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Extraction de pétrole au Nigeria.  

		(Photo: AFP)
Extraction de pétrole au Nigeria.
(Photo: AFP)
Les prix du pétrole s’envolant, les producteurs d’Afrique sub-saharienne ont le vent en poupe sur la scène mondiale. Les compagnies pétrolières occidentales extraient déjà plus de 9 millions de barils de pétrole par jour en Afrique dont la moitié dans la région du golfe de Guinée, soit 36 % de plus en dix ans. La tendance va s’accélérer avec de nouveaux producteurs comme la Côte d’ivoire ou la Mauritanie et la montée en force des derniers arrivés dans la lice pétrolière, Tchad ou Guinée équatoriale. Pourtant, la bonne fortune pétrolière n’est pas au rendez-vous des consommateurs africains malgré des effets interactifs nouveaux entre prix et intérêt international à propos de la grève au Nigéria par exemple. Reste à savoir si le train du développement passera chez les producteurs. Ailleurs, comme en Erythrée, c’est déjà la panne d’essence.

Les Etats-Unis par exemple pourraient acheter un quart de leur brut en Afrique d’ici 2020, soit près de 10% de plus qu’aujourd’hui. Objet stratégique de leur attention vigilante, le Soudan n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière avec 186 000 barils quotidiens. De son côté, la Libye concentre 3,5% des réserves mondiales d’or noir avec sa provision de quelque 40 milliards de barils. Mais si la paix dans le Darfour soudanais traîne encore les pieds et si le partage de l’or noir entre Khartoum et ses rebelles sudistes n’en finit pas de retarder l’essor de sa production, les champs pétroliers libyens sont désormais ouverts à la compétition. Les visites commerciales se succèdent, avec, dernière en date, celle du chancelier allemand Gerhard Schroeder à la mi-octobre. A côté de promesses d’investissements dans les infrastructures ferrées ou portuaires, la société allemande Wintershall, filiale de BASF, va s’engager pour un demi milliard de dollars dans les champs de pétrole libyen où elle exploite déjà cinq stations de forage. Le pétrole africain constitue plus que jamais une valeur stratégique et la stabilité des Etats où il coule concerne désormais au plus haut point le marché international.

Croissance sans développement

En Afrique sub-saharienne, le Nigeria reste en tête des producteurs avec 2, 5 millions de barils. Lagos vise les 3 millions sous trois ans et plus de 4 millions en 2020. Tout juste derrière, l’Angola veut doubler sa production (1,07) en parvenant à deux millions de barils par jour d’ici quinze ans, voire franchir la barre des trois millions. Nouvelle venue parmi les producteurs, la Guinée équatoriale, brigue le troisième rang, avec 740 000 barils par jour à l’horizon 2020 contre 360 000 cette année, devant le Congo Brazzaville (240 000) et le Gabon (250 000). Le Tchad a démarré au dernier trimestre 2003 l’exploitation de ses réserves estimées à 160 millions de tonnes. Il devrait continuer dans un premier temps à mettre sur le marché quelque 110 000 barils chaque jour. Aujourd’hui, cinq des six pays membres de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale produisent du pétrole. Les produits et activités générés par l’or noir ont compté en 2003 pour 27% dans le PIB d’Afrique centrale et 76% des exportations de la région. A la veille de la présidentielle de 2005, le Gabon va réviser son budget à la hausse, avec 14,2% supplémentaires par rapport à 2004, grâce à l’augmentation des recettes pétrolières (+28,7%) tirées de «la bonne tenue des cours du pétrole». Celle-ci a d’ailleurs convaincu les pétroliers de ne pas délaisser le Gabon avant d’avoir extrait la dernière goutte ses réserves en voie de tarissement.

Le ministre de l’Energie algérien indique que la demande grandissante de pétrole et la hausse des prix qui l’accompagne «nous offre l'opportunité d'augmenter nos capacités de raffinage à 50% de la production de pétrole brut qui sera de 1,5 million de barils par jour en 2005 et 2 millions de barils par jour en 2010». De son côté, le président Bouteflika prophétise à son pays un taux de croissance supérieur à 5,8% en 2004, après celle de près de 7% en 2003. Jusqu’à présent, les Algériens n’ont rien vu de cette embellie, ni dans le panier de la ménagère, ni en terme d’emplois par exemple. Au Nigéria, le 14 octobre, après quatre jours de grève générale, le Congrès national du travail (NLC), la principale centrale syndicale a donné au quinze jours au gouvernement pour renoncer au 25% d’augmentation du prix des carburants décidé le 23 septembre, faute de quoi il décrèterait une nouvelle grève générale, illimitée cette fois. Le président Olusegun Obasanjo a créé un comité ad hoc. Le 12 octobre, en présentant son budget 2005, il a promis une augmentation équivalente (24%) des dépenses publiques. Il a aussi indiqué que le surplus budgétaire, tiré de la hausse des cours et estimé à 4,6 milliards de dollars fin 2004, servira à combler les déficits passés, le reste étant thésaurisé pour faire face à une éventuelle chute des cours.

