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Côte d'Ivoire

Gbagbo voulait en finir

Le président ivoirien Laurent Gbagbo légitime toutes ses actions par la « légalité de son pouvoir ». 

		(Photo : AFP)
Le président ivoirien Laurent Gbagbo légitime toutes ses actions par la « légalité de son pouvoir ».
(Photo : AFP)
Le président Laurent Gbagbo en prenant l’initiative de la rupture du cessez-le-feu a transformé malgré lui et pour l’instant la nature du conflit ivoirien. L’Union africaine en désignant de nouveaux médiateurs souhaite que ces derniers portent regard distant et neuf sur la crise ivoirienne.

Le président Laurent Gbagbo légitime toutes ses actions par la « légalité de son pouvoir ». Depuis le déclenchement de la rébellion le 19 septembre 2002, il se réserve le droit d’agir par tous les moyens pour rétablir « l’intégrité du territoire agressé », précise-t-il malgré tous les arbitrages des différentes médiations. « Je suis le président de la République » répète-t-il inlassablement comme une affirmation d’autorité suprême au point d’ignorer qu’il incombe aussi au président de la République de garantir un minimum de cohésion sociale. « Etre maître chez soi » est pour lui un axiome qui transcende tous les conseils quels qu’ils soient, surtout lorsqu’ils sont prodigués par des « étrangers ». Le traitement réservé aux différents arbitrages par Laurent Gbagbo, montre bien sa confiance relative dans « la sagesse » recommandée par autrui. Il signe les accords de Marcoussis à Accra, mais une fois rentré au pays, parmi les siens, en fait une lecture et une interprétation personnelles. 

Il refuse d’être dépouillé de ses prérogatives de chef d’Etat au profit d’un Premier ministre désigné, fût-il d’un gouvernement de réconciliation nationale. Cette logique du « grand chef » le conduit à renvoyer du gouvernement tous les ministres qui contestaient un certain fonctionnement des institutions et boycottaient le conseil des ministres. La solution est plus politique qu’autoritaire lui avaient signifié tous les médiateurs et autres chefs d’Etat africains impliqués dans la recherche d’une solution de paix en Côte d’Ivoire. La réintégration des ministres limogés a été vécue par Laurent Gbagbo comme un camouflet. Par ailleurs, le retard pris par l’assemblée nationale dans l’adoption de certains textes prévus par les accords de paix sont compensés, selon lui, par le refus des Forces nouvelles (ex-rebelles) de respecter le calendrier de désarmement. Dans ce jeu de décompte des mauvais points, Laurent Gbagbo décide de passer à la vitesse supérieure, toujours au nom de la légalité de chef de l’Etat. 

Et là, les reproches faits au chef de l’Etat ivoirien sont moins véhéments. En face de lui, les Forces nouvelles sont de moins en moins politiques dans leurs revendications. Les ambitions personnelles s’affichent au détriment d’une cause commune. Abidjan a alors beau jeu de mettre le doigt sur des comportements « petits voyous » en zones sous contrôle des Forces nouvelles. Le pillage des banques dans plusieurs localités, dans lequel de nombreux responsables de la rébellion seraient impliqués, a été utilisé par Laurent Gbagbo pour les repousser au rang « de personnes infréquentables ». Par ailleurs, tout laissait supposer que les ex-rebelles se complaisaient bien dans cette situation de précarité et de scission du pays. A Bouaké, ils ont redéfini entre eux un code de bonne conduite en dressant un tableau des « bons » et des « méchants ». Les règlements de compte sont légion et ont poussé des milliers de combattants à déserter. La direction des Forces nouvelles, avec à sa tête Guillaume Soro, accuse Ibrahim Coulibaly, alias IB, de collusion avec le pouvoir de Gbagbo et affiche définitivement au grand jour le divorce entre la branche politique et l’aile militaire du mouvement. Le contrôle judiciaire de « IB » en France est un moyen supplémentaire pour Guillaume Soro de l’éloigner des affaires.

