Kosovo
Aux urnes, sans enthousiasme
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial à Pristina.
Seuls 17 électeurs ont accompli leur devoir électoral à Mitrovica, 30 dans la petite ville serbe de Leposavic. À Gracanica, une enclave serbe du Kosovo central, on ne comptait qu’un seul votant, lui-même candidat. Au total, la participation serbe aux élections législatives ne dépasse pas le niveau dérisoire de 0,3% des inscrits.
Les appels au boycott lancés par le gouvernement de Belgrade et l’Église orthodoxe serbe semblent donc avoir été entendus, et les observateurs internationaux n’ont signalé aucun cas de pressions directes pour dissuader les éventuels électeurs qui auraient pu vouloir se rendre aux urnes.
Une poignée de Serbes vivent encore dans un unique immeuble collectif de Pristina. En mars dernier, les émeutiers albanais avaient attaqué cet immeuble. Le Premier ministre albanais du Kosovo avait alors promis une reconstruction « modèle ». La façade incendiée de l’immeuble a été repeinte, mais la plupart des appartements demeurent inhabitables. 70 familles serbes vivaient dans cet immeuble ghetto avant les émeutes de mars, elles ne sont plus que 25. Lors des précédentes élections, en 2001, la participation avait été de 100%, mais samedi, seuls trois électeurs se sont rendus aux urnes. « Pourquoi voter ? », demande la présidente du bureau. « En 2001, nous avons voulu jouer le jeu en montrant que nous étions prêts à coopérer avec les Albanais et la communauté internationale. Depuis les émeutes de mars, nous avons perdu toute confiance. Nous savons que nous ne pouvons pas compter sur les soldats de l’OTAN pour assurer notre protection ».
Soren Jessen-Petersen, le nouveau chef de la Mission des Nations unies au Kosovo a dénoncé en termes violents le large boycott des Serbes, en évoquant les pressions des « pseudo-leaders nationalistes » de la communauté. Cette déclaration risque de susciter de vives protestations de la part de l’Église orthodoxe. Soren Jessen-Petersen estime que les Serbes risquent de se mettre hors-jeu à la veille des négociations sur l’avenir du Kosovo. Cependant, dix sièges sont réservés aux Serbes sur les 120 que compte le Parlement.
Frustrations face au protectorat international
Côté albanais, la participation est aussi sensiblement plus faible que lors des précédents scrutins, avec 53%, bien loin des 80% enregistrés lors des élections municipales de 2000, le premier scrutin après l’instauration du protectorat international. Durant toute la campagne électorale, un âne a arpenté les rues de Pristina, affublé d’un manteau portant le slogan : « Votez pour moi, je ferai l’indépendance ». Par ce biais, le réseau citoyen animé par Albin Kurti, un ancien dirigeant étudiant albanais longtemps incarcéré en Serbie, entend dénoncer le « simulacre de démocratie » que représenteraient les élections de samedi.
Pour Albin Kurti, le protectorat des Nations Unies est incompatible avec la démocratie et la souveraineté des citoyens. Il appelait donc au boycott des élections, et ce message semble avoir touché un grand nombre d’électeurs albanais, qui ne cachent plus leur déception et leurs frustrations face au protectorat international, mais aussi face à une classe politique albanaise qui se contente de réclamer l’indépendance, sans proposer aucune solution concrète.
Au bout du compte, ces élections ne devraient pas révéler de changements majeurs dans les équilibres politiques albanais. La Ligue démocratique du Kosovo (LDK), la formation d’Ibrahim Rugova, obtiendrait, selon des comptages partiels, 47% des suffrages des suffrages, devant le Parti démocratique du Kosovo (PDK), 27%, et l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK), 8%, deux partis issus de l’ancienne guérilla albanaise de l’UCK. Le journaliste Veton Surroi fait également son entrée au Parlement, la liste « d’initiative citoyenne » qu’il conduisait obtiendrait 6%. Les résultats définitifs ne seront pas connus avant plusieurs jours. Il reviendra au nouveau Parlement de désigner le nouveau gouvernement et le Président du territoire. La MINUK a souhaité que les différents partis politiques puissent s’entendre rapidement sur la formation de ce gouvernement.
La reconduction d’une coalition entre tous les partis albanais demeure l’option la plus probable, à moins que les partisans d’Ibrahim Rugova ne parviennent à former une coalition majoritaire sans l’appui du PDK, qui serait rejeté dans l’opposition. Selon des rumeurs persistantes, le président du PDK, Hashim Thaçi, pourrait être rapidement inculpé de crimes de guerre, en raison de son rôle dans le conflit de 1998-1999. Il était alors le principal porte-parole de l’UCK.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 25/10/2004 Dernière mise à jour le 25/10/2004 à 14:17 TU