Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Tunisie

Zine Ben Ali, l’élu des Occidentaux

Ambiance préélectorale à Tunis devant le siège du parti présidentiel. 

		(Photo: AFP)
Ambiance préélectorale à Tunis devant le siège du parti présidentiel.
(Photo: AFP)
A l’extérieur, les Américains et les Européens plébiscitent sa chasse aux islamistes. A l’intérieur, Zine El Abidine Ben Ali fait des scores de dictateur depuis qu’il a déposé, pour «sénilité», feu le président Habib Bourguiba, le 7 novembre 1987. En se faisant légitimer par 99,7 % des voix en 1989, l’ancien chef de la police tunisienne se présentait alors comme «l’homme du changement», après trois décennies de monopole du Parti socialiste destourien de Bourguiba. Réélu, face à des concurrents préalablement triés sur le volet, avec 99,6 % des suffrages en 1994 et 99,4 % en 1999, le parti du chef de l’Etat a fait modifier la Constitution en 2002. La limitation à trois mandats présidentiels a été levée. Pour l’opposition, le scrutin s’annonce comme une simple formalité de reconduction du président Ben Ali.

A 68 ans, le président Zine Ben Ali ne doute pas de sa capacité à convaincre massivement les 4,6 millions d'électeurs de glisser dans les urnes de dimanche un bulletin à son nom. La réforme constitutionnelle de 2002 valait déjà plébiscite et les trois concurrents qui lui serviront de lièvres se considèrent eux-mêmes, au mieux, comme des candidats de témoignage. «Un peu d’espoir pour ceux qui rêvent de démocratie», confie Mohamed Ali Halouani, investi par le parti de l’Initiative démocratique-Mouvement de la rénovation-Ettajdid (5 sièges au Parlement). Jeudi, Halouani s’est plaint des cinq petites minutes accordées par la télévision publique. «La presse tunisienne a éclipsé notre Initiative et le parti au pouvoir régente les médias audiovisuels», accusait-il, dénonçant la censure de son Manifeste électoral, jugé trop critique, et qualifiant de «candidatures pour le décor» celles de Mohamed Bouchiha et de Mounir Begi investis respectivement par le Parti de l'unité populaire (7 sièges au Parlement) et le Parti social libéral (2 sièges).

Nul n’a oublié que le pugnace docteur Moncef Marzouki, l’ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, avait tâté de la prison en 1994 pour s’être porté candidat à la magistrature suprême. En 1999, la loi avait autorisé la participation de deux chefs de parti de l’opposition légale au scrutin présidentiel. Dimanche, ils seront donc quatre en lice et sept formations d’opposition ont été autorisées. Mais le scrutin n’en apparaît pas moins pour autant une formalité. Le candidat Ben Ali est bien sûr soutenu par son Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, 148 sièges au Parlement), mais aussi par le Mouvement des démocrates socialistes (13 sièges) et par l'Union démocratique unioniste (7 sièges). Il a promis des élections «transparentes» ce qui l’engage beaucoup moins – compte tenu de l’écrasement préalable de l’opposition – que ses affirmations d’avancées démocratiques «à rythme soutenu mais approprié» à la Tunisie.


«Les murs du silence»

En attendant les avancées promises, la Ligue tunisienne des droits de l’homme a produit un rapport accablant dans lequel elle déplore que «la situation des libertés a empiré en 2003 avec l'adoption d'une loi anti-terroriste portant atteinte à des droits essentiels du citoyen, de la société civile et des partis politiques et à la liberté de la presse». Dans un rapport sur les prisons, «Les murs du silence», son président, Me Mokhtar Trifi, estime à «environ 600 le nombre de prisonniers d'opinion» en Tunisie. Une quarantaine seraient soumis à un «isolement continu depuis plusieurs années», jusqu’à treize ans pour certains, «torture, promiscuité, négligences sanitaires» étant d’usage systématique. Ces détenus sont en majorité des militants réels ou supposés du parti islamiste Ennahda interdit. Ce sont des droits communs, rétorque le pouvoir qui en a tiré les plus grands bénéfices diplomatiques depuis le début des années quatre-vingt-dix. Peu après sa prise de pouvoir, il avait en effet entrepris de neutraliser syndicalistes et «rouges» avant de lancer une chasse à l’islamisme bien notée dans les chancelleries occidentales, indifférentes aux critiques répétées des organisations des droits de l’Homme.

«Il y a des yeux dans les murs.»

