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Chine

Hu Jintao l’Africain

Pour la Chine, le monde arabe et l’Afrique ne sont pas seulement des gisements de pétrole ou de bois. Ils sont un ressort important de sa compétition diplomatique dans le nouvel ordre mondial américain. En 1956, l’Egypte d’Abdel Gamal Nasser avait été le premier Etat africain à nouer des liens avec la République populaire. Après la France, puissance intermédiaire influente en Afrique, c’est à l’Egypte d’Hosni Moubarak que le plus haut dignitaire chinois consacre sa première visite sur le continent, depuis son avènement en mars 2003. Il prône bien évidemment «la paix et la stabilité au Proche-Orient», où Pékin entretient également des relations avec Israël. Saluant poliment l’action du Quartette (Etats-Unis, ONU, Union européenne, Russie), Hu Jintao préconise aussi celle «des parties éprises de paix, en premier lieu la Chine». Mais le numéro un chinois ne néglige pas le renforcement des échanges commerciaux avec les pays arabes en général et l’Egypte en particulier, «dans les domaines du pétrole, du métro et du tourisme» notamment, mais aussi avec l’Algérie et le Gabon, où il va poursuivre sa tournée afro-arabe.
Hu Jintao se félicite de toutes les initiatives de nature à faire contrepoids à Washington, le tenant actuel du monde unipolaire que désapprouve Pékin. Cela n’est pas indifférent à l’escale cairote où le président chinois et son hôte égyptien ont de concert «estimé que l'ouverture de négociations sur le volet syro-israélien pourrait aider à parvenir à une paix globale» avec une reprise des négociations avec Israël. Les deux chefs d’Etat ont aussi convenu de «l’importance que l'Onu joue un rôle central en Irak». La Chine a condamné l'intervention militaire américaine en Irak et demande, comme l'Egypte, le rétablissement rapide de la souveraineté irakienne. En Afrique, Pékin soutient les Etats africains qui réclament une meilleure place à l’ONU, où leurs votes lui ont toujours été favorables. Au Caire, le président chinois doit également rencontrer le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, qui souhaite créer un «forum sino-arabe de coopération», sur le modèle du Forum sino-africain inauguré en 2000, pour développer le commerce. Les visées diplomatiques de Pékin se nourrissent de l’essor économique chinois, gros consommateur de pétrole, mais aussi de bois africain.

La Chine «nouvelle» de Mao en 1949 est entrée en contact direct avec les premiers dirigeants africains en avril 1955, à la conférence afro-asiatique de Bandoeng (Indonésie). Au ban des nations occidentales, elle s’efforçait alors de multiplier les liens diplomatiques dans le camp socialiste, avec l’Union soviétique en particulier, dans l’Est européen et en Asie. A l’époque, l’Afrique indépendante se résumait à peu (Egypte, Ethiopie, Liberia). A Bandoeng, le Premier ministre Zhou Enlai était venu avec «cinq principes» chargés de régir ses relations extérieures: respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, non-agression mutuelle, non-ingérence dans les affaires intérieures, égalité des bénéfices réciproques et coexistence pacifique. Ils sont toujours en vigueur. De même, la théorie maoiste des «trois mondes» n’est pas sans résonances sur la diplomatie chinoise qui se cherche des appuis du côté des puissances intermédiaires (ou émergentes) et du «tiers-monde» pour concurrencer le «premier monde», bipolaire jusqu’en 1989 avec le rapport de force entre Washington et Moscou et aujourd’hui unipolaire dans le nouvel ordre mondial américain.

Le 30 mai 1956, juste avant la nationalisation du canal de Suez par Nasser, l’Egypte a été le premier Etat africain à nouer des relations avec Pékin qui soutiendra aussi dès 1958 la guerre de libération des Algériens ou le refus de la Guinée de Sékou Touré au maintien dans la tutelle française. Pékin entreprend alors de rayonner en Afrique et d’établir un front commun avec les nouveaux émancipés de la tutelle coloniale, pour accroître son influence politique et faire céder le «cordon sanitaire» occidental. Dans les années soixante, la détérioration des relations sino-soviétiques et l’aggravation des tensions avec les Etats-Unis modifient la donne. Pour Pékin, il s’agit de combattre une double hégémonie ancrée aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest. La flambée des indépendances en Afrique entraîne Zhou Enlai dans dix pays africains de décembre 1963 à février 1964, année faste où sont également établie des relations diplomatiques avec la France.

Dans les années soixante-dix, la rupture consommée avec l’Union soviétique, Moscou est consacré ennemi principal, devant Washington. Pékin modifie alors ses catégories en Afrique où les Etats ne sont plus seulement étiquetés «progressistes» ou «pro-impérialistes». Les Africains sont désormais soupesés en fonction de leur «alignement» sur Moscou ou Washington, qui ont largement délocalisée leur guerre froide sur le continent. Il s’agit pour Pékin de damer le pion soviétique en Afrique, ce qui explique ses interférences à premières vues paradoxales dans la même cour que Washington, en Angola par exemple (du côté d’un Savimbi allié de l’Afrique du Sud, contre l’alliance soviéto-cubaine). Mais en même temps, la Chine appuie militairement le front anti-apartheid, en Tanzanie ou en Zambie.

