Amérique latine-Chine
Les liaisons dangereuses
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Mexico.
La Chine a besoin de matières premières. C’est le message qu’a fait passé le Chinois Hu Jintao pendant sa tournée latino-américaine. Selon la Banque mondiale, la Chine s’est hissée à la seconde place des économies mondiales en moins de 5 ans et vise la première place d’ici trois ou quatre décades. Avec une population de 1,3 milliard et une croissance économique de 10 % par an, il lui faut non seulement trouver de quoi alimenter ses usines en fer, en pétrole, en plastique, mais aussi nourrir sa population et ouvrir de nouveaux marchés pour écouler ses produits.
L’Amérique latine, jusqu’alors chasse-gardée des Etats-Unis, trouve en ce nouveau partenaire commercial une manière de faire monter les enchères. Le Brésil qui est le partenaire privilégié de la République chinoise en Amérique latine lui vend du soja et de l’acier. En 2003, ce pays a exporté en Chine pour 4 milliards et demi de dollars, soit 75 % de plus que l’an dernier, une augmentation de 60 % par an depuis 4 ans. Mais le Brésil ne tient pas à se limiter à ces deux produits. Il voudrait exporter ses poulets dont il est l’un des principaux producteurs mondiaux, sa viande et son éthanol. Il est également très intéressé par les investissements chinois directs pour réactiver son économie. Lors de la visite de Hu Jintao, les 300 patrons chinois qui l’accompagnaient se sont engagés à injecter au Brésil quelques 7 ou 8 milliards de dollars, principalement pour développer les gisements de matières premières.
En Argentine, la Chine achète l’huile de soja et des haricots. Mais le président Nestor Kichner aimerait également exporter chez le géant chinois de la viande, des peaux, de la laine et des produits finis comme de l’acier laminé. En 2003, l’Argentine a consolidé son économie en augmentant de 110 % ses ventes en direction de la Chine. Le président Hu Jintao s’est ensuite rendu au Chili qui lui vend déjà beaucoup de cuivre. Le Chili, avec le Mexique, sont les 2 plus grands producteurs mondiaux de ce métal qui sert aussi bien aux industries de l’armement qu’à l’électrification et aux télécommunications. Les Chiliens aimeraient aussi caser leur pâte à papier, leurs saumons, de la farine de poisson et pourquoi pas un peu de vin. Cette visite latino-américaine s’est terminée par Cuba. La Chine est le 3e partenaire commercial de l’île après l’Espagne et le Venezuela. Les deux pays ont signé 18 contrats commerciaux pour exporter du tabac, des biotechnologies, des produits chimiques, de la téléphonie, du matériel médical et des vélos.
Après l’euphorie, la retour de bâton
L’ensemble des contrats passés par la Chine et l’Amérique latine devraient dépasser les 20 milliards de dollars de transactions commerciales. Mais il y a l’envers de la médaille et le Mexique est en train de le vivre. Les contrats mirifiques risquent en effet de profiter en priorité aux transnationales du cuivre, du plomb, du soja et de coûter très cher aux populations. Les gouvernements promettent tous que les contrats passés avec la Chine sont négociés de manière intelligente, mais la Chine veut aussi inonder le continent américain de ses produits manufacturés. Il faudra veiller à ce que les produits chinois de mauvaise qualité et de contrebande ne puissent entrer en Amérique latine, ce qui reste pour l’heure un vœux pieux. En effet, qui peut concurrencer la main-d’œuvre chinoise ?
Les produits chinois se retrouveront également sur les marchés traditionnels d’exportation de l’Amérique latine. Par exemple le Mexique, 2e fournisseur des Etats Unis, a été détrôné par la Chine depuis 2 ans. Une concurrence qui lui a coûté 250 000 postes de travail, en particulier dans les maquiladoras (usines de montage) installées sur la frontière Nord.
Les gouvernements d’Amérique latine tablent sur un accès au marché chinois dont le taux de croissance est de 6 à 7 points supérieur à celui de l’Europe ou des Etats-Unis, et ils ne veulent pas se faire évincer d’un marché si prometteur. Il s’agit donc pour les patrons et gouvernements latino-américains de trouver les bons créneaux pour exporter vers la Chine qui finira bien par être obligée d’augmenter le salaire de sa main-d’œuvre. Le pari est de tenir jusque là. Les accords doivent donc se négocier de manière très serrée.
par Patrice Gouy
Article publié le 25/11/2004 Dernière mise à jour le 25/11/2004 à 15:20 TU