Dûment agité par le président Ben Ali, l’épouvantail islamiste a admirablement fonctionné des deux côtés de la Méditerranée et sur les deux rives de l’Atlantique. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et celui du 11 avril 2002 contre une synagogue de Djerba ont même renforcé la sympathie de l'Occident à l’endroit du chef de la maison Tunisie auto-proclamé «à l'avant-garde» de la lutte internationale contre le terrorisme. En 17 ans de règne sans partage, Zine Ben Ali a de longue date digéré l’ancien parti unique, neutralisé les autres formations politiques, dilué l’opposition, fait taire les syndicats et contrôlé la presse. Ses méthodes musclées importent peu aux Occidentaux.

La Tunisie est un «pays moderne où les femmes jouent un rôle», se félicitait en décembre dernier le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, venu consacrer à Tunis l'installation d'un bureau régional de l'Initiative de partenariat entre les Etats-Unis et le Proche-Orient (MEPI). Collin Powell entendait marquer à la Tunisie «la reconnaissance de son rôle dans la lutte anti-terroriste comme dans la recherche d'un règlement au Proche-Orient et ses efforts d'intégration régionale».

«Appui amplifié»

De son côté, le président français Jacques Chirac ne tarit pas d'éloges sur «le miracle tunisien». Il a accordé un «appui amplifié» au président Ben Ali pour que Tunis reçoive en décembre 2003 le premier sommet euro-méditerranéen des «5+5» (Europe du Sud et Maghreb). Dans sa région, Zine Ben Ali ne relâche pas ses efforts pour relayer les messages occidentaux dans les domaines politiques et économiques. En 2005, la Tunisie accueillera la deuxième phase du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI), organisé par l'Union internationale des télécommunications pour débattre au plus haut niveau de l'avenir du réseau internet . Pourtant, en la matière, Tunis est surtout un modèle de coercition. En avril 2003 par exemple, neuf internautes ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 26 ans de prison. Le réseau est sous très haute surveillance policière en Tunisie. Reste que là aussi la couverture anti-terroriste fonctionne bien.

Aux femmes tunisiennes qui représentent 25% de la population active, 50% des effectifs universitaires et un quart des candidatures aux législatives, le président Ben Ali promet le travail à mi-temps avec trois quarts du salaire. Il affirme aussi son hostilité au voile islamique, symbole venant de l'étranger, dit-il, au pays de Bourguiba, héraut de l’émancipation des femmes en terres musulmanes, avec Atatürk. Très présentes dans l’industrie textile par exemple, les femmes tunisiennes sont aussi combattives et influentes dans la société civile où l'avocate Radhia Nasraoui ou la journaliste Sihem Bensedrine ont régulièrement payé de leur personne pour la défense des droits de l’Homme. Mais selon ses thuriféraires, après le renversement de Bourguiba, «Ben Ali a agi rapidement pour renverser la situation. Il a progressivement libéré l'économie des fers de la domination étatique et rétabli un Etat de droit sauvegardant les libertés fondamentales des Tunisiens».

Selon les chiffres officiels, le Produit intérieur brut tunisien a été multiplié par cinq, depuis l’avènement de Ben Ali, pour s’élever à 28,13 milliards de dollars en 2004. Dans son dernier rapport, l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) souligne «le recul significatif de la pauvreté et l'amélioration des conditions de vie, la qualité des infrastructures, l'environnement, la santé et la scolarisation». Ces quinze dernières années, son taux de croissance aurait effectivement tourné autour de 5% en moyenne, l’un des meilleurs scores au Maghreb, avec une inflation à plus ou moins 3%.

Le revenu annuel moyen par tête des quelque 10,5 millions de Tunisiens se situe à 3.500 dinars (environ 2 275 euros). Mais le chômage, officiellement à 15%, risque de grimper encore avec l'expiration, en janvier prochain, des Accords multifibres (AMF) qui vont exposer l’industrie textile tunisienne à la concurrence asiatique. Près de 100.000 emplois seraient en jeu, selon la Banque Mondiale. «Derrière l'illusion savamment entretenue d'une économie performante, il y a le démenti tragique du détroit de Sicile, véritable cimetière où s'accumulent les cadavres de jeunes cherchant à fuir par tous les moyens le chômage et la répression», note l’opposant Moncef Marzouki dans le quotidien français Libération.


par Monique  Mas

Article publié le 23/10/2004 Dernière mise à jour le 23/10/2004 à 06:20 TU

Audio

Souhayr Belhassen

Vice-présidente de la Ligue tunisienne des Droits de l'homme et de la Fédération internationale des Droits de l'homme

«Les autorités tunisiennes veulent asphyxier la LTDH»

[07/05/2004]

«Moi, je ne fais pas de politique!»

[22/10/2004]

«Je suis un marginal, un chômeur, un marginal !»

[22/10/2004]

Articles