Nucléaire civil
Le plutonium américain débarqué à Cherbourg
(Photo: AFP)
Les protestations des écologistes n’y ont rien fait et le transporteur est satisfait: «L’arrivée du Pacific Pintail s’est en tous points extrêmement bien passée, et le transport aussi», déclare le porte-parole de la Cogema. Les 140 kilos de plutonium militaire américain ont été déchargés mercredi à l’aube du cargo britannique sur le port commercial de Cherbourg, à l’extrémité de la presqu’île normande du Cotentin, et acheminés vers l’usine de retraitement toute proche (18 km) de La Hague sous forte escorte policière et militaire. La Hague n’est toutefois pas la destination finale du plutonium fraîchement débarqué. Lors de son passage dans l’usine normande, il sera reconditionné afin d’affronter dans les meilleures conditions un voyage de 1 200 km à travers la France pour gagner l’usine de Cadarache, dans le sud-est du pays, où son retraitement pourra commencer.
Outre les moyens policiers et militaires considérables mis en oeuvre, des moyens juridiques ont également été mis à la disposition des opérateurs pour écarter la menace d’un blocage du convoi par les manifestations des écologistes qui saisissent à chaque occasion ce genre d’événement pour dénoncer les dangers liés à l’industrie nucléaire. Depuis plusieurs jours, dans l’attente du convoi, ces derniers ont mené une veille sur le port de Cherbourg et ont tenté mardi de bloquer la route entre la cité portuaire et l’usine de retraitement. Equipés de canots légers et rapides, les écologistes de Greenpeace sont passés maître dans les techniques de harcèlement maritime, d’entrave et d’abordage. Mercredi à l’aube, l’un des canots de l’organisation a été arraisonné et saisi et ses huit occupants brièvement interpellés. En conséquence, saisi par le transporteur britannique British Nuclear Fuel et le spécialiste français de l’activité Areva, le tribunal de grande instance de Cherbourg a interdit mardi soir aux écologistes de s’approcher à moins de 300 mètres des navires du convoi, ou 100 mètres des camions qui transporteront le plutonium. Les contrevenants s’exposent à verser des astreintes de 75 000 euros à chacun des deux plaignants.
«L'économie est sous perfusion nucléaire»
Cette affaire semble néanmoins se dérouler dans un contexte de relative indifférence de l’opinion publique française. Contrairement à la situation des voisins de la France, Allemands notamment, le mouvement anti-nucléaire peine à entraîner les masses. L’électricité consommée en France est à 80% d’origine atomique et, depuis deux générations, les Français vivent dans un environnement industriel nucléaire à la fois omniprésent et invisible, avec une soixantaine de centrale en activité. Le secteur fournit de l’emploi dans des régions parfois sinistrées. «Ici, notre économie est sous perfusion nucléaire», constate le président du Comité de réflexion et de lutte anti-nucléaire de la région de la Hague dans les colonnes du Monde.
Le plutonium américain du Pacific Pintail est un héritage de la guerre froide et des différents accords conclus entre Moscou et Washington pour faire baisser une tension internationale qui menaçait de s’emballer à tout propos, à tout moment. L’opération en cours, baptisée «Mox for peace» est l’application du dernier paragraphe de l’accord Start, finalement signé en 2000 entre la Russie et les Etats-Unis après 18 ans de négociations, et prévoyant de recycler, au terme du processus, 38 tonnes de plutonium militaire en carburant nucléaire pour les centrales civiles.
Deux tonnes de «Mox» (mixed oxyde fuel), le carburant nucléaire civile, doivent être tirées des 140 kilos du plutonium américain. Après quoi, au terme de quatre mois de retraitement dans l’usine de Cadarache, dans le sud de la France, la cargaison doit retourner aux Etats-Unis pour y alimenter des réacteurs civils et fournir l’équivalent d’un an d’électricité à une ville de 100 000 habitants. Les experts rappellent qu’un gramme de plutonium produit autant d’énergie que 120 tonnes de pétrole.
La communication d’Areva ne manque d’ailleurs pas de souligner que les protestations écologistes s’inscrivent dans un contexte paradoxal de désarmement nucléaire. Le plutonium qui a accosté mercredi matin sur les côtes françaises représente une vingtaine de bombes atomiques comparables à celle qui explosa le 9 août 1945 sur la ville japonaise de Nagasaki (148 000 morts et blessés). «Si le test est qualifié, 34 tonnes de plutonium militaire vont disparaître de la planète», souligne le porte-parole d’Areva, Jacques-Emmanuel Saulnier. Selon lui, «Greenpeace a essayé de faire de l’écologie spectacle».
Le souvenir de Three Miles Island
On peut s’interroger sur le retard pris par la première puissance économique et militaire mondiale et son incapacité, en l’état de ses installations, à retraiter ses propres déchets nucléaires. Washington, il est vrai, a frisé la toute première catastrophe civile du genre, à Three Miles Island, le 28 avril 1979, lorsque le cœur du réacteur échappant à tout contrôle menaça de fondre. L’affaire provoqua une méfiance à l’égard du nucléaire civil dont les effets sont encore perceptibles au sein de la société américaine. Craintifs en matière de technologie nucléaire, et peut-être avare des sommes considérables qu’il faut dégager des budgets pour investir dans un secteur qui ne supporte aucun défaut, les Américains ont donc opté en 2002 pour la technologie française.
En réalité cette opération est une réalisation conjointe franco-américaine dans le cadre d’un accord baptisé «Eurofab». Washington a construit sur le site français de Cadarache les installations expérimentales visant à recycler en mox le plutonium militaire. La formule n’est pas encore validée aux Etats-Unis et le projet «Eurofab» doit constituer une étape importante dans l’obtention de l’autorisation réglementaire d’utiliser ce nouveau type de combustible aux Etats-Unis. La seconde étape sera de construire sur le sol américain, à Savannah River dans l’Etat de Caroline du Sud, la première usine américaine de Mox en collaboration avec le groupe nucléaire français Areva, qui attend 300 millions d’euros de ce transfert de technologie.
Il s’agit donc d’une opération limitée. Le site choisi, Cadarache, est d’ailleurs destiné à être démantelé en raison des nouvelles normes sismiques en vigueur auxquelles il ne répond pas. Là encore, les écologistes protestent en raison du «risque sismique encouru par le centre de Cadarache (…) avéré et non contestable». Le projet a néanmoins reçu le feu vert des autorités françaises en raison de l’environnement industriel spécialisé offert par les installations pour une intervention aussi ponctuelle.
par Georges Abou
Article publié le 06/10/2004 Dernière mise à jour le 06/10/2004 à 15:43 TU