France-Turquie
Erdogan plaide l’adhésion de son pays à l’UE
(Photo : AFP)
Opération de charme pour «l’islamiste modéré» Recep Tayyip Erdogan à Paris. Le Premier ministre turc, européen fraîchement mais visiblement convaincu –il dénonçait encore il y a quelques années «ce club chrétien»– va déployer toute la diplomatie qu’on lui connaît pour tenter de convaincre les Français du bien-fondé d’une adhésion de son pays à l’Union européenne. Le très charismatique dirigeant de l’AKP, le Parti de la justice et du développement, n’est pas venu les mains vides. Le bilan de son gouvernement, deux ans après son arrivée triomphale au pouvoir, parle en effet pour lui. Sous son impulsion, la Turquie a ainsi adopté en un temps record l’essentiel des réformes exigées par Bruxelles notamment en matière de droits de l’homme. Les langues des minorités, parmi lesquelles le kurde, sont désormais reconnues. La Constitution a été remaniée pour notamment limiter les prérogatives du tout puissant Conseil national de sécurité aux mains des militaires. Et la question chypriote a été débloquée puisque pour la première fois de son histoire Ankara a encouragé les négociations entre les deux parties et est apparu avec une nouvelle image d’architecte de la réconciliation et du compromis. Sur le plan économique enfin, l’ancien maire du Grand Istanbul peut se targuer d’avoir relancé la croissance et d’avoir engagé son pays sur la voie de la lutte contre la corruption.
Certes les négociations pour une entrée de la Turquie en Europe ne sont pas censées commencer à Paris mais le soutien de la France est considéré par Ankara comme essentiel après celui déjà acquis de Berlin, Londres et Madrid. La question est pour l’instant entre les mains de la Commission européenne qui doit remettre en octobre sa recommandation sur l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Turquie. Dans son rapport, elle devra spécifier dans quelles mesures Ankara s’est conformé aux critères politiques, juridiques et économiques édictés par l’Union et connus sous l’appellation de critères de Copenhague. Le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement devra alors, à la lumière de ce rapport, décider en décembre lors de son sommet de la suite à donner à la demande turque.
C’est dans cette dernière perspective que s’inscrit donc la visite du Premier ministre turc en France. Recep Tayyip Erdogan sait d’ores et déjà qu’il peut compter sur l’appui du président français qui n’a jamais caché qu’il était en faveur d’une adhésion de la Turquie. Balayant les doutes sur le caractère européen d’un pays à majorité musulmane et dont la plus grande partie du territoire se trouve en Asie, Jacques Chirac avait en effet jugé fin juin, lors du sommet de l’Otan à Istanbul, «irréversible» la marche d’Ankara vers l’UE. Il avait également souligné «la vocation européenne très ancienne» de ce pays et mis en avant l’intérêt «politique et économique» que constituait pour l’Europe l’intégration d’une «Turquie stable, démocratique, et moderne qui a fait le choix de la laïcité depuis 1923».
Hostilité de la classe politique françaiseMais si le soutien de Jacques Chirac semble acquis à Ankara, le Premier ministre turc sait en revanche qu’il a beaucoup à faire pour convaincre la classe politique française –majoritairement hostile à l’entrée de la Turquie en Europe– à commencer par le propre parti du président français, l’Union pour un mouvement populaire. L’ancien président de l’UMP, Alain Juppé que Recep Tayyip Erdogan doit rencontrer lors de son séjour, avait en effet estimé en juin dernier, lors de la campagne pour les élections européennes, qu’une adhésion de la Turquie à l’UE signerait «à terme la fin de l’Europe». S’opposant ouvertement à Jacques Chirac –ce qui est relativement rare pour ce fidèle du président français– il avait prôné la solution d’«un voisinage rapproché» avec Ankara. Mais les autorités turques ont refusé d’accorder une importance quelconque à cette position hostile de l’UMP en se contentant d’y voir une attitude dictée par «des raisons de politique intérieure». Elles ne désespèrent d’ailleurs pas de voir cette situation évoluer vers plus de souplesse à l’égard d’Ankara.
Mais Recep Tayyip Erdogan, qui doit également rencontrer le président de l’UDF, François Bayrou, sait en revanche qu’il aura le plus grand mal à infléchir la position de ce dernier qui comme à son habitude cherche par tous les moyens à se différencier de la position présidentielle. «La Turquie est certes un grand pays mais aux frontières de l’Europe», n’a-t-il eu de cesse de répéter ces dernières semaines, faisant valoir que «plus l’Europe sera hétérogène, plus elle sera faible». L’opération de charme du Premier ministre turc risque donc de tourner court comme cela risque d’être également le cas avec les responsables socialistes.
Paradoxalement et alors que le Parti socialiste est de loin le plus ouvert à l’adhésion de la Turquie, ses exigences pour soutenir la candidature d’Ankara risquent sans doute d’être les plus problématiques pour le chef du gouvernement turc. Le premier secrétaire du PS, François Hollande, avait en effet conditionné l’ouverture des négociations pour l’adhésion de la Turquie à la reconnaissance par ce pays du génocide arménien de 1915. Une exigence que les autorités d’Ankara ne sont visiblement pas prêtes à concéder. Plusieurs associations arméniennes ont appelé à manifester mardi pour protester contre la visite du Premier ministre turc. Parmi ces associations, la fédération révolutionnaire arménienne qui fait partie de l’Internationale socialiste.par Mounia Daoudi
Article publié le 19/07/2004 Dernière mise à jour le 20/07/2004 à 09:38 TU