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Kosovo

L'indépendance dès 2006 ?

Au Kosovo, les populations non-albanaises (Serbes, Roms, etc.) continuent de vivre terrées dans des enclaves. (Photo: OSCE)
Au Kosovo, les populations non-albanaises (Serbes, Roms, etc.) continuent de vivre terrées dans des enclaves.
(Photo: OSCE)
L’International Crisis Group (ICG) vient de présenter un rapport explosif sur le Kosovo, proposant l’indépendance du territoire placé sous protectorat des Nations Unies dès 2006. Une option inacceptable pour Belgrade, et qui pourrait remettre le feu aux poudres dans l’ensemble de la région.

De notre envoyé spécial à Bruxelles

Tout le monde s’accorde sur un constat. «Le statu quo ne peut plus durer», ainsi que l’a souligné l’ancien commissaire européen Chris Patten, qui présentait ce rapport. Plus de cinq ans après les bombardements du printemps 1999 et l’instauration du protectorat international, le Kosovo ressemble de plus en plus à un bateau ivre. Les Albanais ne veulent pas entendre parler d’autre chose que de l’indépendance, tandis que la Serbie s’accroche au respect de la résolution 1244 des Nations unies, qui garantit la souveraineté formelle de la Serbie sur le Kosovo.

Le bilan de la communauté internationale n’est guère brillant: le Kosovo ne connaît aucun frémissement économique, les services publics sont en déshérence, la corruption est massive, et les émeutes de mars 2004 ont tragiquement révélé l’incapacité de la Mission des Nations unies (Minuk) et de celle de l’Otan (KFOR) à garantir l’ordre et la sécurité dans le territoire. Point essentiel, on ne compte toujours pratiquement aucun retour de réfugiés serbes et toutes les populations non-albanaises (Serbes, Roms, etc.) continuent de vivre terrés dans des enclaves.

Depuis plusieurs mois, un consensus semblait s’être établi dans la communauté internationale pour ouvrir les négociations sur le statut final du Kosovo au printemps 2005, mais sans préciser de calendrier sur l’évolution de ces négociations. Le rapport des experts de l’ICG préconise au contraire une marche forcée vers l’indépendance, avec la désignation d’un envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies chargé de mener ces négociations. Dans cette perspective, l’assemblée du Kosovo devrait adopter un projet de constitution pour le Kosovo, tandis que le gouvernement du territoire devrait définir une stratégie spéciale pour la protection des minorités, notamment pour le retour des Serbes dans la capitale Pristina, qui serait proclamée «ville ouverte». L’intégralité des 40 000 Serbes qui vivaient dans la ville avant 1999 en ont effectivement été chassés. L’Assemblée et le gouvernement sont entièrement dominés par les représentants albanais, puisque les Serbes du Kosovo ont massivement boycotté les élections du 23 octobre dernier.

Selon les recommandations de l’ICG, un accord devrait être établi sur le projet de Constitution, ouvrant la voie à un «Accord du Kosovo», accepté par une Conférence internationale qui aurait lieu d’ici la fin de l’année 2005. Au début 2006, cet accord serait validé par un référendum au Kosovo et la Minuk transférerait toutes ses compétences au gouvernement du Kosovo au milieu de l’année 2006. L’indépendance serait ensuite proclamée et reconnue, un accord spécifique pouvant être trouvé sur la prolongation d’une mission de maintien de la paix de l’Otan.

Ballon d’essai

La stratégie définie par le rapport donne le rôle principal au groupe de contact, sans évoquer à une seule reprise celui que pourrait jouer l’Union européenne. Pourtant, l’Union a repris ces derniers mois les compétences politiques et militaires des Nations unies et de l’Otan en Bosnie-Herzégovine, et certains scénarios prévoient un renforcement du rôle de Bruxelles dans la gestion du dossier du Kosovo. Le rapport de l’ICG a probablement la valeur d’un ballon d’essai lancé par certains cercles diplomatiques américains pour tester les réactions serbes et européennes. Lors de la présentation du rapport, on notait ainsi dans la salle la présence de personnalités comme Jamie Shea, l’ancien porte-parole de l’Otan durant les bombardements du printemps 1999.

Également présent, l’ancien ministre serbe des Affaires étrangères, Goran Svilanovic, aujourd’hui expert auprès du pacte de stabilité pour l’Europe du sud-est, reconnaissait en coulisses que le grand problème est que l’Union européenne n’a aucune stratégie alternative lisible pour le Kosovo. En cas d’avancées vers des négociations effectives, il est également possible que les différentes diplomaties européennes aient bien du mal à se mettre d’accord entre elles.

Salué par les Albanais, le rapport de l’ICG a, naturellement, été fort mal reçu à Belgrade, où l’on dénonce une approche «partiale», qui risque de contribuer à une nouvelle «déstabilisation» de la région. Le chef du Corps de coordination serbe pour le Kosovo, Nebojsa Covic, qui était auditionné mardi après-midi par le Parlement européen, n’a pas hésité à relancer la vieille menace serbe: si le Kosovo devenait indépendant, pourquoi ne pas reconnaître aussi l’indépendance de la Republika Srpska, «l’entité» serbe de Bosnie-Herzégovine, ce qui ferait immédiatement éclater ce fragile pays.

par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 26/01/2005 Dernière mise à jour le 26/01/2005 à 16:00 TU