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Ariane 5-ECA devra patienter jusqu’en 2005

Pour Jean-Charles Vincent, directeur d'Arianespace en Guyane, il faudra atteindre l'équilibre financier avec l'Ariane 5 ECA à la fin du programme Egas en 2009. 

		(Photo : Jody Amiet)
Pour Jean-Charles Vincent, directeur d'Arianespace en Guyane, il faudra atteindre l'équilibre financier avec l'Ariane 5 ECA à la fin du programme Egas en 2009.
(Photo : Jody Amiet)
La société Arianespace officialisera dans les prochaines heures, le report à l’horizon 2005 du retour en vol très attendu de l’Ariane 5-ECA, conçue pour mettre en orbite près de 10 tonnes de satellites. Après une répétition de ses systèmes lanceurs peu concluante le 7 octobre, un autre lancement, prévu en décembre, celui du satellite militaire Hélios 2A sur une Ariane 5 générique, est définitivement devenu la priorité.

De notre correspondant en Guyane

Il s’était écoulé seize mois entre l’explosion de la première Ariane 5 Générique et son retour en vol le 31 octobre 1997. Il faudra patienter plus de deux ans pour revoir décoller l’Ariane 5-ECA, clouée au sol, depuis son terrible échec du 11 décembre 2002. Ce soir là, dans la salle Jupiter du Centre Spatial Guyanais (CSG) à Kourou, le directeur général d’Arianespace, Jean-Yves Legall, K.O. debout, visage livide et incrédule, personnifie les enjeux de cette nouvelle version d’Ariane 5. La « 10 tonnes » doit sortir, à moyen terme, sa société du rouge où elle est alors engluée (105 millions d’euros de pertes en 2002, 193 en 2001 et 242 en 2000). Depuis, le programme Egas a accordé un sursis de 5 ans à Arianespace en finançant, au travers de l’opérateur de lancement, une partie des coûts fixes des industriels concernés par les programmes Ariane. En février 2004, 960 millions d’euros ont ainsi été débloqués, sur la période 2005-2009, par 9 des pays de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) « À condition que le prix du marché ne continue pas à se casser la figure, l’objectif est de sortir du programme Egas en 2009 avec un lanceur ECA en équilibre financier. Il faut le qualifier, le stabiliser, ne plus le modifier et le produire de manière industrielle» explique aujourd’hui Jean-Charles Vincent directeur d’Arianespace en Guyane.

« Des concurrents lancent à moins de 15 dollars le gramme »

La partie n’est pas gagnée. Car le concept Ariane 5 ECA, capable d’emmener 9,4 tonnes de satellites, « s’attaque à un problème de baignoire » souligne un ingénieur du Cnes (Centre National d’Etudes Spatiales). Depuis plusieurs années, en effet, Arianespace, contraint d’ajuster ses prix à ceux d’une concurrence redoutable, perd des millions d’euros par tonne lancée par son Ariane 5 Générique, limitée à 6,8 tonnes de charge. Sur la route de la fusée européenne, deux alliances américaines avec des lanceurs de pays de l’Est, cassent les prix et les imposent au marché. C’est le cas de Loockheed-Martin avec son lanceur russe Proton qui décolle de Baïkonour (Kazakhstan) et de Boeing avec le russo-ukrainien Zénith lancé d’une plate-forme en mer près de l’équateur  « Ces concurrents lancent des satellites à moins de 15 dollars le gramme »  souffle Jean-Charles Vincent. Parallèlement le coût de production d’une Ariane 5 générique, revient, selon les spécialistes, entre 25 et 27 dollars le gramme lancé. « Ce chiffre n’est pas idiot » admet Jean-Charles Vincent « mais avec un rapport de 1,5 en capacité d’emport entre la « 10 tonnes » et la Générique, la « 10 tonnes », d’un coût de production à peine supérieur, va rentrer dans les prix du marché ». Sauf si les concurrents, avec leurs lanceurs de l’Est moins coûteux, continuent à tirer les prix vers le bas.

En octobre, la répétition des systèmes lanceurs du vol 164 de la seconde Ariane «10 tonnes » n'a pas été totalement concluante. 

