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Macédoine

Référendum à hauts risques

La Grèce s'oppose à l'entrée de la  Macédoine au sein de l'OTAN . 

		(Carte: Marc Verney/RFI)
La Grèce s'oppose à l'entrée de la Macédoine au sein de l'OTAN .
(Carte: Marc Verney/RFI)
Le référendum d’initiative citoyenne convoqué dimanche en Macédoine pourrait remettre en cause la fragile dynamique des accords de paix d’Ohrid, qui avaient mis un terme au conflit de 2001. Les USA viennent par ailleurs de reconnaître le pays sous le nom de «République de Macédoine». Les électeurs macédoniens doivent se prononcer sur une question d’apparence presque anodine: s’opposent-ils au projet de modifications des limites territoriales des différentes municipalités du pays ?
Meeting électoral en Macédoine. 

		(Photo: AFP)
Meeting électoral en Macédoine.
(Photo: AFP)

De notre correspondant à Skopje

En fait, c’est l’ensemble des mesures de décentralisation prévues par les accords d’Ohrid qui risque d’être remis en cause. Les accords prévoyaient d’augmenter les compétences des municipalités et d’instaurer le bilinguisme dans toutes les communes où une minorité nationale représente au moins 20% des habitants. Le projet de redéfinition des frontières communales proposé par le gouvernement social-démocrate au début de l’été a entraîné une mobilisation sans précédent: en quelques jours, près de 200 000 signatures étaient recueillies pour exiger ce référendum d’initiative citoyenne, une première dans le pays. Pour annuler le projet de loi, il faut que 50% au moins des électeurs inscrits se rendent aux urnes et votent contre celui-ci. L’Alliance social-démocrate (SDSM), au pouvoir, appelle au boycott, ainsi que les partis politiques albanais, mais la mobilisation des Macédoniens risque de transcender les frontières partisanes, et de nombreux sympathisants des sociaux-démocrates ne cachent pas leur intention d’aller voter, au risque de faire chuter le gouvernement.

La tension se focalise autour de trois communes. Le projet gouvernemental prévoit d’inclure un arrondissement périphérique dans la commune de Skopje, ce qui permettrait aux Albanais de franchir ce seuil crucial des 20%. Or, pour beaucoup de Macédoniens, il n’est pas concevable que la capitale du pays devienne bilingue.

Le découpage qui changerait les donnes 

Dans deux autres communes, Kicevo et Struga, les Albanais représentent de toute façon bien plus de 20% des habitants, mais la modification des frontières communales les feraient accéder à la majorité absolue, ce qui permettrait aux partis politiques albanais de faire main basse sur ces communes lors des prochaines élections locales, prévues au printemps. Beaucoup de Macédoniens sont convaincus que, dans cette hypothèse, l’albanais deviendrait vite la seule langue en usage dans ces communes et que les Macédoniens se trouveraient donc en situation de minorité dans deux nouvelles communes de leur pays.

«Toutes les personnes censées savent bien que la décentralisation est inéluctable et qu’elle est souhaitable pour assurer l’avenir du pays», estime le journaliste Borjan Jovanovski, ancien porte-parole du président de la République Boris Trajkovski, mort dans un accident d’avion en février dernier. «Cependant, ajoute-t-il, le gouvernement a fait montre de la plus grande maladresse. Le projet de modification des frontières communales a été présenté sans explications ni concertations. Cela a suffi à réveiller les vieux démons nationalistes». Le projet gouvernemental cherche surtout à satisfaire les Albanais du Mouvement démocratique pour l’intégration (BDI), les difficiles partenaires de la coalition gouvernementale conduite par les sociaux-démocrates macédoniens.

En 2001, le pays avait failli sombrer dans la guerre civile, après l’apparition de la guérilla albanaise de l’UCK. Les relations entre Macédoniens et Albanais (25% de la population totale du pays) sont presque inexistantes, malgré l’entrée au gouvernement des anciens guérilleros de l’UCK. La crispation sur la langue s’explique en bonne part par la difficile affirmation de l’identité nationale macédonienne. Les voisins de la Macédoine ont longtemps convoité ce petit pays des Balkans, et les Bulgares sont toujours réticents à admettre l’existence d’un peuple macédonien et d’une langue macédonienne distincte du bulgare. Le veto grec à l’usage du nom de Macédoine pour désigner le pays a encore aggravé ces crispations identitaires.

La reconnaissance américaine 

Les USA ont cependant franchi un pas majeur en décidant, jeudi, de reconnaître désormais le pays sous le nom de «République de Macédoine» , et non plus de «République ex-yougoslave de Macédoine» , ou FYROM, selon l’acronyme. Cette décision unilatérale, la première de la nouvelle administration de Georges Bush, a suscité un tollé en Grèce, entraînant également de vives réactions de l’Union européenne. Elle apparaît cependant comme un succès diplomatique majeur pour le Président Branko Crvenkovski et le gouvernement social-démocrate, dont les appels au boycott du référendum seront peut-être davantage entendus par l’opinion.

La campagne pour le référendum a été menée par différentes associations issues de la société civile, même si un petit mouvement nationaliste, le Congrès mondial des Macédoniens, a joué un rôle déterminant dans les premiers temps. L’opposition nationaliste du VMRO-DPMNE, sonnée par sa défaite électorale de 2001, essaie de profiter de l’occasion pour revenir en piste. La population garde pourtant le souvenir de la corruption massive du VMRO-DPMNE et de sa gestion calamiteuse du pays, qui avait failli conduire à son éclatement lors des combats de 2001.

En fait, tous les sondages d’opinion révèlent que la cote de popularité de tous les leaders politiques, de l’opposition aussi bien que de la majorité, est en chute libre. Le succès envisageable du référendum pourrait entraîner une démission du gouvernement, et plongerait en tout cas le pays dans une crise à l’issue incertaine.

Un éventuel arrêt du processus de décentralisation obligerait les partis politiques albanais à réagir, alors que la population albanaise est de plus en plus déçue par les maigres avancées réalisées depuis 2001. Le fragile processus des accords de paix d’Ohrid serait donc remis en cause, au risque de provoquer une nouvelle crise, aux conséquences imprévisibles pour la Macédoine comme pour toute la région.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 06/11/2004 Dernière mise à jour le 06/11/2004 à 11:18 TU

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Yves Tomic

Chercheur à l'Université Paris10/Nanterre

«D'après les sondages une bonne partie des Macédoniens est opposée à cette loi de décentralisation.»

[05/11/2004]

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