a conduit à l’enlisement du projet. Alertée, la SDR a rencontré M. Dassault qui, loin d’apaiser le conflit, a renforcé les inquiétudes en évoquant notamment la publication d’informations qui «font plus de mal que de bien», et déclarant «qu’il y a quelques fois des informations qui nécessitent beaucoup de précautions. Il en est ainsi des articles qui parlent des contrats en cours de négociations», dans la droite ligne des propos qu’il tenait déjà à son arrivée à la tête du groupe, fin juin. Serge Dassault indiquait alors que son nouvel empire lui permettrait de «diffuser des idées qu’(il) considère comme saines».

La contradiction entre le discours patronal du grand capitaine d’industrie et celui de son salarié journaliste fait des vagues dans le paysage médiatique français en raison de l’importance de ce grand quotidien national conservateur. A l’évidence, les deux fonctions n’obéissent pas aux mêmes nécessités, mais l’anecdote révèle l’inquiétante permanence d’un phénomène vieux comme la presse: la tentation de la détourner au profit d’intérêts qui ne sont pas journalistiques.

Ce mouvement au Figaro survient dans un contexte lourd de soupçons à l’égard de la profession et de menaces sur la crédibilité des journalistes. Le lapsus, l’aveu, le cynisme ou la franchise du PDG de la chaîne de télévision privée TF1 (Bouygues, géant du BTP), indiquant au début de l’été que sa fonction était de «vendre à Coca-Cola du temps de cerveau humain disponible» a renforcé le sentiment d’une profession détournée de sa fonction initiale et entraînée dans le climat d’affairisme ambiant. D’autant que le rapprochement (financier) entre TF1 et la Socpresse est régulièrement évoqué et que le troisième géant du panorama, Hachette-Filipacchi-Medias (56 titres en France), est également dominé par un grand industriel, lui aussi spécialiste de l’aéronautique et de l’armement, Arnaud Lagardère.

«Que veut-on faire du Figaro ?»

La Fédérations des syndicats de presse et de la communication FO (Force ouvrière) demande a être reçue en urgence par les ministres de la Culture et de l’Emploi. FO affirme que «les projets de reconfiguration de la Socpresse et de ses missions d’information, conduits par ailleurs dans l’opacité la plus totale (…) menacent le pluralisme de la presse française mais aussi l’emploi de centaines de salariés, journalistes, employés, cadres, ouvriers du Livre». FO rappelle que la Socpresse emploie à temps plein plus de 2300 journalistes. La suite nous dira le poids réel qu’ils pèsent désormais dans la presse française, revue et corrigée à l’aune de la concentration capitalistique. D’ores et déjà les représentants du personnel ont déclaré avoir eu «confirmation de ce qu’avait dit Serge Dassault comme quoi il y a des journaux qu’il faudra "éradiquer" à partir du moment où ils ne rapportent plus d’argent».

«Que veut-on faire du Figaro ?», interrogeait un tract du Syndicat national des journalistes, le 25 août, redoutant une dérive partisane caricaturale. Les journalistes auraient toutefois reçu l’assurance que la campagne pour l’élection de leur patron au Sénat, dans quelques semaines, ne ferait pas l’objet d’une couverture particulière, «pas plus que pour les autres candidats», en tout cas. De son côté la déléguée FO du journal a déploré que la campagne qu’effectue actuellement M. Dassault «bloque le fonctionnement d’un groupe».


par Georges  Abou

Article publié le 10/09/2004 Dernière mise à jour le 10/09/2004 à 15:03 TU