Tchad
Le coton en crise
(Photo: République du Tchad)
De notre envoyée spéciale dans le sud du Tchad.
Jérôme Ratoïdi, un des représentants des cotonculteurs pour la région de Sarh dans le sud-est du pays, freine brutalement sur sa bicyclette un peu rouillée. Cigarette au bec, gouttes de sueur perlant sur son front, il arrive essoufflé auprès du chef d’usine de la Cotontchad qui l’attend, l’air anxieux. Les deux hommes s’informent de l’état des négociations avec les autorités de la ville de Sarh. Depuis deux jours, l’usine est au point mort. Pour cause d’arriérés d’impôts, son fonctionnement a été suspendu. Les militaires ont investi les lieux et déclaré porte close.
«Nous n’avons même pas l’autorisation de faire entrer les camions de collecte dans les bâtiments. Il suffit que quelqu’un balance une cigarette pour que tout s’enflamme et que cette récolte soit perdue», déplore le chef d’usine. Au Tchad, la société cotonnière connaît une crise financière sans précédent depuis plusieurs années qui rend le fonctionnement des neuf usines très chaotique. La baisse des cours du coton, due aux subventions massives attribuées par certains Etats occidentaux à leurs producteurs, contribue à expliquer cette situation. De plus, depuis 2000, la privatisation de l’huilerie-savonnerie a porté un sérieux coup à la trésorerie de la société. Cette étape s’inscrivait dans le processus de désengagement de l’Etat, entamé en 1999 avec la mise en place d’un plan de stratégie de réforme du secteur coton.
Le matériel n’est pas remplacé
Autre obstacle: l’enclavement. Le voyage d’une balle de coton est particulièrement mouvementé. A partir de l’usine de Sarh jusqu’à Ngaoundéré au Cameroun, il faut compter deux à trois semaines sur mille kilomètres de mauvaise piste latéritique, puis deux jours de chemin de fer pour embarquer au port de Douala vers la France, où a lieu la commercialisation. «Avec de telles ruptures de charge, les prix de revient sont énormes, alors que les niveaux de production sont assez erratiques selon les années», souligne le directeur général de la Cotontchad, Tédji Mbaynaïssem.
La crise financière empêche le renouvellement régulier du matériel de production. A chaque campagne, il est nécessaire de remplacer les scies qui arrachent la graine du coton ainsi que les barreaux qui séparent la fibre de la graine. Or, depuis quatre ans, la société n’a pas les moyens d’importer ces pièces et doit «bricoler» avec du matériel qui s’érode et s’use. «Cela a des conséquences directes sur la qualité du coton et sur l’image de la société à l’étranger», explique Mahmat Nassour, le directeur général adjoint de la société.
Que va devenir l’Est ?
«Le problème clef dans ce processus de privatisation est qu’aucun bailleur ne se décide à mettre un sou dans l’entreprise», signale un observateur averti de la filière coton. «De surcroît, l’Etat montre peu de volonté de s’en séparer. Il lui faudrait renoncer définitivement à des ponctions intempestives pour renflouer ses caisses. Et puis, il y a une crainte réelle de crise sociale en cas de démantèlement de la filière !».
La privatisation de la société constitue un défi à plus d’un titre. Que va devenir la zone de l’Est, particulièrement enclavée, dont les contraintes de transport sont jusqu’à présent compensées grâce à un système de péréquation qui garantit la solidarité dans toute la zone cotonnière ? Qui assurera l’état des routes ? Qui veillera à l’encadrement du monde rural et à la recherche sur les variétés de coton ? Autant de questions de la part des investisseurs potentiels (tels que Dagris, société française d’économie mixte, Bolloré, Dreyfus), qui n’ont pour le moment trouvé aucune réponse. De leur côté, les producteurs, notamment dans les régions les plus enclavées, à l’est, s’interrogent sur leur avenir. S’ils devaient abandonner le coton, quelle production se substituerait à cette culture de rente pratiquée au Tchad depuis 1927 ?
par Stéphanie Braquehais
Article publié le 29/12/2004 Dernière mise à jour le 29/12/2004 à 10:29 TU