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Tunisie

Radhia Nasraoui arrête sa grève de la faim

Maître Rhadia Nasraoui a mis un terme à sa grève de la faim ce 10 décembre, jour anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), après 57 jours de jeûne. La militante des droits de l’Homme, défenseur de prisonniers d’opinion, s’était engagée le 15 octobre dans cette action, qui a mis ses jours en danger, pour protester contre le harcèlement professionnel et familial dont elle est l’objet et pour réclamer que justice lui soit rendue après une agression physique subie en juillet dernier. Estimant que sa «bataille avait contribué à dévoiler le caractère policier du régime» Ben Ali, maître Nasraoui a promis aux Tunisiens qui l’ont soutenue de «poursuivre avec vous le combat en faveur des libertés, des droits de l’Homme et de la justice». Pendant ce temps, le président Zine El Abidine Ben Ali participait à Genève à l’ouverture du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), dont la deuxième phase aura lieu à Tunis, en 2005.
Rhadia Nasraoui a perdu quinze kilos en 57 jours de jeûne. Depuis plus d’une semaine, ses médecins lui recommandaient d’arrêter une grève de la faim qui mettait sa vie en jeu. Des militants tunisiens des droits de l’homme avaient imaginé un jeûne de soutien, en guise d’amicale pression. De leur côté, les autorités tunisiennes ont rejeté la plainte de l’avocate comme «des allégations dépourvues de tout fondement». En visite à Tunis pour le sommet Europe-Maghreb entre les dix pays de la Méditerranée, le président français, Jacques Chirac, avait pour sa part évoqué la question avec son homologue Ben Ali, déclarant devant des journalistes que «le premier des droits de l’Homme c’est manger, être soigné, recevoir une éducation et un habitat» et estimant que «de ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est en avance sur beaucoup de pays». «Monsieur Chirac nous a dit en résumé : mangez et taisez-vous», avait commenté Rhadia Nasraoui. Elle a choisi la date symbolique du 10 décembre pour rompre le jeûne. Mais si elle mange, Rhadia Nasraoui assure qu’elle ne se taira pas. L’Homme ne vit pas que de pain, «la liberté et la dignité sont des aspirations fondamentales», plaide l’avocate.

Le 4 décembre, après une visite de travail en Tunisie fin novembre, les avocats représentant les barreaux de Paris et des Hauts-de-Seine, Amnesty International, Avocats sans frontières, l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme avaient pour leur part dénoncé une offensive du pouvoir tunisien contre les avocats et les défenseurs des droits humains. Ils citaient le bâtonnier de Tunis, Béchir Essid rapportant «de façon détaillée 70 agressions physiques sur ses confrères et lui-même, depuis juin 2001. Les saccages de cabinets d'avocats, le vol de dossiers, les pressions sur les clients par des policiers» comme exemples de pratiques exercées «contre les avocats acceptant de défendre notamment des prisonniers politiques». Soutenant «sans réserve» maître Radhia Nasraoui, alors dans sa septième semaine de grève de la faim, la délégation de juristes et d’humanitaires «a également pu observer l'importance et la variété du soutien que recevait localement Maître Nasraoui, malgré le silence total de la presse tunisienne à son propos

Cyberpolice

Si ses confrères français considèrent que «ses revendications, qui consistent principalement à obtenir la cessation des entraves policières à l'exercice de sa profession et la conduite d'enquêtes sur les plaintes qu'elle a déposées, notamment suite à son agression physique du 13 juillet 2003, sont totalement légitimes», Rhadia Nasraoui assure, de son côté, qu’elle n’a «jamais compté» sur les visites à Tunis, début décembre, du secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, et du président Chirac, «le but des Etats étant de protéger leurs intérêts et non de soutenir les mouvements démocratiques». A l’issue du sommet de Tunis, le chef de l’Etat français avait souligné «la force des liens qui unissent les deux rives de la Méditerranée occidentale et l’esprit de solidarité qui nous anime», concernant notamment la lutte contre le terrorisme international qui constitue un enjeu important pour l’Europe mais aussi un fourre-tout commode pour les régimes répressifs du Sud.

Les partisans des droits de l’Homme en Tunisie ont tenté d’attirer l’attention du sommet de Tunis sur les «centaines de prisonniers politiques croupissant dans les prisons tunisiennes». La plupart ont été arrêtés au début des années quatre-vingt-dix pour «appartenance au parti islamiste Ennahda. Une dizaine de détenus sont dans l’isolement total depuis plus de dix ans et une trentaine sont morts par négligences médicales et mauvais traitements». Mais ces Verts là (la couleur du Prophète) n’ont guère de chance de faire recette auprès d’une Europe qui compte justement sur la vocation policière de ses voisins du Sud. Ce 10 décembre, la Chambre monocolore des députés tunisiens adoptait une nouvelle loi prévoyant «la criminalisation de toutes formes de soutien et de financement à des individus ou organisations en relation avec les crimes terroristes». Nul ne s’en plaindra, bien sûr, d’autant que le législateur prévoit de préserver «la vie privée des individus».

Expert pour brouiller ou couper les lignes téléphoniques des journalistes indésirables, prompt à embastiller les internautes récalcitrants, le pouvoir tunisien excelle dans la lutte anti-terroriste. Au sommet de Genève (SMSI) qui prévoit d’organiser la liberté d’expression dans la nouvelle société de l’information, les autorités tunisiennes entendent défendre une clause concédant un droit de censure aux gouvernements, sur internet. «Il y a 600 prisonniers politiques en Tunisie. Les avocats sont emprisonnés, les médias sous le contrôle total du gouvernement et les mouvements nationaux de défense des droits de l’Homme voient leur accès à internet bloqué», accuse le secrétaire général du barreau tunisien, maître Mohamed Jmour, venu à Genève pour demander à l’Onu de renoncer à tenir en 2005 à Tunis le sommet de l’Union internationale des télécommunications (UIT) chargé de concrétiser les projets du SMSI 2003 pour réduire le fossé entre riches et pauvres dans l’accès aux nouveaux outils de communication comme internet. Le 18 novembre dernier, le cyberjournaliste Zouhair Yahyaoui recouvrait la liberté après plus de 17 mois de prison pour «propagation de fausses nouvelles». Jusqu’à présent, la cyberpolice tunisienne ne s’est pas laissée déborder par les nouvelles technologies.

A écouter :
Radhia Nasraoui, lors d'une conférence de presse à son domicile à Tunis (le 10/12/2003).



par Monique  Mas

Article publié le 10/12/2003 Dernière mise à jour le 09/12/2003 à 23:00 TU