Côte d'Ivoire
«La guerre nous est déclarée»
(Carte : RFI)
Deux chasseurs bombardiers Sukhoï 25 des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) ont exécuté trois raids jeudi, à 7heures 15, 11heures 45 et 14 heures 50 locales, sur la métropole du Centre, Bouaké, fief des anciens rebelles des Forces nouvelles (FN). Selon le porte-parole des Fanci, le colonel Jules Yao Yao, il s’agirait «seulement» de «frappes d’avertissement destinées à ramener à la table des négociations» le chef politique des FN, Guillaume Soro. Le chef d’état-major, le général Mathias Doué affirme de son côté que «la Côte d’Ivoire sera demain une et indivisible». De son côté, le porte-parole des FN, Sidiki Konaté, renvoie au retour de Guillaume Soro à Bouaké la «suite à donner à cet acte de guerre unilatéral» du pouvoir et s’interroge sur «l’inaction des forces impartiales» chargées de surveiller la zone tampon entre les anciens belligérants. Mais les FN plaident pour une «solution politique». A Bouaké, leur commandant militaire, Chérif Ousmane, attend les ordres. Avec ces raids, «c’est la guerre qui nous est déclarée», dit-il, précisant qu’il «s’y attendait», comme beaucoup d’Ivoiriens et d’observateurs, depuis le refus des FN de désarmer le 15 octobre et leur retrait du gouvernement de réconciliation nationale le 28 octobre.
Selon Chérif Ousmane à leur premier passage, les appareils militaires auraient largué une demi-douzaine d’obus à une cinquantaine de mètres d’un barrage installé sur la route qui conduit de Bouaké au Nord, en direction du Burkina et du Mali. Plusieurs civils auraient été légèrement blessés. De son côté, le porte-parole de l’opération militaire française Licorne, le colonel Aussavy confirme «une attaque à portée limitée» qui aurait visé en début de matinée un casernement des combattants FN au nord-ouest de Bouaké. Un deuxième raid aurait effectivement suivi trois heures et demi plus tard et un troisième effectué en début d’après-midi semblait viser le siège des FN et le relais de télévision. Aucun bilan n’était connu jeudi soir. Mais en tout cas, les chasseurs Fanci sont passés au-dessus de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci) dont les casques bleus sont chargés de surveiller la zone tampon entre les anciens belligérants, avec le concours des soldats de l’opération Licorne.
Selon le colonel Aussavy, toute intervention pour empêcher ces raids étaient impossible, faute «de mandat approprié et d’armes anti-aériennes». Reste que ces opérations ne l’ont pas surpris. Il rappelle que des «rumeurs» d’une éventuelle attaque des Fanci circulent «tous les jours depuis l’échec du désarmement le 15 octobre» dernier. Pour sa part, il s’interroge sur le caractère «ponctuel ou généralisé» de ce retour à la guerre. De son côté, à Paris, la diplomatie française s’efforce de ne pas mettre d’huile sur le feu ivoirien tout en rappelant les adversaires à l’ordre issu de l’accord de Marcoussis et du calendrier d’Accra.
«Réunifier la Côte d’Ivoire»
«Nous allons reconquérir notre territoire et réunifier la Côte d'Ivoire», a déclaré à l’agence de presse américaine Associated Press le colonel Philippe Mangou, commandant du «théâtre des opérations» avant le cessez-le-feu et basé à Yamoussoukro. Il suggère que ces attaques préludent à une offensive générale comme le sous-entend aussi le général Doué en partance pour Lomé où il doit lui-aussi rencontrer le président Eyadéma. Pour sa part, le site dédié au président Gbagbo a déjà ouvert une rubrique «libération de Bouaké» sans pour autant qu’une intervention personnelle de Laurent Gbagbo ou même une annonce claire et explicite du chef d’état-major permette de cerner les centres de décision et les contours exacts de cette série de frappes. Pour les troupes des FN en tout cas, l’affaire est entendue. Elle est même en quelque sorte saluée comme une faute de l’adversaire.
«Dès l’instant où des avions ont survolé la zone de confiance pour venir attaquer nos positions, nous considérons que c’est la guerre qui nous est déclarée», explique Chérif Ousmane qui précise qu’il réagi ainsi en homme de terrain. Conduite par Guillaume Soro, la direction politique des FN était justement à Lomé jeudi pour expliquer au président togolais, Gnassingbé Eyadéma, qu’il «est impératif de faire en sorte que les hostilités ne reprennent pas». A Bouaké, Chérif Ousmane souligne que les FN ne devait «pas être les premiers à engager les hostilités» pour rester cohérent avec leur détermination affichée de respecter les accords de Marcoussis. Les ex-rebelles n’en ont pas pour autant accepté le désarmement inscrit au programme de l’accord de paix réactivé à Accra en juillet dernier. Visiblement anxieux de se dépouiller de leurs atouts militaires, au moment où leurs luttes intestines se font plus aiguës, ils persistent à exiger au préalable l’adoption des réformes politiques.
