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CEDEAO

Les illusions perdues

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La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest entre dans sa trentième année d’existence avec un bilan assez contrasté. Les ambitions des pères fondateurs sont loin d’être atteintes parce que l’esprit communautaire est encore malmené par la farouche défense des souverainetés nationales. Certes, les chefs d’État et de gouvernement adoptent, des programmes dans un esprit de construction d’un bloc économique fort, mais ils ne mettent pas, ou très peu, en application les décisions prises lors des grandes messes annuelles. De fait, le citoyen de la communauté se sent tout aussi moins impliqué, reléguant la notion d’intégration au rang des incantations politiques.

L’idée d’une harmonisation des politiques tarifaires et douanières dans un espace où la plupart des pays ont une même monnaie, le franc CFA, a conduit les  autorités politiques des pays de l’Afrique de l’ouest à lancer, précisément en mai 1975, la Communauté économique des États des l’Afrique de l’ouest (CEDEAO). L’objectif principal est la construction d’un marché ouest-africain et la réalisation de l’union monétaire. Les chefs d’État et de gouvernement s’étaient donnés trente ans pour atteindre ces objectifs. Ils ont aussi apprécié l’implication, quasi vitale pour l’organisation, d’un pays tel que le Nigeria, aux potentiels humains et économiques forts. Faire sauter la barrière des langues coloniales pour privilégier l’intérêt des nations est devenu un idéal politique fort qui enjambe les frontières. Huit pays francophones, (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Togo), cinq pays anglophones (Gambie, Ghana, Liberia, Nigeria, Sierra Leone), deux pays lusophones (Cap Vert, Guinée-Bissau) ont alors choisi de se donner un destin commun à travers une organisation régionale. La Mauritanie, membre fondateur s’est retirée en 2000.

Le traité de Lagos, signé le 28 mai 1975, instituant la CEDEAO, a précisé l’adhésion des membres fondateurs à des principes dits « fondamentaux ». Egalité, interdépendance, solidarité, autosuffisance collective, coopération, harmonisation, intégration économique, non-agression, maintien de la paix, respect, promotion et protection des droits de l’Homme et des peuples, justice économique et sociale, libre circulation des biens et des personnes, promotion et consolidation de la démocratie, ont constitué l’ossature de la charte de la nouvelle organisation.

Les experts de la CEDEAO naissante ont très rapidement resitué le débat sur l’autosuffisance collective et l’intégration à travers un marché unique articulé autour d’une union économique et monétaire. Face à l’étroitesse des marchés intérieurs n’offrant aucune perspective sérieuse aux États ouest-africains face aux grands blocs commerciaux, il a été décidé la suppression des droits de douane, l’établissement d’un tarif extérieur commun, l’harmonisation des politiques économiques et financières et la création d’une zone monétaire. Mais ces  nobles intentions ont engendré la création d’une multitude d’institutions qui n’ont pas su répondre aux attentes.

Les pays membres de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (en vert sur la carte).
(Carte GéoAtlas/RFI)

Une deuxième zone monétaire

Le commerce et les échanges à l’intérieur de l’espace CEDEAO sont restés très faibles n’atteignant que péniblement le seuil de 11% par rapport au commerce avec les pays tiers. Ces faiblesses sont imputables à l’instabilité politique, à la mauvaise gouvernance, à l’inadaptation des infrastructures nationales aux exigences d’une économie moderne. Par ailleurs, la plupart des États font aussi partie d’organisations régionales aux attributs similaires à ceux développés par la CEDEAO. Au tableau des échecs figure également la création d’une deuxième zone monétaire, entre le Nigeria, le Ghana, le Liberia, la Sierra Leone, la Gambie le Cap Vert.

La zone monétaire unique de la CEDEAO, prévue sur papier en juillet 2005, est encore repoussée aux calendes grecques. La convergence des politiques économiques et financières, semble pour l’instant, un objectif difficile à atteindre au vu des énormes disparités qui existent, par exemple entre le Nigeria et le Liberia, tout juste sorti d’une guerre civile de dix ans. Cependant l’union monétaire reste un objectif primordial. Les gouverneurs des banques centrales des pays de la CEDEAO réunis en ce début d’année à Abuja au Nigeria, ont débloqué une somme de 118 000 dollars pour engager les travaux et études afin d’aboutir dans les meilleurs délais à la création d’une monnaie unique en zone CEDEAO.

Les réalisations

Un protocole sur la libre circulation des personnes  a été signé en 1978 et tout de suite mis à mal par l’expulsion massive des Ghanéens, Béninois, et autre Burkinabés par le Nigeria en janvier 1983. Mais l’organisation a maintenu le principe de la libre circulation des personnes en abolissant les visas pour les ressortissants des pays de la communauté. Toutes les initiatives en faveur de ce principe sont soutenues, tel que le carnet de voyage instauré entre le Burkina Faso, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Niger, le Nigeria et la Sierra Léone. Ce document devrait servir de base de travail et de réflexion pour la confection du futur passeport de la CEDEAO. Une évolution notable est la disparition progressive des tracasseries administratives aux postes frontières entre les pays de la communauté. Le chèque de voyage CEDEAO lancé en juillet 1999 pour faciliter les opérations de commerce et de paiement satisfait les usagers, mais connaît un relatif succès, du fait du manque de publicité dont souffre ce produit.

Dans le même esprit, les barrières douanières sont progressivement levées sur certains produits pour favoriser les échanges commerciaux intra-communautaires. Un jeu de compensations permet aux États de récupérer les manques à gagner. Mais sur les routes inter-Etat, d’innombrables postes de douanes et de gendarmeries sont apparues et participent à une grande corruption. Les pays enclavés, comme le Niger ou le Burkina Faso en font les frais. La route nationale Cotonou –Niamey, longue de 1 036 km, empruntée par les camions de transit, est jonchée d’une trentaine de postes de contrôle. Entre le port de Lomé et Ouagadougou, 989 km, la situation est identique malgré l’engagement pris par les Etats côtiers de remédier à cette situation et malgré aussi la création des Comités nationaux de suivi des programmes de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des transports. Cependant, le travail de ces comités, dans certains pays, ont conduit à l’établissement d’une carte d’assurance automobile, de couleur brune, aujourd’hui en vigueur entre 12 pays de la communauté.

D’autres instances, autres que politiques, Conférences des chefs d’État et de gouvernement, le Conseil des ministres et le secrétariat exécutif,  ont vu le jour : le Parlement de la Communauté, le 6 août 1994. Son président, le Malien Nouhoum Diallo, plaide encore pour l’extension des prérogatives de son institution, par exemple, le droit de contrôler l’exécution de budget de la communauté. Il ne veut plus seulement se contenter de le voter. La Cour de justice de la communauté, créée en 1991, instruit les litiges entres États membres, les institutions, les individus et les sociétés. Enfin une autre instance a volé la vedette aux premières parce qu’elle a joué un rôle de premier plan dans les conflits civiles en Sierra Leone et au Liberia. En 1990, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement a décidé, pour ces pays, la mise en place d’un groupe de surveillance et d’application du cessez-le-feu, l’ECOMOG (Economic Community of West African States Cease-Fire Monitoring group), composé de plusieurs milliers de soldats. Ces troupes se sont également illustrées en Guinée-Bissau, lors de rébellion armée (1998-1999). Un détachement fort de 1 300 hommes est actuellement sur le terrain en Côte d’Ivoire.

par Didier  Samson

Article publié le 19/01/2005 Dernière mise à jour le 19/01/2005 à 15:08 TU