Tchad
Les revenus pétroliers en question
( Photo : AFP )
De notre correspondante au Tchad
« Mon pays a besoin du soutien de ses partenaires pour son développement économique et social. Investissez au Tchad ». L’appel est lancé par le président tchadien Idriss Déby dans son discours inaugurant la conférence internationale sur le gaz et le pétrole organisée pendant deux jours à N’Djaména. Cette cérémonie rassemble les sociétés pétrolières (Esso, Encana, Pétronas), des investisseurs privés et des banquiers internationaux, ainsi que les ministères tchadiens concernés : Pétrole, Economie et Finances. Le ton est donné : les sujets qui fâchent ne seront pas abordés dans ce cadre institutionnel qui crée l’événement dans la capitale tchadienne.
En fin de semaine dernière, en effet, un article de la presse présidentielle, relayé par les médias locaux et internationaux, accusait le consortium de « brader le brut tchadien ». Le document, « Pétrole tchadien : arnaque, opacité et fraude dans l’exploitation du brut » ne laisse guère d’ambiguïté. Il souligne que 50 millions de barils ont été écoulés depuis le mois d’août 2003 pour un chiffre d’affaires de 900 millions de dollars, alors que le Tchad n’a perçu que 70 millions de redevances.
« Les revenus pétroliers de janvier 2004 à nos jours sont effectués sur la base d'un prix d'environ 25 dollars le baril proposé par le consortium, un prix qui ne rencontre pas l'agrément du ministère du Pétrole », ajoute le document.
Plus largement, c’est l’application de la convention signée entre les deux parties qui ne serait pas respectée selon le gouvernement tchadien. Du côté d’Esso, on se déclare surpris. Un communiqué signale que le consortium a toujours transmis les prix au gouvernement dans la plus grande transparence et que ces prix sont d’abord fixés par le marché international. La société pétrolière ne souhaite pas commenter dans les détails les points soulevés et ne s’exprimera publiquement que lorsque les négociations seront achevées.
Arnaque ou transparence ?
Or, ce qui est nouveau au Tchad, c’est la mobilisation de la société civile qui fait front derrière le gouvernement. « Mieux vaut tard que jamais. Nous, qui avons été traités d’opposants hystériques parce que nous dénoncions des négociations mal préparées, on nous donne aujourd’hui raison », explique Dobian Assingar, président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme et membre du collège de surveillance des revenus pétroliers (qui réunit des représentants des ONG, des députés, des syndicats, des religieux, et des représentants des banques et du Trésor). « Ce qui pose problème, pointe-t-on au collège de surveillance, c’est tout ce qui se passe avant que l’argent n’arrive sur le compte, c'est-à-dire la manière dont se négocie le prix sur le marché, avec les traders ».
Il est en effet difficile pour le gouvernement tchadien de se renseigner sur la vraie valeur du baril de Doba, tout simplement parce que les prix évoluent sans cesse et qu’il est nécessaire de connaître dans les moindres nuances les acteurs du marché du pétrole (raffineries et sociétés de trading), tout en suivant au jour le jour les variations complexes de l’offre et la demande. De plus, le brut de Doba est confronté à plusieurs obstacles : en tant qu’huile nouvelle, il faut créer un marché, convaincre les raffineries qui sont d’autant plus méfiantes que ce brut se caractérise par une acidité et une corrosivité importantes. Autant de frais supplémentaires à intégrer dans les coûts de traitement de cette huile.
Reste à savoir si cette pression du gouvernement tchadien sur Esso traduit une volonté de renégocier les accords sur les champs de Komé, Bolobo et Miandoul. En tout cas, une des seules issues à cette prise de bec semble être l’appel à un cabinet d’audit qui pourra évaluer le prix du brut et conclure à l’arnaque ou à la transparence.
par Stéphanie Braquehais
Article publié le 14/10/2004 Dernière mise à jour le 14/10/2004 à 09:16 TU