Fin 1969, 19 pays africains (sur 41 Etats indépendants) avaient des relations diplomatiques avec Pékin. Ils étaient 47 sur 51 à la fin des années quatre-vingt. En 1989, la chute du mur de Berlin a ouvert la perspective d’une hégémonie américaine débridée et menaçante selon la Chine. Moscou renvoyé à sa Sainte Russie, Washington désormais seul dans la cour des Grands, Pékin bat le rappel des petits et des moyens pour relever le gant des affaires planétaires. Au passage, Taiwan s’avère une pomme de discorde prédominante. Une demi douzaine d’Africains ont plus ou moins longtemps succombés à la diplomatie dollars taiwanaise (Burkina, Gambie, Sénégal, Sao Tomé et Principe, Tchad, Liberia). Mais Pékin rappelle régulièrement que le 25 octobre 1971, les votes africains ont représenté 32,9% des voix qui ont permis de remplacer Taipeh par Pékin dans le fauteuil chinois de l’ONU. Dans les années quatre-vingt-dix, à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, ce sont aussi les voix africaines qui ont repoussé les propositions de résolutions condamnant notamment le massacre de la place Tian’amen en 1989.

Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, des dignitaires chinois sillonnent l’Afrique (dont les présidents Yang Shangkun en juillet 1992 ou Jiang Zemin en mai 1996), répétant qu’ils n’ont rien à redire sur la gestion politique et économique des chefs d’Etat, mais aussi qu’ils soutiennent leur volonté de participer davantage aux affaires internationales pour défendre un nouvel ordre politico-économique. La Chine reconnaît toutefois qu’elle manque de capitaux pour soutenir sa volonté de coopération dans le monde arabo-africain. Mais «le volume des échanges commerciaux entre la Chine et les pays arabes a été multiplié par dix ces dix dernières années et a dépassé 25 milliards de dollars», a indiqué le président Hu Jintao au Caire. Il précise qu’avec l’Egypte, ils «ont dépassé pour la première fois l'an dernier le milliard de dollars». La Chine participe à la construction du métro du Caire. Le pétrole arabe intéresse son économie en pleine expansion. Celui de l’Afrique aussi. Mais sur le continent, elle achète aussi quantité de bois.

Evincer Taiwan d’Afrique

En décembre dernier, la conférence ministérielle du Forum de coopération Chine-Afrique a adopté un «Plan d'action d'Addis Abeba» qui promet notamment d’exonérer de taxes douanières certains produits provenant des pays africains les moins avancés. Mais avec 18 milliards de dollars en 2003, les échanges commerciaux sino-africains représentent seulement 2% du commerce extérieur chinois et 5% de celui de l’Afrique. Très endettée elle-même, la Chine a renoncé depuis 2000 à 1,2 milliard de dollars dus par 31 pays africains. L’année dernière, elle a aussi aidé la Centrafrique à payer ses fonctionnaires avec une allocation de 2,5 milliards de francs CFA (3,8 millions d'euros).En Afrique, la Chine fait valoir ses avancées en matière de technologie agricole, de production de semences ou d’exploration pétrolière, mais surtout le caractère bon marché de ses produits industriels et de ses machines. Elle s’affiche sur le continent dans le bâtiment (d’innombrables palais du peuple, mais aussi le sénat gabonais en cours de construction à Libreville, après l’assemblée nationale), dans les infrastructures de communication (chemin de fer au Nigeria, aérogare en cours de finition à Alger) comme dans l’industrie pétrolière (au Nigeria ou surtout au Soudan). La Chine reste en revanche discrète sur ses ventes d’armes et, au total, 600 entreprises chinoises seulement ont investi en Afrique à ce jour(pour 1,17 milliard de dollars en 2003).

Selon le ministre chinois du Commerce, Lu Fuyuan, l’objectif est de porter le commerce sino-africain à 30 milliards de dollars d'ici trois ans. Pour sa part, le président soudanais Omar Al Béchir se félicite de sa coopération avec la China National Petroleum Corporation grâce à laquelle il a pu exporter pour un milliard de dollar de pétrole pendant chacune de ces dernières années de guerre, un montant qui représente 58 % des revenus de Khartoum. De son côté, le Liberia de Gyude Bryant s’est empressé, dès son avènement, de renier Taipeh et de renouer des liens diplomatiques avec Pékin. Un premier contingent de casques bleus chinois a été dépêché fin 2003 dans ce pays forestier où Charles Taylor finançait sa guerre grâce au bois vendu à la Chine. Le Liberia impraticable, Hu Jintao a choisi de se rendre dans un autre pays d’ors noir et vert: le Gabon du président Bongo, fin connaisseur des sous-bois africains.



par Monique  Mas

Article publié le 30/01/2004