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Cameroun

Des prisons en peine

Carte du Cameroun(Carte : DR)
Carte du Cameroun
(Carte : DR)
Surpeuplement, vétusté, manque de personnel... les prisons au Cameroun sont accusées de tous les maux. Les appuis des bailleurs de fonds aussi précieux soient-ils, n’ont pas suffi à régler ce problème complexe.

De notre correspondant à Yaoundé

Depuis le début de cette année, les événements se sont enchaînés. Le 16 janvier, une trentaine de détenus se sont échappés de la prison de Bafoussam, située à 400 kilomètres de la capitale Yaoundé. Au cours de l’évasion, les fugitifs neutralisent le geôlier de service, le blessent grièvement. Ils auraient d’ailleurs être plus nombreux, si une demi-dizaine des candidats à cette aventure ne s’étaient faits rattraper. Le 3 janvier déjà, une mutinerie éclatait dans la prison de New-Bell à Douala, faisant un mort, et une vingtaine de blessés, dont certains graves. Une bastonnade à mort d’un prisonnier par des «anti-gangs»- un groupe de détenus triés sur le volet et chargés par les responsables, d’assurer la surveillance du pénitencier- avait mis le feu aux poudres, entraînant un soulèvement général. Dans l’urgence, les autorités avaient décidé d’affecter à Douala, une soixantaine de gardiens de prison dans le but de renforcer les effectifs déjà insuffisants. Avant le limogeage, quelques jours plus tard, du régisseur de la prison. Ce dernier n’avait pas hésité à évoquer les conditions de travail difficiles du personnel, la vétusté et l’insuffisance du matériel de sécurité, et souligner que les libérations survenues récemment ne suffirait pas à désengorger la prison.

Depuis le début de cette année, les grands problèmes de l’univers carcéral camerounais sont à nouveau à l’ordre du jour. Le pays est pris en défaut pour non-respect de certains normes internationales, même s’il est de notoriété publique que la plupart des prisons camerounaises sont très vétustes. Leur capacité d’accueil est également largement dépassée. A Bafoussam, le lieu de détention qui avait été construit pour 300 places, accueille quelques 1 260 prisonniers. A Yaoundé, la prison centrale de Kondengui, forte de ses quelques 3 700 détenus, est visiblement passée d’époque, puisqu’elle avait été bâtie pour 1 000 places. Quant au pénitencier de New-Bell de Douala, on y dénombre plus de 3 000 détenus pour un espace de 800 places.

Les lenteurs des procédures judiciaires

Dénominateur commun de toutes ces maisons d’arrêt : déshumanisation, insalubrité, insécurité. Les organisations de défense des droits de l’Homme évoquent pêle-mêle régulièrement de graves problèmes de répartition des détenus, les mineurs cohabitent par exemple avec les adultes, d’où de nombreuses dérives : maladies, homosexualité, viols, vols, trafics divers, etc. C’est ainsi que la prison de Kondengui à Yaoundé compte quatre «quartiers», dont deux ont été rénovés et accueillent chacun quelque 300 détenus, tandis que les deux autres en attente de réfection sont peuplés chacun de plus de 1 000 occupants). Les efforts des «pays amis» du Cameroun comme la France ont permis d’améliorer l’ordinaire. Ainsi, l’appui financier de la France a permis l’assainissement de la prison centrale de Douala et la prison de Méri (rehaussement bétonné du sol, réfection de l’ensemble des évacuations, des sanitaires et de la toiture). Mais, dans un pays où la durée moyenne des détentions préventives est de un à deux ans, voire parfois dix ans, le surpeuplement des prisons reste un vaste problème. Si l’on en croit un expert, les causes sont multiples: «la montée de la criminalité dans les grandes villes, la multiplication des unités des forces de l’ordre en milieu urbain, mais surtout, les lenteurs des procédures judiciaires dues au manque de moyens et de personnel pour les enquêtes (qui aboutit à la délivrance quasi–systématique des mandats de dépôt) et dans les juridictions».

Les bailleurs sont également à l’œuvre. Financé par le Fonds européen de développement, le Programme d’amélioration des conditions de détention et respect des droits l’Homme (Pacdet) a été mis en place depuis janvier 2002, et devrait durer trois ans. Son objectif principal est la réduction de la durée de détention préventive des détenus des prisons centrales de Douala et de Yaoundé. Les actions ont surtout menées en faveur des détenus indigents. Des investissements ont permis la construction des parloirs, l’acquisition du matériel informatique et de machines à écrire dans les parquets. Des actions de sensibilisation ont également été mises en place avec notamment des consultations gratuites offertes aux détenus auprès d’avocats professionnels.

Plus décisives encore, les interventions d’une cinquantaine d’avocats rémunérés ont permis d’atteindre quelques résultats. C’est ainsi que fin 2004, sur les quelque 2 500 dossiers défendus devant les tribunaux militaires ou de grande instance et les cours d’appel, près de 70% ont été bouclés, avec une majorité de libérations de prisonniers. Reste que ce projet limité à deux prisons centrales a suscité de nombreuses critiques, certains estimant que «s’il y a de moins de détentions préventives, les courts séjours en prison sont en revanche de plus en plus nombreux». Suite aux récents événements, les autorités camerounaises envisagent d’accroître les effectifs des gardiens de prison et évoquent l’agrandissement des maisons d’arrêt, comme celle de New-Bell. Des mesures mises en place dans l’urgence mais qui n’apportent pas une solution à long terme comme explique un expert: «l’idéal est d’avoir plusieurs lieux de détention où le détenus sont séparés selon qu’ils sont mineurs, femmes, prévenus ou condamnés. Le gouvernement évoque l’absence de moyens financiers. Mais ce ne sont pas des projets que les bailleurs de fonds, pointilleux sur les questions des droits de l’homme, acceptent de financer spontanément».


par Valentin  Zinga

Article publié le 23/01/2005 Dernière mise à jour le 25/01/2005 à 17:09 TU