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Tunisie

Droits de l’Homme : après le harcèlement, l’asphyxie

Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme. 

		(Photo : AFP)
Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme.
(Photo : AFP)
Les autorités tunisiennes ont bloqué les subventions européennes attribuées par Bruxelles à la Ligue tunisienne des droits de l’Homme. Si cette mesure était maintenue, elle pourrait considérablement affecter le fonctionnement de l’organisation et réduire son efficacité.

Le régime tunisien s’illustre à nouveau dans le dossier des atteintes aux droits de l’Homme en menaçant de tarir une importante source de financement de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH). Dans le cadre de l’Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l’Homme, l’organisation tunisienne reçoit de Bruxelles des fonds destinés à la soutenir. Un premier versement de 110 000 euros avait été effectué en avril 2002 et un second, pour un montant de 100 000 euros, était attendu l’année dernière. Or depuis août 2002, cette seconde tranche est bloquée sur décision des autorités de Tunis, au motif que la loi interdit l’utilisation de fonds étrangers par les associations «d’intérêt national» ou «poursuivant un but d’assistance ou de bienfaisance».

Outre la protestation de principe engagée par la LTDH, celle-ci lance un «appel pressant» pour le déblocage de cet argent, affirmant que cette situation menace son fonctionnement. En effet, si elle ne dispose pas des subventions européennes d’ici la fin du mois, elle indique qu’elle ne pourra pas payer le loyer de son siège tunisien et devra donc quitter son local. Selon la LTDH, cette situation aura de graves effets sur ses activités, notamment en termes de capacités d’accueil des citoyens, de traitement des plaintes pour violation des droits de l’Homme, de rencontres entre militants et membres de la société civile tunisienne, et d’organisations de conférences et séminaires. Si les autorités s’obstinent, la Ligue annonce qu’elle se trouvera également dans l’obligation de mettre un terme à l’activité de ses sections régionales de Sfax, Jendouba, Sousse, Mahdia, Gafsa, Gabès, Kairouan, Monastir, Kebili et Bizerte.

Entraves à la liberté de la presse et l’accès aux médias

«Priver la LTDH de son siège, c’est la priver d’un espace qui lui a permis (…) de mener de multiples activités ne pouvant être réalisées nulle part ailleurs, puisque les autorités lui interdisent quasiment tous les espaces publics et souvent mêmes privés», indique l’organisation qui ajoute que ce blocage est «injustifié et sans base légale».

Ce nouvel épisode du bras de fer entre les autorités tunisiennes et la LTDH survient dans un contexte de nouvelles dénonciations du régime du président Ben Ali par les organisations de défense des droits de l’Homme. Ces dernières semaines des rapports ont encore été publiés sur les dérives anti-démocratiques du régime, et en particulier sur les entraves à la liberté de la presse et l’accès aux médias pour les citoyens tunisiens. Le dernier rapport de la LTDH, publié au début du mois, dénonce des «médias sous surveillance» et reproche aux autorités de «poursuivre le verrouillage des espaces d’expression» et de mener «une répression impitoyable de jeunes internautes», lourdement condamnés après avoir été torturés. Tout en soulignant que «la presse publique et privée reste totalement sous le contrôle de l’Etat», l’organisation Reporters sans frontières, tout comme la LTDH, accueillent néanmoins favorablement la fin du monopole audiovisuel. Mais dans son rapport annuel, publié le 3 mai, l’Association des journalistes tunisiens fait état de la poursuite de la censure et de l’aggravation de l’autocensure.

Le président d’honneur de la FIDH refoulé en arrivant à Tunis

A la mi-avril, le rapport sur la situation au Maghreb et au Moyen-Orient présenté à Tunis par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme a déclaré son inquiétude face à «une communauté internationale (qui) n’a jamais été aussi tolérante face aux violations des droits de l’Homme par les Etats» dans cette région. Le président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), dont l’organisation est co-fondatrice de l’Observatoire avec l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), venu assister au lancement du rapport, avait été refoulé en arrivant à Tunis quelques heures auparavant.

Si le régime ne renonce pas à étouffer financièrement la LTDH en débloquant les subventions européennes, d’autres conséquences sont prévisibles car la Ligue attend encore 728 000 euros de Bruxelles pour soutenir un programme visant à soutenir l’indépendance de la justice et l’accès au droit en Tunisie.

«La LTDH est la plus ancienne organisation des droits de l’Homme au Maghreb et le gouvernement tunisien tente de l’asphyxier financièrement», estime la FIDH, vendredi, dans un communiqué adressé aux présidents tunisien, français, du Parlement européen et de la Commission européenne. Depuis 1995, la Tunisie est liée à l’Union européenne par un accord d’association et de libre-échange dont l’un des volets prévoit l’instauration d’un dialogue sur les droits de l’Homme.



par Georges  Abou

Article publié le 07/05/2004 Dernière mise à jour le 16/12/2004 à 10:06 TU

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Souhayr Belhassen

Vice-présidente de la Ligue tunisienne des Droits de l'homme et de la Fédération internationale des Droits de l'homme

«Les autorités tunisiennes veulent asphyxier la LTDH»

[07/05/2004]

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