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Kosovo

L’heure du désenchantement

Veton Surroi est à la tête d’une liste «d’initiative citoyenne» nommée Ora. 

		(Photo : AFP)
Veton Surroi est à la tête d’une liste «d’initiative citoyenne» nommée Ora.
(Photo : AFP)
Les Albanais du Kosovo rêvent toujours d’indépendance, mais les élections législatives de samedi, les secondes depuis l’instauration du protectorat des Nations unies ne suscitent aucun enthousiasme dans le protectorat international.

De notre envoyé spécial à Pristina 

Le centre de Skenderaj n’est qu’un immense chantier. Rues, canalisations, égouts, tout est en train d’être refait dans cette bourgade de 20 000 habitants, où les services publics étaient totalement défaillants depuis des années. Skenderaj est le principal centre urbain de la Drenica, la région de collines qui couvre le centre du Kosovo, l’ancien bastion de la guérilla albanaise de l’UCK. À l’entrée de la ville, la maison du commandant Adem Jashari, tué par la police serbe au début mars 1998, est devenu un mémorial du nationalisme albanais. Les enfants des écoles viennent en excursion de tout le Kosovo pour communier dans le culte du héros patriotique.

À Skenderaj, le Parti démocratique du Kosovo (PDK), qui regroupe les anciens guérilleros, est dans ses terres. Ici, la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) d’Ibrahim Rugova, accusée de mollesse et de compromission, n’a aucune chance de s’imposer. Pourtant, même ici, l’ardeur patriotique a du mal à cacher la grande désillusion qui prévaut partout au Kosovo.

Ardhjan, un jeune homme de 25 ans, ancien combattant de l’UCK et maintenant membre du Corps de protection du Kosovo (TMK), l’unité de protection chargée de « recycler » les anciens guérilleros avoue sa perplexité : « je ne vais pas voter, tous les politiciens sont les mêmes, ils parlent d’indépendance, mais nous vivons toujours aussi mal ». Avec sa maigre solde de 130 euros par mois, Ardhjan doit en effet assurer les besoins de sa mère et de ses cinq frères et sœurs. La semaine dernière, il s’est marié, sans aucune cérémonie, parce qu’il n’y avait pas d’argent pour faire la fête.

« Le Kosovo se rapproche de l’Europe », souligne ironiquement la mère d’Ardhjan : « les prix sont au niveau occidental, il n’y a que les salaires qui restent misérables ». Officiellement, le chômage frapperait 60% de la population du Kosovo, et seules les solidarités familiales permettent à la société albanaise de « tenir », grâce à l’aide des parents exilés en Europe de l’Ouest.

Malgré ce contexte social difficile, aucun parti politique n’évoque les enjeux économiques. Les programmes se concentrent uniquement sur la revendication d’indépendance, supposée résoudre tous les problèmes du Kosovo. Mais la communauté internationale refuse toujours d’envisager cette option, car elle entraînerait de gros risques régionaux.

La participation des Serbes : une inconnue

« À quoi cela sert-il de voter si le Kosovo n’est pas souverain ? », demande un ami d’Ardhjan, qui n’hésite pas à dénoncer « l’occupation » internationale de la province. Déjà, lors des émeutes anti-serbes de mars, de nombreux véhicules de la Mission des Nations unies au Kosovo avaient été pris pour cibles, et le ressentiment contre le protectorat ne cesse de croître. Albin Kurti, un ancien dirigeant étudiant de Pristina, longtemps prisonnier politique en Serbie, anime un réseau qui organise des manifestations symboliques contre la présence des Nations unies. Certains sondages indiquent également que les petits partis ultranationalistes, actuellement très peu représentés au Parlement, pourraient faire une nouvelle percée lors des élections du 23 octobre.

La participation des Serbes représente un autre enjeu majeur du scrutin. Deux listes serbes se présentent au scrutin, mais le gouvernement de Belgrade, l’Église orthodoxe et la plupart des leaders serbes du Kosovo appellent au boycott. Des meetings anti-élections sont organisés dans toutes les enclaves serbes, les orateurs expliquant « que les conditions minimales de sécurité ne sont pas remplies pour que les Serbes puissent aller voter ». Le patriarche serbe, Mgr Pavle, a conseillé d’aller aux électeurs d’aller allumer des cierges « pour la survie du peuple serbe » plutôt que de remplir leur devoir électoral. Dans ces conditions, la participation devrait être dérisoire, et les Serbes n’obtiendront probablement pas beaucoup plus que les dix sièges qui leur sont réservés en tant que minorité, sur les 120 du futur Parlement.

Le célèbre journaliste Veton Surroi essaie également de faire entendre un son neuf dans la campagne, où il s’est lancé à la tête d’une liste « d’initiative citoyenne » nommée Ora, pour souligner « que l’heure est venue au Kosovo ». Veton Surroi affirme vouloir rompre avec les autres partis qui psalmodient la revendication d’indépendance, et cherche à apporter des propositions concrètes. Les priorités qu’il met en avant sont pourtant inconciliables avec le statut actuel de protectorat du Kosovo. Veton Surroi réclame ainsi l’élaboration d’une Constitution, ou l’octroi d’un préfixe téléphonique international pour le Kosovo, ce qui est l’attribut exclusif d’un État souverain. D’après les sondages, particulièrement imprécis, Veton Surroi pourrait espérer de 3 à… 22% des voix.

« L’OTAN et les Nations unies sont venus nous aider en 2004 », explique Fisnik Hiseni, le responsable du Kosovo Action for Civic Initiatives (KACI), une ONG locale, très proche de Veton Surroi. « Mais les gens ne supportent plus le statu quo. Le Kosovo a besoin de se réveiller de son sommeil dépressif ».

par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 22/10/2004 Dernière mise à jour le 22/10/2004 à 10:40 TU