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Indonésie

Aceh apprend à revivre

La vie reprend doucement son cours à Aceh qui aurait perdu le quart de ses habitants. Les magazins rouvrent petit à petit, les journaux commencent à être redistribués...(Photo : AFP)
La vie reprend doucement son cours à Aceh qui aurait perdu le quart de ses habitants. Les magazins rouvrent petit à petit, les journaux commencent à être redistribués...
(Photo : AFP)
La vie reprend son cours à Aceh, complètement dévastée par le raz-de-marée du 26 décembre. Reportage.

De notre envoyé spécial à Aceh

Une cinquantaine de clients sont venus se faire raser chez Hasef, le barbier de la rue Sudirman. Il vient tout juste de ré-ouvrir sa petite échoppe miraculeusement épargnée par le Tsunami qui a dévasté le centre ville de Banda Aceh. «C’est deux fois plus que d’habitude», explique l’homme d’une quarantaine d’années qui a perdu sa femme, sa mère et deux de ses enfants dans la catastrophe. «Les gens ont besoin de se faire beau parce qu’ils sont tristes», dit-il, un peu absent, en scrutant l’horizon dénudée de l’ancien quartier chinois.

La vie reprend doucement son cours dans la capitale provinciale qui aurait perdu, selon certaines estimations, le quart de ses habitants. Sur les marchés, les étals ne sont pas vides. Mais ils ne débordent plus, comme avant, des fruits tropicaux – banane, mangue, noix de coco – des épices venus des îles Moluques voisines – curcuma, cumin et muscade – ou des poulets aux plumes grisonnantes pendus par les pattes. On ne trouve pas encore beaucoup de viande mais les légumes abondent. Ils sont cultivés dans les terres, à plusieurs dizaines de kilomètres des plages ravagées par le raz-de-marée.

Le désastre, et la pénurie qu’elle engendre, ont amené l’inflation. Le kilo de maïs coûte un euro contre vingt-cinq cents il y a dix jours. Quant au riz, l’aliment de base, on en mange habituellement aux trois repas du jour, son prix a doublé. Seul le poisson est en déflation. Les pêcheurs ont payé un lourd tribut au dernier caprices de la mer, et le poissonnier, privé de livraison, s’est rabattu sur les poissons d’eau douce. «Je n’en vends pas beaucoup, et pourtant j’ai divisé le prix par trois en deux jours», se lamente le commerçant qui porte le calot blanc, le chapeau traditionnel des  musulmans indonésiens. La rumeur court qu’il les a pêché dans la rivière qui a charrié des centaines de cadavres. «Les gens ont peur qu’ils portent en eux les mauvais esprit, ceux qui ont volé les âmes des martyrs de Banda Aceh», s’amuse Mohammad Din, le rédacteur en chef du Serambi Indonesia.

Le quotidien local à nouveau distribué

Le quotidien d’information le plus lu dans la province d’Aceh a payé un lourd tribut au raz-de-marée. Plus du tiers des effectifs (49 sur 140) – journalistes, maquettistes ou photographes – sont morts ou portés disparus. Les locaux et l’imprimerie du journal, tout deux situés dans le centre ville, la zone la plus sinistrée, sont entièrement détruits. Seuls deux ordinateurs, trois imprimantes et quelques appareils photos sont sortis intacts des décombres. Passé le premier traumatisme, les survivants se sont réunis dans un centre commercial a moitié dévastés. Ils se sont installés dans la partie du bâtiment encore debout avec un objectif : ressusciter le Serambi Indonesia en deux jours. Miracle, puisque le quotidien est de nouveau distribué dans les rues de la capitale provinciale et les villages avoisinants.

Chacun a consenti au surplus de travail et mis son orgueil de côté pour faire des tâches qu’il n’aurait jamais accepter auparavant. Les journalistes enquêtent et écrivent mais ils acceptent aussi de faire tourner les rotatives. les photographes photographient et  distribuent le quotidien directement à la population.  Le journal est gratuit jusqu’à vendredi prochain, il faudra ensuite payer pour l’obtenir mais il sera deux fois moins cher qu’auparavant. «Aujourd’hui plus que jamais, le but n’est pas de faire de l’argent mais d’informer», explique le rédacteur en chef. Le journal informe mais il a pris aussi la mesure du rôle que le chaos actuel lui impose. Une page entière est consacré aux avis de recherche lancé par les familles des disparus. Des centaines de réfugiés affluent encore de toutes les régions de la province. «J’ai marché pendant cinq jours» explique Irmawangsa, au bord de l’asphyxie lorsqu’il s’assoit sur le brancard qui sert de banc d’accueil au poste de secours de Lebang.

Les familles se retrouvent

Ce village de pêcheurs, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Banda Aceh, est un paysage dénudée où n’émerge plus qu’un énorme cargo jeté sur les berges par le Tsunami. «J’ai l’impression d’être revenu à Calang» s’étonne Irmawangsa. Le jeune homme, d’une trentaine d’années, les jambes boursouflées de blessures, arrive d’une autre ville, plus au sud, où 90% des dix milles habitants ont succombé à la catastrophe. Les vagues «hautes comme des cocotiers» ont rasé cette localité qui borde l’océan indien, à une soixantaine de kilomètres de l’épicentre du séisme. «Nous sommes réfugiés sur une montagne», explique-t-il en cherchant le regard hébété de fatigue de Ridwan, son compagnon de voyage. «Nous avons ensuite marché dans la jungle, grimpé des montagnes et passé des rivières en tentant de rester toujours près de la mer pour nous orienter». «Nous en réceptionnons plusieurs dizaines par jour» confirme le militaire responsable du poste. «Ils ont fait parfois plus de deux cents kilomètres, les plus vieux arrivent le soir car il fait trop chaud pour marcher le jour» ajoute le sous-officier qui tend une bouteille d’eau aux deux survivants. «Je travaillais à Calang mais je suis originaire de Banda Aceh» poursuit Irmawangsa en dévorant le bol de riz, son premier repas depuis trois jours.

Il veut maintenant retrouver ses parents et ses deux frères qui habitent dans la capitale provinciale. «J’ai croisé dans les montagnes des gens partis en sens inverse à la recherche de leur famille. Ils m’ont parlé de ce qui s’est passé à Banda Aceh. Je ne pouvais pas le croire mais quand je vois ce village, je me dis que tout est possible». Irmawangsa se lève et se remet en marche avec l’énergie du désespoir. Il parcourt un kilomètre à pied, traverse en berge une rivière dont le pont s’est écroulé, et monte, impatient et angoissé, dans une voiture qui le conduira dans la maison familiale. Son inquiétude grandit à mesure qu’il découvre les ravages du raz de marrée dans le défilé fantomatique des villages qui mènent à Banda Aceh. Ses jambes tremblent quand il descend de la voiture au milieu des rizières verdoyantes frangées de quelques humbles masures.

Un homme s’approche, doucement, puis lui tombe dans les bras. Deux frères viennent de se retrouver et découvre qu’ils sont vivants. Un instant plus tard, les étreintes et les pleurs changent de ton. Au soulagement succède la douleur. Irmawangsa vient d’apprendre que ses parents sont morts. Ils étaient dimanche matin au marché central, un des endroits les plus sinistrés de la ville. Ridwan, son ami, regarde la scène. Immobile, muet les yeux plongé dans le vide. Il doit lui aussi retrouver sa famille.

par Jocelyn  Grange

Article publié le 06/01/2005 Dernière mise à jour le 06/01/2005 à 14:22 TU