Prix Nobel
Wangari Maathai, héroïne kenyane et panafricaine
(Photo : AFP)
De notre correspondante à Nairobi.
« C’est une nouvelle page de l’histoire kenyane qui s’ouvre », affiche à la une le Standard, l’un des principaux quotidiens kenyans. Toutes les chaînes de télévision locales ont acheté les droits de retransmission en direct de la cérémonie d’Oslo. Le visage solaire et souriant de Wangari Maathai est omniprésent à Nairobi. Encouragés par les journaux à « ne pas manquer ce rendez-vous historique » de nombreux Kenyans ont suivi chez eux, au travail ou dans des cafés, le discours de celle qu’ils surnomment affectueusement « mama Maathai ». Les femmes et les jeunes filles semblent les plus touchées. A chacune de ses apparitions publiques, peu avant son départ pour la capitale norvégienne, la militante écologiste est assaillie par des jeunes femmes émues souhaitant la serrer dans leurs bras.
« Merci pour ce combat pour toutes les femmes africaines », écrit une jeune fille dont le message est diffusé à la télévision. Car c’est avant tout en cette lutte pour le droit des femmes que se reconnaîssent la plupart des Kenyanes. Le Green belt movement (GBM, mouvement de la Ceinture verte), créé en 1977 par la lauréate du prix Nobel, est composé de 90% de femmes. Rapidement, Maathai met en place au sein du GBM des services de planning familial, de nutrition et d'information qui, tous, visent à améliorer le statut de la femme. Avant de se rendre à Oslo, Wangari Maathai a précisé lors d’une conférence de presse le lien entre son militantisme écologiste et féministe : « Quand vous encouragez les femmes à planter des arbres, vous mettez l'argent entre les mains des femmes pauvres des zones rurales. Ce qui leur offre une intégration dans la vie sociale». En 30 ans au sein du GBM, cent mille femmes ont planté 30 millions d'arbres.
Voix panafricaine
« Ce prix a changé nos vies », affirme un représentant du Green belt movement à Nairobi, espérant que le Nobel de Wangari Maathai permettra d’étendre ses actions au Kenya et dans le reste du continent. Le mouvement écologiste a déjà fait des émules dans les pays voisins en Tanzanie, en Ouganda, en Éthiopie notamment via le réseau panafricain Green belt. Au-delà du mouvement en faveur de l’environnement, son discours panafricain, sous forme d’appel au développement de l'Afrique par l'Afrique, séduit une grande partie de la population du continent. «L’Afrique ne doit pas être dépendante du reste du monde. Chaque Africain, chaque Africaine, peut jouer un rôle à son niveau. C’est ce que je fais en plantant des arbres », a-t-elle ajouté lors d’une réunion la semaine dernière dans un jardin de Nairobi.
Mais en quoi planter des arbres peut-il aider à la paix dans le monde, se sont interrogés de nombreuses personnalités à l’annonce de l’attribution du prix à une militante écologiste ? Wangari Maathai n’a cessé de répondre à ces critiques jusque dans son discours à Oslo. « De nombreuses guerres qui sont conduites dans le monde le sont pour le contrôle des ressources naturelles », a-t-elle déclaré à sa descente d'avion, « en prenant soin de son environnement, on peut sauver des vies ».
Personnalité controversée
Pour les éditorialistes kenyans, Wangari Maathai n'a pas reçu le prix Nobel pour son seul engagement écologiste, mais aussi pour toutes ces années durant lesquelles elle a combattu en faveur de la démocratie et du droit des femmes. Et certains se demandent dans la capitale kenyane si ce Nobel pourrait donner des ailes politiques à Wangari Maathai, ministre adjointe à l’Environnement, qui s’était présentée sans grand succès à l’élection présidentielle de 1997. Les principaux journaux rappellent son combat entre 1978 et 2002, contre l’autoritarisme de l’ancien président Daniel Arap Moi, qui n'a accepté l'ouverture au multipartisme qu'en 1991. Plusieurs fois emprisonnée et malmenée par les autorités, Maathai est l’une figure de proue de l’opposition kenyane.
Mais Wangari Maathai, personnalité controversée et haute en couleur, ne fait pas l’unanimité. Ses déclarations sur le virus du sida, « une création de chercheurs malintentionnés », qu’elle a fermement niées jeudi soir à Oslo, ou sur l’excision des femmes « qui fait partie de l’identité de (son) ethnie kikuyu » ont fait d’elle la bête noire de certains scientifiques ou mouvements féministes, au Kenya et dans le reste du monde.
par Pauline Simonet
Article publié le 10/12/2004 Dernière mise à jour le 13/10/2005 à 13:06 TU