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France/Etats-Unis

Duel en Turquie

Le président américain George W.Bush et son homologue français Jacques Chirac s'installent pour la traditionnelle «photo de famille» au sommet de l'Otan d'Istanbul. 

		(Photo: AFP)
Le président américain George W.Bush et son homologue français Jacques Chirac s'installent pour la traditionnelle «photo de famille» au sommet de l'Otan d'Istanbul.
(Photo: AFP)
En marge du sommet de l’Otan, le président français a vivement réagi au soutien du président américain à l’adhésion de la Turquie à l’UE. Bien que lui-même partisan de l’adhésion d’Ankara à l’Union, Jacques Chirac a estimé que George Bush s’était engagé «sur un terrain qui n’est pas le sien». Ce qui n’a pas empêché le chef de la Maison-Blanche de récidiver, mardi.

Décidément, ce couple-là semble ne s’entendre sur rien. Chaque rencontre des deux hommes est dorénavant observée à la loupe pour évaluer l’état de discorde et anticiper les possibilités d’une éventuelle réconciliation, mais il ne fait plus de doute qu’une virulente mise au point est toujours possible tant l’état de tension est permanent. L’un et l’autre ont beau déclarer régulièrement les liens indéfectibles qui unissent leur pays, chaque sommet peut toujours leur donner l’occasion d’une scène de ménage. L’affaire de l’examen de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) a fourni le prétexte cette fois, en marge du sommet de l’Otan d’Istanbul. Le président Bush aurait pu ne rien dire sur la question et se satisfaire d’une réunion qui, sans répondre à 100% de ses attentes, n’a pas négligé non plus les préoccupations de Washington. Le lieu de la tenue du sommet, il est vrai, a sûrement contribué à l’expression de cette solidarité américaine, bien qu’elle fût hors-sujet au regard de la nature de la rencontre.

«Vous devriez obtenir une date de l’UE pour votre éventuelle accession à l’UE», a déclaré dimanche le président Bush en s’adressant à ses hôtes. Ce n’était pas la première fois que Washington manifestait ainsi son appui à son allié. Mais dans le contexte, le président français à estimé lundi qu’«il est non seulement allé trop loin, mais il est allé sur un terrain qui n’est pas le sien». «Il n’avait aucune vocation à donner une obligation ou une voie quelconque à l’Union européenne. C’est comme si j’expliquais aux Etats-Unis la façon dont ils doivent gérer leurs relations avec le Mexique», a expliqué Jacques Chirac, fixant ainsi les limites de l’intervention américaine dans les affaires intérieures de l’Europe. La vivacité de la réaction française marque la ligne, et les thèmes, de fracture entre les deux univers diplomatiques.

Mais le paradoxe, dans cette affaire, c’est la parfaite convergence de vue sur le fond du dossier. En effet, les deux hommes sont exactement sur la même ligne, même si ce n’est probablement pas pour les mêmes raisons, c’est à dire en faveur de l’adhésion de la Turquie et du processus d’examen de la candidature d’Ankara. Le président français a en effet réaffirmé que l’intégration de la Turquie à l’UE était «souhaitable» et que ce pays avait «une vocation européenne historique». M. Chirac a rappelé que la perspective d’une Turquie européenne avait été formulée voici déjà 40 ans et qu’il était de l’intérêt politique de l’UE «de l’avoir avec nous et pas en dehors», bien qu’il ait insisté sur le fait que «les négociations seront longues et difficiles, aussi bien pour l’Europe que pour la Turquie».

Il y a en réalité, dans la conception même de l’approche des relations internationales, une dimension irréconciliable entre les deux hommes. Tandis que l’Américain soutient bruyamment, de tout le poids de son hyperpuissance, sa fidèle alliée dans la région, l’Européen plaide pour une diplomatie moins tonitruante et plus respectueuse du protocole, des prérogatives et des délais fixés. Deux traditions sont en concurrence, entre l’américaine fondée sur un unilatéralisme doublement renforcé par l’épreuve du terrorisme international et une administration républicaine conservatrice, et l’européenne reposant sur le système multilatéral des organisations internationales.

La contribution de Bush pourrait s’avérer terriblement contre-productive

Venant d’un président comme George W.Bush, dont la personnalité est désormais étroitement associée à l’image d’une Amérique belliqueuse et manichéenne, ce soutien apporté à la Turquie risque paradoxalement de nuire aux efforts des alliés européens d’Ankara. En raison de l’impopularité du président américain, faire apparaître la Turquie comme un allié privilégié des Etats-Unis au sein de l’Union européenne était peut être le plus mauvais service à rendre à cette candidature. L’examen de l’adhésion, dont le principe sera adopté ou rejeté en fin d’année, est déjà au centre de bien des polémiques et s’invite jusqu’au cœur des campagnes électorales nationales et européennes. Les opinions publiques, échaudées par les menaces venues d’Orient, sont réticentes et nombre de partis politiques nationaux se sont emparés de ce thème pour fixer les frontières géographiques, culturelles, religieuses de l’Union. Au moment où nombre de dirigeants européens tentent d’arracher de leur classe politique et de leur opinion publique une position nuancée, la contribution du président Bush pourrait s’avérer terriblement contre-productive.

On comprend mieux alors la réplique de Jacques Chirac, dont le coup de gueule trahit autant l’agacement face à un sujet suffisamment complexe pour ne pas rajouter à la difficulté, qu’une volonté d’en découdre à nouveau avec son ennemi intime préféré d’outre-Atlantique. On s’étonnerait dans ces conditions que l’incident n’ait pas été au centre de l’aparté à trois, lundi soir en marge du sommet, entre le chancelier allemand, le président français et le Premier ministre turc. Les deux Européens ne font pas mystère de leur engagement à soutenir le processus d’adhésion de la Turquie. Mais ils entendent bien garder la maîtrise d’un dossier extrêmement sensible qui réclame un sans-faute de leur part et notamment que s’abstienne, selon eux et en l’état des relations internationales, un président américain qui semble ne pas mesurer toute l’étendue de l’impopularité de sa politique étrangère et des effets désastreux de l’expression de sa solidarité.

Mardi, M. Bush a récidivé devant les étudiants de l’université de Galatasaray, à Istanbul. «Les Etats-Unis estiment qu’en tant que puissance européenne, la Turquie a sa place dans l’Union européenne», a réaffirmé le président américain, soulignant que son adhésion «représenterait une avancée cruciale pour les relations entre le monde musulman et l’Occident, car elle fait partie des deux». «Inclure la Turquie dans l’UE démontrerait que l’Europe n’est pas un club exclusif comprenant une seule religion», a encore estimé George Bush.



par Georges  Abou

Article publié le 29/06/2004 Dernière mise à jour le 29/06/2004 à 13:26 TU

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Journaliste, envoyé spécial de RFI à Istanbul

«Jacques Chirac estime que le sommet d’ Istanbul a rapproché les positions française et américaine, en laissant entendre que ce sont plutôt les États-Unis qui ont évolué sur le dossier irakien, et pas la France.»

[29/06/2004]

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