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Tchad

L’or noir et le défi de la transparence

L’ouverture symbolique de la première vanne pétrolière par le président Deby, s’est effectuée dans une atmosphère d’assurances et de suspicions. Pays pauvre qui attend beaucoup de la manne pétrolière, le Tchad , avec l’aide des bailleurs de fonds, s’est doté d’un dispositif censé éviter l’opacité dans la gestion des revenus pétroliers. Ce qui n’a pas suffit à convaincre les sceptiques qui concentrent sur le régime les pires soupçons.
De notre envoyé spécial au Tchad.

Pour symbolique qu’elle fût, Idriss Deby la voulait grandiose cette «fête du pétrole». La veille, c’était le tour de Doba, localité qui rappelle en bien des points les autres villes de cette région pétrolière, dans le Sud du pays. Une ville poussiéreuse par temps de saison sèche, affichant ostensiblement ses échoppes -tentes construites en plein air, ou bâtisses en terre battue-, sa voirie dans l’attente de jours meilleurs, ses installations sanitaires et scolaires que beaucoup espèrent voir améliorées, avec une impatience non dissimulée. Grâce à la manne pétrolière.

Ce 10 octobre 2003, la cérémonie officielle d’ouverture de la première vanne se déroule au «Centre des Opérations de Kome 5», avec ses énormes réservoirs- les tankers-, et son impressionnant enchevêtrement de tuyaux. C’est ici que le pipeline s’enfouit dans le sol, pour une trajet de 1070 kilomètres, dont plus de 900 sous le sol camerounais, jusqu’à la ville méridionale de Kribi. C’est ici, que le chef de l’Etat tchadien, - entouré de ses homologues Sassou Nguesso du Congo, Francois Bozize de la République centrafricaine, Tandja Mamadou du Niger, et des représentants des présidents du Cameroun, de la Libye, du Nigeria- entonne l’hymne de l’espoir que charrie l’exploitation de l’or noir, par le consortium, composé d’Exxon mobil (40%), Petronas (35%), Chevron Texaco (25%).

Selon des estimations, sur la base d’une projection de vente de 16 dollars le baril, avec une production qui devrait culminer à 225 000 barils par jour dès 2004, le Tchad devrait engranger des gains de l’ordre de 2 milliards de dollars sur une période de 30 ans que durera ce projet, pour lequel la caution de la Banque mondiale a été décisive. «Les retombées de l’exploitation du brut profiteront à l’ensemble de la Nation tchadienne. Personne n’a le droit d’en douter», lâche Idriss Deby, visiblement heureux.

Avec l’appui des institutions de Bretton Woods, le Tchad a mis sur pied un dispositif de gestion de ressources pétrolières. La loi de janvier 1999 portant gestion des revenus pétroliers , et la création d’un Collège de contrôle et de surveillance des ressources pétrolières, dont la mission est de «vérifier la conformité des engagements sur les comptes spéciaux avec la loi des finances, contrôler et autoriser l’affectation des fonds et les décaissements des comptes spéciaux».

Les assurances des uns, les inquiétudes des autres

Le gouvernement et la Banque mondiale y voient un gage de transparence. Ce que contestent nombre d’Organisations non gouvernementales et quelques acteurs politiques de premier plan recrutés dans les rangs de l’opposition. Les clés de répartition des revenus sont au moins connues : 90% seront versés sur des comptes spéciaux du Trésor logés dans une ou deux banques de la place, tandis que les 10% restants seront déposés dans un compte d’épargne ouvert dans une institution internationale au profit des générations futures. Mais encore : la première partie de ces fonds (90%) font aussi l’objet d’une autre répartition qui prévoit que 80% sont destinés aux financements des secteurs prioritaires (éducation, santé, infrastructures, etc.), 15% devant couvrir les dépenses de fonctionnement de l ‘Etat, et 5% versés dans les caisses des collectivités décentralisées de la région pétrolière.

S’y ajoutent un Plan de développement régional pour la zone pétrolière, en cours d’élaboration, et les actions du Fonds d’actions concertées d’initiatives locales (FACIL), qui cristallisent les espoirs de développement de la région pétrolière. Dans cette ambiance où les assurances des uns répondent aux inquiétudes des autres, les observateurs attendent de voir jusqu’où peut aller ce que Emmanuel Noubissié Ngamkam de la Banque Mondiale considère comme le «modèle tchadien». Premier repères : les retombées des 950 000 premiers barils de pétrole acheminés sur le marché, début octobre.

«Une utilisation efficace et transparente des premiers revenus pétroliers par les autorités tchadiennes sera décisive pour renforcer la confiance du peuple tchadien et des instances internationales», dit Nils Tcheyan, adjoint au vice-président pour la région Afrique à la Banque mondiale. Plus qu’un avertissement. Certes, la vision des opérateurs sur ce projet est enchantée. «Le projet continue à faire d’importantes contributions aux économies des deux pays. Par exemple, 35 000 personnes ont trouvé un emploi pendant la phase de construction du projet, 80% d’entre eux étant des citoyens du Tchad et du Cameroun. En plus de l’emploi direct, le projet a dépensé plus de 650 millions de dollars dans 2 200 entreprises locales tchadiennes et camerounaises et a contribué à créer une croissance économique considérable dans les économies locales à travers des investissements dans des infrastructures comme des routes et des ponts reliant les villages locaux aux marchés de l’extérieur. Au Tchad, le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) a atteint près de 11% par an depuis que la construction a commencé, par rapport à un taux de 1% avant le projet», affirment par exemple les responsables de Esso Ndjamena, une filiale de Exxon Mobile.

Il reste que de l’avis de tous, le Tchad ne peut se contenter de ses revenus pétroliers pour son décollage économique. Les autorités en premier. «Les ressources pétrolières ne peuvent pas à elles seules développer le pays. Le développement du Tchad passe par le développement de l’agriculture et la pêche», explique le Premier ministre, Moussa Faki Mahamat. Et les bailleurs de fonds ne sont pas de trop. Au contraire. «Malgré l’exploitation du pétrole, il est essentiel que nos partenaires continuent à nous apporter leur appui», explique Idriss Ahmed Idriss, le ministre des Finances. Significatif : l’aide extérieure a contribué aux deux-tiers du budget 2003, les investissements publics sont financés à plus de 90% par les bailleurs de fonds. Le pays est pauvre. Près de 80% de ses 8 millions d’habitants vivent avec moins de 1 dollar (600 Fcfa) par jour. Le gouvernement espère vivement franchir à la mi- 2004 le point d’achèvement de l’initiative en faveur des Pays pauvres très endettés. Ce qui lui ouvre la perspective de bénéficier d’un allègement du stock de sa dette, évaluée à près d’un milliard de dollars.

Lire également:

L'Edito économique de Norbert Navarro du 10 octobre 2003.



par Valentin  Zinga

Article publié le 14/10/2003