Allemagne
Volkswagen : de la cogestion à l’affrontement
(Photo : AFP)
Volkswagen traverse l’une des épreuves les plus délicates de son existence. La conjoncture qui pèse sur le constructeur automobile allemand l’a conduit à proposer de geler les salaires de ses ouvriers, qui passent pour être les mieux payés au monde dans ce secteur. Depuis la mi-septembre, six séances de discussions entre les représentants du puissant syndicat IG Metall et la direction de l’entreprise n’ont donné aucun résultat. Du coup, la colère gronde. La grève générale n’est pas certaine mais le fameux consensus allemand est fragilisé en cette période de renégociation de la convention salariale.
La précédente convention avait institué une longue période de « paix sociale », écartant le spectre des grèves dures. Or, signe de crispation, une série de débrayages a accompagné les échecs de ces derniers jours dans les unités du territoire ouest-allemand, les seules concernées par les projets de la direction. Pour la première fois depuis 14 ans, depuis une semaine plusieurs dizaines de milliers de salariés des différentes usines ont participé à ces actions, à l’appel de leur syndicat. Malgré une apparente volonté d’en sortir, on ne cache pas de part et d’autre la gravité de la situation. On évoque désormais sérieusement l’éventualité, inédite chez Volkswagen, d’une grève illimitée.
Volkswagen fait face à une conjoncture difficile, marquée par une concurrence acharnée, un recul important sur les marchés nord-américain et chinois et, en conséquence, des bénéfices en chute (- 65,2% sur un an). C’est grâce à la gamme Audi et aux services financiers qui accompagnent son activité de constructeur que Volkswagen se maintient à flots. L’entreprise emploie 176 000 salariés. Le plan de la direction vise à geler le salaire de 103 000 d’entre eux sur une période de deux ans. Son objectif est de réduire la masse salariale de 30% (2 milliards d’euros) d’ici 2011. La moitié du gain serait ainsi réalisée sur les deux prochaines années.
Le « site Allemagne » est-il en déclin ?
IG Metall rejette cette politique d’austérité, mais accepte de modérer ses ambitions salariales. Au début des discussions, le syndicat réclamait une augmentation de 4% par an, sur les deux prochaines années. Aujourd’hui il est question d’une réévaluation de 2,2% en 2005 et 2,7% en 2006. Il accepte également que les nouveaux embauchés soient rémunérés 10% de moins qu’au tarif actuel. Mais il veut, en contrepartie, que la direction s’engage formellement à préserver l’emploi sur une période de dix ans dans les six usines concernées de l’ex-RFA. Sur ce point, Volkswagen accepte de conclure un contrat moral, mais refuse d’aller au-delà.
Ce conflit s’inscrit donc dans un contexte économique international marqué par des restructurations, délocalisations et suppressions d’emplois dans le secteur. Mi-octobre, le géant américain General Motors annonçait la réduction de ses activités européennes et la suppression de 12 000 emplois, principalement en Allemagne, chez Opel. Le groupe germano-américain Daimler-Chrysler annonce son intention d’installer une usine de montage en Russie, où Ford, BMW, Kia, General Motors produisent déjà des véhicules, en attendant Renault.
Le « site Allemagne », réputé pour la qualité de son matériel, la compétence de sa main-d’œuvre et sa stabilité sociale, est-il en déclin ? En tout cas, à la faveur des événements, il se prend à douter de sa vitrine sociale que l’Etat-providence ne soutient plus, malgré les appels à la raison lancé par le chef de l’Etat, Horst Koehler. Le modèle social initié par Volkswagen, l’inventeur européen de la semaine de 4 jours, ne résiste pas aux exigences de flexibilité réclamées par le marché. C’est un héritage qui vaut à l’Allemagne d’être poursuivie en justice par la Commission européenne qui lui reproche une sur-représentation des autorités publiques au sein du conseil d’administration du groupe de nature à « dissuader les investisseurs d’autres Etats membres d’acquérir des actions ou d’investir des capitaux dans Volkswagen ». En clair : l’Allemagne doit renoncer à une partie de son héritage social.
En quelques semaines, à la faveur de cette tension sur le marché international de l’automobile, le partenaire historique est devenu l’adversaire. La rupture n’est pas consommée. Les modalités de sortie de cette crise allemande seront en tout cas exemplaires pour l’ensemble du secteur dont les agents suivent avec une attention soutenue les épisodes en cours.
par Georges Abou
Article publié le 02/11/2004 Dernière mise à jour le 02/11/2004 à 15:25 TU