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Tunisie

Ben Ali reçoit Chirac

D’ici la fin de la semaine, la Tunisie aura été au centre d’un ballet diplomatique sans précédent. Tunis recevait mardi le secrétaire d’Etat américain en tournée au Maghreb. Mercredi, le président français entame une visite d’Etat de deux jours qui sera immédiatement suivi par un sommet regroupant cinq pays de la région et cinq pays d’Europe du sud. Après plusieurs années difficiles, en raison d’un dossier particulièrement lourd sur les droits de l’homme, le régime semble sortir du relatif isolement dans lequel il avait été relégué.
La Tunisie redevient-elle un pays fréquentable ? En tout cas Américains, Français et Européens s’y bousculent ces jours-ci, à la rencontre d’un pays ami, partenaire économique sérieux, stable sur le plan politique et diplomatiquement fiable. Ce sont des atouts de taille dans une atmosphère internationale de plus en plus incontrôlable et dans laquelle on est désormais sans cesse sommé de choisir son camp. Le président Zine El Abidine Ben Ali a choisi le sien depuis fort longtemps et, bien que les méthodes qu’ils utilisent pour garder le cap soient la cible de très vives critiques, le contexte est redevenu propice à un examen plus indulgent de la réalité tunisienne.

Sur le plan international, depuis les tragiques événements du 11 septembre et l’entrée en guerre contre le terrorisme, la répression menée de longue date par le régime contre l’islamisme suscite rétrospectivement de la compréhension, en dépit des conséquences sur les libertés politiques. Après avoir été montré du doigt, le régime tire aujourd’hui le bénéfice de son engagement ancien contre ceux qui apparaissent dorénavant comme les principaux facteurs de déstabilisation des sociétés occidentales. La politique incontestablement progressiste de la Tunisie à l’égard du statut de la femme contribue également au mouvement de sympathie dont jouit le pays à l’extérieur. Frappée elle aussi par le terrorisme, avec l’attentat contre la synagogue de Djerba qui fit 21 morts en avril 2002, la Tunisie se présente comme une alliée solide qui, en contrepartie, manifeste une relative autonomie sur le plan diplomatique. Elle sait ne pas être d’accord, et jusqu’où, avec ses amis, américains notamment, sur le traitement de la politique au Proche-Orient, que ce soit à l’égard de l’Irak dont elle a manifesté son opposition à l’invasion, ou du conflit israélo-palestinien, dont elle estime la politique de Washington trop en retrait.

Sur le plan économique, la Tunisie a opté pour une voie libérale qui ouvre, avec quelques succès, la voie à l’enrichissement. Indépendamment des effets pervers de concentration en faveur des notables du régime, cette option a aussi permis au cours de ces quinze dernières années à l’émergence d’une classe moyenne, encouragée il est vrai par le développement constant du crédit bancaire. Bon élève à cet égard aussi, la Tunisie fait figure de pays émergent dynamique, exemplaire, ouvert. Son inflation est maîtrisée, sa croissance permanente, son chômage contenu.

Sur le plan politique, la Tunisie donne apparemment tous les gages d’honorabilité. Le régime est de type républicain et la constitution autorise le pluralisme. Sept partis sont reconnus et cinq sont représentés au parlement. En revanche, depuis son indépendance, en 1956, la Tunisie n’a connu que deux chefs d’Etat : le vieux leader Habib Bourguiba et l’actuel président Ben Ali. Ce dernier est au pouvoir depuis 1987 et s’apprête, après une modification constitutionnelle adoptée avec 99,52% en 2002, à briguer un quatrième mandat de cinq ans lors de l’élection présidentielle de 2004. Une stabilité qui à la fois inspire la confiance et favorise l’investissement.

Répression brutale ou insidieuse

Le problème tunisien, c’est le dossier des droits de l’homme et de la liberté d’expression. De l’avis général, en dépit des diplômes d’honorabilité qui lui sont régulièrement décernés, ce pays souffre d’un grave déficit en matière de respect des droits politiques et des droits de l’homme. Le président Ben Ali n’aime pas les islamistes sur qui, dès sa prise de pouvoir, s’est abattue la plus féroce des répressions, mais il n’aime pas non plus les avocats, ni les journalistes qui lui apportent la contradiction. Le régime réprime et ses tribunaux condamnent. Selon les organisations internationales et nationales des droits de l’homme, il y a environ un millier de prisonniers politiques dans les prisons tunisiennes d’où continuent de filtrer, en permanence, des témoignages de mauvais traitements.

Ceux qui n’ont pas renoncé et qui n’ont pas été condamnés, dont c’est la profession et/ou la vocation, militants, journalistes et avocats, dénoncent un harcèlement constant de la part des agents du régime. Ils déclarent vivre dans un climat de pression et de terreur permanentes, pour eux et leur famille, victimes d’intimidations constantes. Face à cette répression, brutale ou insidieuse, dans le contexte internationale actuel qui renvoie l’actualité des problèmes tunisiens au second plan, ces opposants n’ont guère que le choix de l’exil ou du martyr. Plutôt que de croupir en prison, le journaliste Taoufik Ben Brik a choisi de partir en France. L’avocate Radhia Nasraoui est en grève de la faim depuis le 15 octobre. Le régime ne reconnaît rien, le lâche rien.

Incontournable au niveau international, quoique difficile à justifier sur le plan intérieur, l’ami tunisien est incontestablement l’objet d’une attention spéciale en cette fin d’année. Le secrétaire d’Etat américain, dont l’administration cherche des soutiens arabes pour légitimer sa politique proche-orientale, est allé à Tunis mardi en début d’après-midi, première escale d’une tournée maghrébine qui va également le conduire au Maroc et en Algérie. Effet d’annonce ou véritable conviction ? «Une partie du programme de M. Powell en Afrique du Nord consiste à encourager le processus d’ouverture, de démocratisation qui est en cours dans chacun de ces pays de différentes manières», a déclaré lundi le département d’Etat.

Mercredi, le président français est attendu à Tunis pour sa deuxième visite d’Etat. C’est un voyage important, censé balayer les incompréhensions passées, souligner l’amitié profonde entre les deux pays, et notamment les convergences de vues entre les présidents Chirac et Ben Ali. Sur les grands thèmes de politiques étrangères, le dossier du Proche-Orient en particulier, dans les grandes instances internationales, les deux hommes partagent l’essentiel. Ils vont enfin avoir l’occasion de l’affirmer sans complexe après la période de froid enregistré lorsque les socialistes étaient au pouvoir. A l’époque, les dossiers des infractions tunisiennes aux droits de l’homme mobilisaient la presse et les organisations non-gouvernementales (ONG) les relations franco-tunisiennes s’en ressentaient. Ce n’est plus le cas, même si nombre d’ONG ont adressé à Jacques Chirac leur liste des problèmes qu’elles souhaiteraient le voir soulever avec son hôte. Sans grand espoir.

Enfin la consécration aura lieu avec la réunion d’un premier sommet euro-méditerranéen, dit du «dialogue 5+5». Il s’ouvrira vendredi et regroupera cinq pays du Maghreb (Libye, Tunisie, Algérie, Maroc, Mauritanie) et cinq Européens du sud (Italie, France, Espagne, Portugal et Malte). Il y sera question de la lutte anti-terroriste et contre l’immigration clandestine, de la promotion régionale de la sécurité, et plus largement de coopération. Ce week-end, le régime aura accompli un pas décisif vers la fin de son isolement.

A écouter également :

Mouna El Banna, envoyée spéciale de RFI en Tunisie au micro de Caroline Paré (04/12/2003, 3'15")



par Georges  Abou

Article publié le 02/12/2003