		(Photo : Frédéric Farine)
En octobre, la répétition des systèmes lanceurs du vol 164 de la seconde Ariane «10 tonnes » n'a pas été totalement concluante.
(Photo : Frédéric Farine)

Mais pour Fernando Doblas, directeur en Guyane de l’ESA, Ariane a d’autres arguments : « Si vous saviez combien d’opérateurs de télécommunications qui jouaient leur vie ont choisi Ariane… Le client préfère payer un peu plus cher la fiabilité de notre lanceur ». Certes, mais la « fiabilité » de l’Ariane 5 ECA se fait attendre. Début 2004, Arianespace annonçait son retour « pour cet été » avant de le différer « en octobre ». Il faudra finalement attendre 2005. Lors de la répétition des systèmes lanceurs (RSL), le 7 octobre « des paramètres n’ont pas donné entière satisfaction » déclare prudemment Jean-Charles Vincent. Le 9 novembre, une autre RSL officiellement programmée n’a pas eu lieu. « Il y a un problème sur le lanceur » lâche une source à l’ESA. « C’est un petit problème technique sur un connecteur au lanceur », nuance Fernando Doblas « ce n’est qu’un tir de qualification, il vaut mieux prendre son temps et réussir » poursuit-il. Parallèlement, le satellite militaire français Hélios 2A, prévu de longue date pour décembre sur une Ariane 5 G, est devenu la priorité des priorités. Il sera donc, au mieux, le troisième et dernier satellite lancé par Ariane cette année. Un maigre bilan qui succède aux quatre lancements de l’année 2003. L’âge d’or des années 90, symbolisé par les 12 tirs annuels d’Ariane 4, a vécu. Ce lanceur d’excellence, d’une capacité d’emport inférieure à l’Ariane 5 G, a brûlé ses derniers feux le 15 février 2003, en mal de rentabilité. Dans le même temps, faute d’une Ariane 5 ECA opérationnelle, Arianespace, avec son carnet de commandes officiel de 36 satellites, a dû se résoudre à signer, en juillet 2003, un contrat de « back-up » avec Boeing et Mitsubishi afin d’assurer les lancements de ses clients. En mai dernier, Boeing a ainsi lancé un « client » d’Arianespace. En revanche, la réciprocité n’a pas encore joué.

Par ailleurs en 2003, Arianespace ne représentait plus qu’environ 30% de part sur le marché des lanceurs, avec, un an plus tard, une crise mondiale du marché des satellites qui ne s’atténue toujours pas. Dans ce contexte, les appels du pied aux satellites institutionnels sont récurrents : « la moitié des satellites que nous lançons ne sont pas européens » déplore M. Vincent. « Pour un PIB équivalent à celui des Etats-Unis, l’Europe consacre un budget six fois moindre à l’espace civil, 10 fois moindre à l’espace militaire » renchérit M. Doblas. Par ailleurs, en 2005, l’ESA escompte bien démarrer les gros travaux d’infrastructures du lanceur russe Soyouz à Sinnamary, espérés depuis l’été dernier. Or, si 83% des 223 millions d’euros de participation des pays de l’ESA ont été débloqués cette année, la garantie du prêt de 121 millions d’euros sollicité par Arianespace pour assurer sa part  « n’est pas encore trouvée » selon M. Doblas.

Enfin à l’instar de cette année, le CSG pourra difficilement échapper aux tensions sociales en 2005. Les suppressions de poste, chiffrés à 400, doivent continuer (selon une feuille de route interne, les effectifs sont censés passer de 1650 à 1340 personnes entre 2002 et janvier 2005). Quant à la signature de nouveaux contrats industriels, espérée pour juillet prochain, elle viserait, pour réduire les coûts, à rassembler les entreprises de la base spatiale en 7 groupements.

Bref, en 2005, le jour J, Ariane 5-ECA, vol 164, aura bien plus qu’un satellite sur les épaules.


par Frédéric  Farine

Article publié le 16/11/2004 Dernière mise à jour le 16/11/2004 à 10:49 TU