« Casser la rébellion » 

Dans cette ambiance délétère, Laurent Gbagbo pense avoir le vent favorable pour agir et « casser la rébellion ». Il en avait les moyens et s’était préparé à une guerre-éclair contre les bastions de la rébellion. Il voulait aussi mettre la communauté internationale devant le fait accompli. Et qui lui reprocherait de réunifier son pays ? Laurent Gbagbo a fait le pari de passer en force, en mécontentant quelques amis, mais pour un résultat qui en valait la peine. Les premières frappes de l’aviation gouvernementale ont semé la panique dans le camp rebelle. Sur le terrain, Guillaume Soro et les autres sont aux abonnés absents et se sont réfugiés loin du théâtre des opérations. Dans Bouaké, il n’y a plus de chefs des Forces nouvelles, mais quelques soldats dévoués qui ne reçoivent plus d’ordre de leur état-major. Le colonel Soumaïla Bakayoko, chef d’Etat-major des Forces nouvelles, ne contrôle plus les troupes et ne donne plus de ses nouvelles. Certains équipements lourds des Forces nouvelles ne sont plus déployés, faute de combattants et d’utilisateurs avertis.   

Mais le tacticien politique, chef suprême des armées ignore tout de la « tactique militaire ». Les frappes sur la base française de l’opération Licorne à Bouaké ont brusquement changé la nature du conflit. La riposte française a anéanti les ambitions d’Abidjan de mater la rébellion qui était largement donnée perdante dans cette nouvelle confrontation. Il était alors aisé d’accuser la France de collusion avec la rébellion et d’attiser le sentiment anti-français auprès des populations. Les médias d’Etat se chargent de relayer des messages de mobilisation qui ont des relents xénophobes dans un espace où le débat contradictoire est considéré comme de la traîtrise. D’ailleurs, les locaux d’organes d’opposition au pouvoir de Laurent Gbagbo ont tous été récemment saccagés réduisant les parutions aléatoires.

Vers de nouveaux rounds de discussion

L’ennemi a changé de visage, et pour l’instant, la seule préoccupation de certains Ivoiriens c’est de renvoyer « les Français chez eux ». Les empêcheurs de tourner en rond. Le sens politique de tels actes, la gravité des conséquences économiques, drame et éclatement du tissu social ne sont pas pris en compte. La réflexion a disparu des choix essentiels pour céder la place aux actes instinctifs. A Abidjan tout est possible dès lors que « la nation est invoquée ». Toutes les exactions trouvent alors des justifications qui inquiètent la communauté internationale. L’Union africaine en faisant appel au président Thabo Mbéki d’Afrique du Sud tente de stopper cette spirale infernale qui s’alimente des discours des dirigeants ivoiriens passés maîtres en manipulation des paradoxes.

Le Ghana, le Togo et le Sénégal se trouvent par ce choix de l’Union africaine dépossédés de la conduite du dossier ivoirien. L’opposition ivoirienne silencieuse depuis quelques jours retrouve un peu de voix et semble se satisfaire de l’implication nouvelle sud-africaine. Elle a déjà répondu favorablement à l’invitation du président Thabo Mbeki qui convoque chez lui tous les acteurs de la crise ivoirienne. Alassane Ouattara y est arrivé le premier. Mais si l’opposition ivoirienne semble se satisfaire du nouvel arbitrage de l’Afrique du Sud, il n’en va certainement pas de même pour les chefs d’Etat ouest-africains et plus précisément, les francophones. C’est dans cet esprit que le gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO), Charles Konan Banny a regretté « que la solidarité francophone ne soit pas assez démontrée ». Il a appelé à une rencontre d’urgence au siège de la BCEAO à Dakar, les chefs d’Etat ouest-africains, membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et qui ont en partage le franc CFA.

Le G7, qui est la plate forme d’expression des partis d’opposition, n’est plus aujourd’hui qu’une coquille vide. Alassane Ouattara parle au nom de son parti, le Rassemblement des républicains (RDR) et refuse d’ores et déjà de participer à toute renégociation des accords de paix signés à Marcoussis et à Accra ; quant aux Forces nouvelles, par la voix d’un porte-parole, elles réclament la démission du président Laurent Gbagbo.  

par Didier  Samson

Article publié le 11/11/2004 Dernière mise à jour le 12/11/2004 à 07:06 TU

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Bamba Moriféré

Secrétaire général du parti d'opposition ivoirien PSS

«Je ne crois pas que l'armée française soit une armée d'occupation.»

[11/11/2004]

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