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Chine

La souris cyberdissidente en acier inoxydable

Liu Di, alias «<EM>La souris en acier inoxydable</EM>», en 2003, après une année passée en prison pour avoir diffusé des textes politiques sur Internet. 

		(Photo: AFP)
Liu Di, alias «La souris en acier inoxydable», en 2003, après une année passée en prison pour avoir diffusé des textes politiques sur Internet.
(Photo: AFP)
Son nom de code était « la souris en acier inoxydable ». Arrêtée en novembre 2002 puis relâchée après une année passée sous les verrous chinois, Liu Di, une étudiante en psychologie à l’Ecole normale de Pékin, aujourd’hui âgée de 24 ans, a été accusée d’ « atteinte à la sécurité d’Etat ». Le régime chinois lui reproche la diffusion sur Internet de textes politiques et la demande de libération du plus vieux cyberdissident, Huang Qi, toujours emprisonné pour « subversion du pouvoir de l’Etat ». Libérée sans procès en décembre 2003, Liu Di est aujourd’hui diplômée de psychologie.

RFI : Pouvez-vous nous raconter comment s’est déroulée votre arrestation en novembre 2002 ?

Liu Di : Mon arrestation s’est produite le 7 novembre 2002 à 10 heures du matin, dans mon université. Les professeurs m’ont demandée d’aller au bureau de la protection de l’université et là-bas des hommes du bureau de la sécurité publique de Pékin m’ont dit que j’avais commis des choses illégales par rapport à la loi chinoise et que j’étais en état d’arrestation. A l’époque je ne savais pas du tout pourquoi on m’arrêtait. Ensuite ils m’ont dit que j’avais porté atteinte à la sécurité de l’Etat. Ils m’ont reprochée de vouloir organiser avec d’autres internautes un parti politique et d’appartenir à une organisation illégale. Ils m’ont montré certaines preuves mais ça n’a jamais été très clair. Ils m’ont alors emmenée au commissariat de la ville de Pékin où j’ai eu un long interrogatoire. Puis ils m’ont gardée pendant un an dans une cellule ,dans un autre endroit qui dépend de ce même commissariat. Ils m’ont ensuite relâchée sans que mon cas soit passé par la justice.

RFI : Quelles activités aviez-vous à ce moment-là ?

LD : Depuis l’université je publiais certains articles sur Internet mais je ne pensais pas du tout qu’ils étaient illégaux, que le contenu était si grave et que cela produirait quelque chose d’aussi énorme ensuite. Ce sont des articles qui avaient un contenu politique mais sous une forme humoristique, comme on en trouve partout sur le Net chinois. Bien sûr, ce n’était pas très positif pour le gouvernement chinois mais mes articles n’étaient pas plus violents que tous ceux que l’on trouve sur d’autres forums de discussions. Par exemple, on a publié un article après l’arrestation du cyberdissident Huang Qi dans lequel je conseillais à tous les internautes de se livrer à la justice : une manière pour nous de soutenir ce responsable d’un site Internet. Personnellement je n’ai jamais eu de contact avec Huang Qi.

RFI : Lors de vos publications sur Internet vous signiez du pseudo « la souris en acier inoxydable », pourquoi avoir choisi ce nom ?

LD : En fait j’ai choisi ce nom après avoir lu un roman humoristique américain. Je m’en suis servi ensuite comme identité pour signer mes articles sur Internet. Dans ce roman les valeurs sont inversées et la souris apparaît comme un anti-héros.

RFI : Est ce qu’aujourd’hui vous considérez que vous avez été une activiste ou une militante ?

LD : Je ne pense pas avoir été une activiste puisque j’étais une personne qui restait dans sa chambre et qui écrivait depuis sa chambre. Je n’ai jamais participé à des activités publiques, tout s’est toujours fait en privé. Les internautes organisaient de temps en temps des petits groupes de réflexion pour discuter sur des thèmes, mais vraiment rien de bien méchant. On avait des réunions entre internautes où on discutait de différents thèmes que cela soit culturel ou politique. Je ne pense pas que quelqu’un comme moi puisse avoir des effets négatifs sur le pouvoir de l’Etat. Dans mon cas, c’est stupide car si on regarde le résultat et le bruit que cette histoire a fait c’est beaucoup plus négatif pour le gouvernement que pour moi.

RFI : Comment arrive-t-on, comme vous qui aviez à l’époque 22 ans, à écrire et à s’engager politiquement sur Internet ?

LD : Quand je suis arrivée à l’université il y a quatre ans, tout le monde surfait sur Internet, j’ai donc moi aussi appris à surfer sur les forums de discussions avec des amis. Au départ je n’écrivais pas d’articles ; je regardais ceux des autres sur les forums. Puis je me suis mise à écrire car tout simplement ça me plaisait bien et j’écrivais pas mal. J’aurais très bien pu écrire des romans mais c’était trop difficile donc j’ai commencé par faire des commentaires sur l’actualité car c’était plus facile à écrire.

RFI : Quelles ont été vos conditions de détentions pendant un an ?

LD : J’étais dans une cellule avec quatre ou six autres personnes, une cellule de 7 ou 8 m2. On est là toute la journée sans avoir le droit d’écrire ou de passer un coup de téléphone à sa famille ou même de les voir. J’ai seulement pu voir un avocat commis d’office. Pour la nourriture on mangeait du choux et du pain chinois. Ceux qui avaient de l’argent pouvaient acheter eux-mêmes leur nourriture. Dans la prison, ils ne nous laissaient pas sortir. Donc on passait toute la journée dans la cellule. Sur un an j’ai du sortir une dizaine de fois dans la cour. Mais au moins on ne nous battait pas et il n’y avait pas de tortures. Quand on sortait pour les interrogatoires en dehors de la cellule, on nous menottait.

RFI : Quelles types de questions vous a-t-on posé durant un an ?

LD : C’était toujours des questions sur mon cas et mon arrestation. Mais d’un point de vue juridique je n’ai pas été jugée, c’est-à-dire qu’il n’y a jamais eu de procès. J’ai été relâchée à la fin de ma détention sans qu’il y ait de condamnation. On m’a libérée car on m’a dit que mon délit ne méritait pas un procès.

RFI : Comment vivez-vous aujourd’hui ?

LD : Maintenant j’ai terminé mes études mais je n’ai pas de vrai travail. C’est un peu compliqué pour moi d’en trouver. Alors j’aide des amis à traduire des textes, à corriger des manuscrits. C’est une chose que je n’oublierai jamais car d’un point de vue psychologique il y a des choses que je n’ai pas réglées avec moi-même. Ca pèse sur ma vie actuelle et ça pèsera sur ma vie future. A certains moments de l’année comme pour le 4 juin, jour de la commémoration du massacre de la place Tian Am Men, ou à d’autres moments importants de la vie en Chine, il y a toujours des voitures de police devant chez moi qui me surveillent. Je ne sais pas jusqu’à quand ils vont continuer à faire ça mais, pour le moment, ça fait partie de ma vie. Avant cette histoire, personne ne me connaissait alors que maintenant je suis plus ou moins connue pour le soutien que j’ai reçu à travers le monde. Je souhaite d’ailleurs remercier tous les gens qui m’ont soutenue.



par Propos recueillis à Pékin par Michaël  Sztanke

Article publié le 12/10/2004 Dernière mise à jour le 12/10/2004 à 14:20 TU

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RFI soir : la cyberdissidence en Chine

«Cette impressionante croissance (de l'Internet en Chine) est accompagnée d'un renforcement tout aussi impressionant et permanent du contrôle de la censure et de la répression»

[12/10/2004]

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