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Turquie

L’adultère ne sera finalement pas puni de prison

Les parlementaires turcs débattent d'une réforme du code pénal. Celle-ci ne comprendra finalement pas la disposition qui devait criminaliser l'adultère, suscitant les critiques de l'Union européenne et  des organisations féminines et de défense des des droits de l'Homme. 

		(Photo : AFP)
Les parlementaires turcs débattent d'une réforme du code pénal. Celle-ci ne comprendra finalement pas la disposition qui devait criminaliser l'adultère, suscitant les critiques de l'Union européenne et des organisations féminines et de défense des des droits de l'Homme.
(Photo : AFP)
Le Parlement turc était convoqué ce mardi en session anticipée pour discuter d’un large éventail de réformes du Code pénal, parmi lesquelles le retour de la criminalisation de l’adultère a suscité un vif débat et la colère des organisations féminines qui ont manifesté dans la capitale. Mais dans l'après-midi, sous la pression de l'Union européenne, le gouvernement a finalement renoncé à présenter cet article contesté.

De notre correspondant à Istanbul

La refonte de l’arsenal pénal turc, unanimement décrié comme rétrograde et liberticide notamment parce qu’inchangé depuis sa rédaction à partir du code italien des années 20, devait être une petite révolution ; elle s’avère désormais une vraie épine dans le pied du gouvernement, au plus mauvais moment du calendrier européen. Après des mois de consultations des organisations de la société civile, ce qui constitue effectivement un changement de mentalité où dans ce pays longtemps la chose publique ne pouvait être décidée que par le haut, le consensus a été ruiné par une proposition ajoutée en dernière minute, imposée semble-t-il par le chef du gouvernement. Selon la nouvelle législation, l’adultère redeviendrait un crime, sept ans après l’abrogation de semblables dispositions, et pourrait être punie de un à trois ans de prison selon un barème qui doit encore être discuté. La mesure a suscité autant d’étonnement que de craintes dans les milieux laïcistes et féministes, qui dénoncent un texte inspiré par le Coran, et qui ont décidé de manifester mardi à l’ouverture du Parlement pour empêcher son adoption.

Les militant(e)s des Droits de la femme avaient pourtant de quoi être plutôt satisfaites au vu des amendements prévus : limitation du contrôle de virginité à la requête d’un juge et pénalisation du personnel médical qui le pratiquerait sans autorisation (elles auraient voulu son abolition totale), reconnaissance de l’individualité de la personne féminine lorsque des violences lui sont faites contre la considération jusque là due seul ‘crime contre la société’, prise en compte du crime ‘coutumier’ à l’encontre des femmes ayant des relations hors mariage (elle voulaient la mention du crime ‘d’honneur’).

Mais personne ne s’attendait à voir resurgir le crime adultérin, supprimé par une double décision de la Cour constitutionnelle parce qu’il regardait de manière inéquitable l’homme et la femme : le mari devait être convaincu d’avoir plusieurs relations extra-conjugales ou une relation suivie, constatée par témoins, alors que la femme était condamnable dès son premier écart. L’équité hommes-femmes est certes garantie, mais le retour en arrière est flagrant, et surtout  tombe mal.

«L’adultère n’est pas un crime à l’heure actuelle dans les pays de l’Union européenne, soit qu’il n’a jamais été qualifié comme tel, soit que ces dispositions ont été supprimé», explique l’avocate Nazan Moroglu, présidente de la commission pour les droits des femmes au barreau d’Istanbul. «Au moment où la Turquie adopte des lois d’harmonisation avec les législations européennes, cette réforme est en désaccord complet avec la volonté» turque de satisfaire aux critères occidentaux pour espérer adhérer à l’Union Européenne. Au contraire, note-t-elle, «si on regarde ‘de l’autre côté’, on voit bien que l’adultère est toujours puni dans les pays régi par une législation inspirée par l’Islam, la contradiction est donc éclatante» entre l’ambition européenne de la Turquie et le sens de cette réforme. Pour le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui dit s’appuyer sur un soutien de 80% de la population du pays (ce que tous les observateurs estiment possible) pourtant, la mesure viserait à «protéger la femme trompée».

« Ce doit être une blague »

Pour Liz Amado, de l’association «Femmes pour les droits des femmes», c’est un faux argument car «au regard de la situation socio-économique du pays, il est tout-à-fait improbable que la loi soit appliquée de manière équitable», c’est-à-dire à l’avantage de la plaignante le cas échéant. «Le nombre de femmes en Turquie capables de dire ‘mon mari m’a trompée, mettez-le en prison !’ est extrêmement limité, car leur dépendance socio-économique est avérée c’est donc, selon elle, une loi ouvertement «anti-féminine». «La notion de faute adultérine est déjà inscrite dans le droit turc puisqu’elle fait partie de l’arsenal entrant en compte pour les divorces, au désavantage de la partie reconnue coupable, alors il n’y avait pas besoin d’en faire une question criminelle», renchérit Müjde Bilgutay, sociologue dans la même association. Pour illustrer cet écart entre les situations des deux époux devant la loi, elle  rappelle que, sur 69 cas d’adultère invoqués l’an dernier dans des divorces, 5 d’entre eux seulement l’ont été à l’initiative de la femme contre son mari, les 64 autres l’étant par l’homme contre son épouse, explique-t-elle.

Piqué au vif dans son amour propre, après des mois de réformes saluées par l’ensemble des observateurs, en Turquie comme à l’étranger, le gouvernement ne semble pas vouloir faire marche arrière, sans doute poussé par une base électorale conservatrice qui n’a guère été flattée dans le sens qu’elle attendait lorsqu’elle porté au gouvernement il y a deux ans le Parti de la Justice et du Développement, issu de la mouvance islamiste. Et la ministre de la Femme Gülden Aksit dénonce l’amalgame avec la charia, la loi coranique appliquée dans plusieurs pays musulmans: «Il ne faut surtout pas faire un rapprochement avec l’Iran ou l’Afghanistan !», lance-t-elle en condamnant les critiques de l’Occident, «si les pays européens disent que cela leur pose problème [pour ouvrir les négociations d’adhésion avec la Turquie], c’est un faux prétexte», prévenait-elle lundi sur la chaîne d’informations continue NTV.

Le problème, c’est justement le calendrier, pour le commissaire européen pour l’Élargissement Gunther Verheugen, en visite la semaine dernière  en Turquie: «ce doit être une blague, je ne comprends pas qu’une telle mesure soit envisagée à un tel moment», n’a-t-il pas pu s’empêcher de noter, ajoutant que l’adoption de ce texte «serait une erreur». Il est certain, comme il l’a dit également à ses hôtes turcs, que cette réforme risque d’être «mal comprise» par les Européens qui vont bientôt juger de l’opportunité de lancer le processus d’intégration de la Turquie à l’Europe.



par Jérôme  Bastion

Article publié le 14/09/2004 Dernière mise à jour le 14/09/2004 à 15:29 TU