Le 28 octobre dernier, les FN avaient décrété un couvre-feu dans leur zone de contrôle mise «en alerte maximale» en affirmant avoir découvert un transport «d’armements lourds» expédiées, selon eux, par le «camp présidentiel» à des «mercenaires et des agents doubles» infiltrés pour prêter main forte aux partisans du sergent Ibrahim Coulibaly – le fameux putschiste placé sous contrôle judiciaire en France qui dispute à Guillaume Soro la souveraineté sur les FN –, l’objectif présumé étant «d’attaquer les FN de l'intérieur». Dans le camp adverse, les Fanci ont vu dans toute cette affaire une nouvelle tentative des FN pour justifier leur refus de désarmer et renforcer leur camp-retranché, bref, une provocation. Le 2 novembre, les Fanci ont bouclé à leur tour les deux routes principales, «les corridors de Tiébissou et de Duékoué», conduisant au Nord, via Bouaké. «Ce sont des mesures ponctuelles qui obéissent à un souci sécuritaire après les récentes décisions des ex-rebelles», assurait alors le porte-parole des Fanci, le colonel Yao Yao, en déniant toutes «velléités de guerre». Pour sa part, le représentant spécial de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à Abidjan, Lansana Kouyaté avait décidé d’accompagner Guillaume Soro auprès du président Eyadéma en estimant que cette rencontre pourrait «permettre de décrisper une situation très tendue afin d'éviter l'escalade de la guerre». Mais pendant ce temps, à Abidjan, un Conseil des ministres extraordinaire se tenait le 3 novembre sans les Forces nouvelles et l’opposition non armée, mais aussi en l’absence du Premier ministre Seydou Diarra.
Premier ministre «provisoire»
«Nous avons rappelé nos ministres parce que la situation pour nous est suffisamment grave, contrairement à d'autres qui tentent de la banaliser», affirmaient les FN fin octobre en annonçant également leur «retrait systématique de toutes les activités liées au processus de désarmement» des quelque 25 000 combattants revendiqués par les anciens rebelles. Les FN exigeaient aussi «la redéfinition de la gestion la zone de confiance», la zone tampon surveillée par l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI). Et cela «pour éviter que de l'armement puisse partir de chez nous vers le sud ou du sud vers le nord». Mercredi soir, un Conseil des ministres «extraordinaire» (l’ordinaire ayant du être reporté) s’est tenu en l’absence des deux-tiers de ses membres mais en présence du président Gbagbo dont il a «tiré sa validité au regard de la Constitution», selon un communiqué ad hoc. Laurent Gbagbo a désigné le chef d’un micro-parti (l’UDCY), Théodore Mel, pour remplacer «provisoirement» le Premier ministre, Seydou Diarra, dont l’indisposition a semblé très diplomatique. Les ministres présents, une quinzaine sur 41 (membres du parti présidentiel, de son allié le Parti ivoirien des travailleurs ou de l’UDCY) ont adopté trois très importants projets de loi «en matière de naturalisation», sur le «code de nationalité» et sur l'organisation d’un référendum concernant les conditions d'éligibilité à la présidence de la République. Ce référendum, requis par la Constitution, est justement le casus belli de l’opposition qui exige une modification par simple décret.
Ce même mercredi 3 novembre, un communiqué de la présidence ivoirienne en appelait à l’Onu et à la France pour que le «désarmement se fasse dans les plus brefs délais», rappelant au passage que l’opération avait déjà été reportée deux fois, les 8 mars et 15 octobre 2004, et dénonçant des «massacres supplémentaires dans les zones assiégées». Le désarmement «est la contrepartie de tous les efforts et sacrifices que le président de la République a consentis envers la rébellion depuis le début de la crise», poursuivait le communiqué, ajoutant que «pour obtenir le désarmement des rebelles par la voie pacifique, les Ivoiriens ont accepté pendant plus de deux années, qu’une partie des leurs vive dans des conditions moyenâgeuses notamment sans école, sans soin, sans sécurité et sans justice». Tout en réaffirmant «sa conviction qu’il est tout à fait possible» de négocier une sortie de crise, le communiqué présidentiel jugeait que «l’attitude et le comportement des rebelles deviennent de plus en plus insupportables». Bref, la mouvance présidentielle a perdu patience. Reste à savoir si l’incursion des bombardiers dans le ciel de Bouaké à valeur de test, de gesticulation militaire ou de déclaration de guerre.
par Monique Mas
Article publié le 04/11/2004 Dernière mise à jour le 04/11/2004 à 17:41 TU