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Industrie pharmaceutique

Prozac: le scandale prend de l’ampleur

Le Prozac est prescrit à plus de 50 millions de personnes dans le monde.(Photo : AFP)
Le Prozac est prescrit à plus de 50 millions de personnes dans le monde.
(Photo : AFP)
Les révélations de documents confidentiels par le British Medical Journal, selon lesquelles la prise de l’antidépresseur Prozac pourrait accroître les risques d’actes violents et de suicide, éclaboussent la crédibilité du Laboratoire Eli Lilly, et soulignent plus largement la fragilité du système d’évaluation des médicaments par les pouvoirs publics. Si toute prise de médicament comporte des bénéfices, et des risques, il reste à savoir si le spectre de la dangerosité est clairement établi, et si les études cliniques visant à les mettre en évidence sont communiquées aux autorités sanitaires et au public dans la plus grande transparence. Or ces documents auraient en partie fait défaut en 1994 lors d’un procès opposant Lilly aux victimes d’une tuerie survenue en 1989. Après différents scandales frappant l’industrie ces derniers mois, l’affaire du Prozac jette à nouveau un doute sur la crédibilité des médicaments phares.

Un document datant du 8 novembre 1988 met en évidence les modifications comportementales et de sédation, ou manifestation inverses telles que l’agressivité, l’agitation ou la desinhibition dues à la prise de fluoxétine, principe actif du Prozac. Les études cliniques révèlent que les risques liés à la prise de cet antidépresseur -de la famille des «inhibiteurs sélectifs de la re-capture de sérotonine» (ndlr: messager chimique du cerveau)- étaient signalés par «38% de la population sous Prozac (sujette à) des accès d’excitation motrice, contre 19%, par des personnes sous placebo (ndlr: substance inactive), soit une différence de 19% attribuable à la fluoxétine». Joseph Glenmullen, un psychiatre américain, souligne que ce n’est guère surprenant, en raison des «effets similaires de la fluoxétine à ceux de la cocaïne sur la sérotonine». Le British Medical Journal vient de remettre le document à la Food and Drug administration («l’administration américaine chargée des médicaments», (FDA), laquelle n’aurait pas eu accès à ces données il y a 16 ans, lorsqu’elle étudiait le dossier pour autoriser la prescription du produit.

Longtemps médicament vedette contre la dépression, jusqu’à l’apparition des génériques en 2001, le Prozac est prescrit à plus de 50 millions de personnes dans le monde. La société américaine s’appuie sur ce chiffre pour légitimer le médicament qui a «aidé à améliorer de façon significative des millions de vies, assurant que: «sa sécurité et son efficacité sont bien établies». Dans un communiqué, le groupe pharmaceutique affirme : «Lilly a systématiquement fourni aux autorités du médicament du monde entier les résultats de ses essais cliniques et des enquêtes de surveillance menées après la mise sur le marché du produit, y compris celles concernant la fluoxétine. Lilly estime qu’il n’y a pas de nouvelles informations scientifiques concernant cette question».

Un accord secret avec la partie adverse 

Très récemment, une mise en garde générale a été faite contre le risque accru de tendances suicidaires chez les jeunes traités avec des antidépresseurs. Mais en ce qui concerne le Prozac proprement dit, un rapporteur de la FDA en charge de l’autorisation de commercialisation du  médicament, le docteur Richard Kapit, a indiqué au British Medical Journal qu’il n’avait pas eu connaissance de ces données en 1991: «Ces données sont très importantes. Si ce rapport a été fait par ou pour Lilly, la firme se devait de nous le transmettre et de la publier». Un membre démocrate du Congrès, Maurice Hinchley, va désormais examiner ces documents afin de savoir si le laboratoire a délibérément dissimulé ou minimisé les risques sanitaires liés à la prise de ce médicament.

La suspicion, autour de la transparence des essais cliniques, s’installe d’autant aujourd’hui que ces documents confidentiels auraient fait défaut en 1994 lors du procès qui a opposé Lilly aux victimes d’une tuerie survenue en 1989 dans le Kentucky (huit morts, douze blessés et le suicide de l’auteur, Joseph Wesbecker). Les proches des victimes ont accusé à l’époque le Prozac d’être responsable de cette «rage meurtrière», et le laboratoire de savoir depuis des années qu’il pouvait avoir des effets secondaires graves. La firme pharmaceutique, Eli Lilly, a gagné le procès, mais avoué en 1997 avoir conclu un accord secret avec la partie adverse d’indemnisation avec les victimes.

Y aurait-il eu dissimulation des études défavorables à la molécule à de seules fins commerciales ? L’étude du dossier le dira. Toujours est-il que cette affaire vient grossir la série de scandales. Selon l’hebdomadaire British Medical Journal, l’affaire du Prozac n’en serait que le dernier avatar: en juin 2004, le procureur de l’Etat de New York, Eliot Spitzer, accusait le laboratoire Glaxo Smith Kline d’avoir caché des études cliniques concernant les risques de pulsions suicidaires chez les jeunes sous l’antidépresseur Deroxat. En septembre 2004, l’américain Merck retirait du marché son anti-inflammatoire Vioxx –pouvant provoquer des accidents cardio-vasculaires; et dix semaines plus tard, après l’avoir nié, le laboratoire Pfizer devait reconnaître que son médicament appartenant à la même classe thérapeutique, le Celebrex, provoquait les mêmes effets.


par Dominique  Raizon

Article publié le 03/01/2005 Dernière mise à jour le 04/01/2005 à 05:54 TU

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Bernard Begaud

Pharmacologue

«Une fois de plus on se trouve démuni d’informations objectives qui permettraient de trancher.»

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