Tablant sur une croissance de 7 %, le président du Nigéria espère également réduire l'inflation de 20 à 10% l'année prochaine. Il n’a pas pour autant désamorcé la colère des gagne-petits du premier producteur de pétrole brut africain qui est aussi le sixième exportateur mondial et le cinquième fournisseur des Etats Unis. «Sur le long terme, chacun récoltera les bénéfices» de la politique de libéralisation en cours de la distribution pétrolière, assure Olusegun Obasanjo. Dans l’immédiat, elle est insupportable pour la majorité des 130 millions de Nigérians, dont 80% survivent avec moins d'un dollar par jour. Elle ruine nombre de petits transporteurs et dévore les maigres profits des innombrables «fourmis» qui, au Nigéria et dans toute la région, détaillent le pétrole à la bouteille. En revanche, la grève générale n’a pas affecté la production. Mais avec l’hiver aux portes de l’Occident, le mot d’ordre des syndicats a soulevé un émoi international assez inédit. Lorsque le NLC a suspendu la grève, le prix du pétrole s’est figé autour du record historique des 55 dollars. «C'est un soulagement car les gens s'inquiétaient un peu au sujet de cette grève, mais on ne sait jamais à quelle vitesse les choses peuvent tourner là-bas», indiquait alors un courtier américain. Rendez-vous à la fin du mois.

Valeur stratégique

La Côte d’Ivoire a des espoirs de pétrole dont les mauvais esprits assurent qu’ils ne sont pas pour rien dans le conflit en cours. En attendant, le 19 octobre, les prix ont grimpé de 10 % pour l’essence, à 23% pour le gazoil et même 38% pour le pétrole lampant. Autant dire que certains ne pourront plus se déplacer ou s’éclairer. Autre pays non producteur, étranglée par la hausse des cours et visiblement en panne de devises, l’Erythrée a fermé les robinets des pompes d’essence dans l’après-midi du 15 octobre. Elle avait au préalable tenté l’expérience du rationnement (en septembre) puis augmenté les prix. Le litre d'essence avait grimpé de 40% et le diesel de 25%. Mais finalement «augmenter le prix de l'essence n'est pas la solution, cela affecte les personnes à faibles revenus», ont observé les autorités, en expliquant qu’elles réserveraient désormais «l'essence aux services publics et aux programmes de développement dans le meilleur intérêt de la nation». Après avoir beaucoup consommé entre 1998 et 2000 (pendant le conflit frontalier avec l’Ethiopie), Asmara ne veut plus gaspiller une larme du nerf de la guerre. L’Erythrée importe la totalité de son carburant. Elle en connaît la valeur stratégique. Ceci explique sans doute largement son intérêt pour les affaires intérieures soudanaises.

Lui-même convaincu de corruption par les observateurs bancaires internationaux, le pouvoir équato-guinéen s’est lancé dans un chantage pétrolier avec Londres, si l’on en croit le quotidien britannique The Times qui assure que la Grande-Bretagne pourrait perdre plusieurs millions de livres de contrat faute d’enquête sur la participation présumée d'hommes d'affaires, parmi lesquels Mark Thatcher, dans la tentative de putsch contre Malabo en mars dernier. Forte de son or noir, la Guinée équatoriale refuserait d’être «traitée comme un Etat africain de rien du tout». De son côté, le président tchadien Idriss Deby soupçonne les compagnies pétrolières de voler son pays. Le 7 octobre, il a accusé notamment le consortium américano-malaisien Exxon-Mobil-Chevron-Texaco-Petronas, chargé de l'exploitation du brut tchadien, de mettre celui-ci sur le marché à vil prix. Exxon-Mobil réfute bien évidemment ces accusations. Mais l’interprétation des chiffres reste sujette à caution. Idriss Deby exige des pétroliers la transparence qu’il a été lui-même contraint d’accepter, la Banque mondiale imposant une affectation précise aux revenus du pétrole tchadien.

Début octobre se jouait à Paris une nouvelle page, en appel, de la tentaculaire affaire du géant pétrolier français Elf. En huit ans d’instruction elle a mis en lumière quelques unes des filières corrompues qui ont permis de remplir de pétrole les poches de politiciens et de dirigeants français et africains. Quelques têtes sont tombées. Les pétroliers intègrent ce risque dans leur profit. Les concernant, la campagne anti-corruption lancée par Global Witness, «Dites ce que vous payez» en royalties, a valu en 2001 à la British petroleum des menaces de rupture de contrat en Angola. Pour les compagnies, les considérations financières prévalent. Pour les Etats, les intérêts stratégiques se conjuguent avec les appétits de pouvoir. Reste à savoir quelle place ces préoccupations peuvent laisser en Afrique au souci de développement comme facteur de stabilité.



par Monique  Mas

Article publié le 20/10/2004 Dernière mise à jour le 20/10/2004 à 15:02 TU