Balkans
La nouvelle guérilla albanaise est-elle une menace réelle ?
Depuis l’été, une nouvelle guérilla multiplie les attentats et les coups de main en Macédoine et dans le sud de la Serbie. Alors que des négociations directes entre Belgrade et Pristina sur l’avenir du Kosovo doivent prochainement s’ouvrir, les Balkans sont-ils menacés par une nouvelle flambée de violence ?
De notre correspondant à Belgrade
À quelques kilomètres de la petite ville de Bujanovac, dans le sud de la Serbie, sur la route qui mène au Kosovo, le village de Miratovac était, en 2001, un bastion de la guérilla albanaise. L’Armée de libération de Presevo, Medvedja et Bujanovac (UCPMB) a déposé les armes en mai 2001, après la conclusion d’un accord de paix avec Belgrade. Depuis le printemps, les grands murs aveugles qui entourent les maisons de Miratovac sont néanmoins recouverts de graffitis à la gloire d’un nouveau mouvement de guérilla : l’Armée nationale albanaise (ANA, en albanais Armata kombëtare shqiptarve, ou AKSh). Aux abords du village, quelques hommes, en civil, semblent monter la garde : nul doute qu’ils pourraient très rapidement revêtir l’uniforme de cette nouvelle guérilla. De toute façon, la police serbe, dont les patrouilles traversent le village pour aller surveiller les frontières du Kosovo, préfère ne pas s’attarder à Miratovac.
C’est dans le sud de la Serbie que l’ANA disposerait de ses principaux relais. Les 70 000 Albanais de la vallée de Presevo sont naturellement intéressés par le discours très radical de la guérilla, qui réclame l’unification de toutes «les terres albanaises» des Balkans, et la création d’un «État ethnique albanais unifié». Jusqu’à présent, les différents mouvements de guérilla – l’Armée de libération du Kosovo (UCK), l’UCPMB et l’Armée de libération nationale de Macédoine (UCK-M) – ne revendiquaient pas cet objectif de «Grande Albanie». L’UCK se battait pour l’indépendance du Kosovo et les deux autres mouvements pour l’octroi de droits accrus aux communautés albanaises du sud de la Serbie et de Macédoine.
Le fonds de commerce de l’ANA repose sur la désillusion qui a saisi les populations albanaises des Balkans : les dispositions des processus de paix tardent à s’appliquer en Macédoine comme dans le sud de la Serbie, et la communauté internationale oppose une fin de non recevoir à la revendication d’indépendance du Kosovo. Des négociations directes sur l’avenir du Kosovo doivent néanmoins s’ouvrir prochainement à Vienne entre représentants de Belgrade et de Pristina. Les Albanais du sud de la Serbie craignent d’être oubliés dans ces pourparlers. Pour eux, leur petite région n’est autre que le «Kosovo oriental» et certains sont prêts à reprendre les armes pour obtenir un rattachement de la zone au Kosovo.
Depuis l’été, les attentats revendiqués par l’ANA se sont multipliés dans le sud de la Serbie et en Macédoine, même si les capacités réelles d’action de la guérilla demeurent mal connues. Les experts pensent qu’elle compte tout au plus sur 200 combattants véritablement actifs, mais elle dispose aussi d’un plus large volant de sympathisants faciles à enrôler. D’anciens combattants des guérillas de 1999-2001, mécontents des accords de paix et de leur propre situation sociale, pourraient se laisser convaincre par la nouvelle aventure. Ces «demi-soldes» de la cause albanaise représentent plusieurs milliers de combattants aguerris.
Un soutien populaire difficile à évaluer
L’ANA, qui s’exprime essentiellement par le biais d’un site Internet domicilié en Suisse, dispose d’importants relais dans la diaspora, notamment dans le canton de Saint Gall, en Suisse, et dans la région de Liège, en Belgique. Trois hommes dirigent le mouvement. Gafurr Adili, qui se fait appeler Valdet Vardari, est un Albanais de Macédoine incarcéré depuis l’été en Albanie. Le «général» Vigan Gradica, qui dirige l’état-major de la guérilla, de son vrai nom Spiro Butko, est un ancien officier de l’Armée albanaise, qui a brièvement appartenu au Corps de protection du Kosovo (TMK). Le porte-parole du Front pour l’Unification nationale albanaise (FBKSh), la vitrine politique de l’ANA, est un certain Idajet Beqiri, connu sous le pseudonyme d’Alban Vjosa. Cet ancien agent à l’étranger des services secrets de l’Albanie stalinienne dispose du statut de réfugié en Belgique. Ces dernières années, il avait créé un petit parti ultra-nationaliste, l’UNIKOMB. Cet engagement d’Albanais d’Albanie est relativement nouveau, et pourrait être mis en relation avec la radicalisation du discours des dirigeants de Tirana qui ont rompu avec leur traditionnelle prudence sur la question du Kosovo.
Ces anciens agents des services secrets albanais semblent s’être liés avec des caïds de la scène politico-mafieuse de Macédoine, notamment avec les proches de Menduh Thaçi, le vice-président du Parti démocratique des Albanais (PDSH), repassé dans l’opposition depuis septembre 2002. L’ancienne guérilla albanaise de Macédoine, transformée en parti politique, siège en effet au gouvernement du pays depuis un an, mais sans obtenir de progrès bien sensibles pour la population albanaise. Marginalisés, les dirigeants du PDSH joueraient en sous-main la carte de la radicalisation. Menduh Thaçi dispose de plusieurs dizaines d’hommes qui rackettent pour son compte toutes les marchandises en transit entre le Kosovo et la Macédoine, notamment les stupéfiants passant par les cols de la montagne de Sar Planina, au-dessus de la ville de Tetovo. Les chefs mafieux de Tetovo, marginalisés depuis les accords de paix, pensent peut-être tenir avec l’ANA l’occasion de leur revanche.
Il demeure difficile d’évaluer le soutien populaire dont jouit la nouvelle guérilla, qui ne semble pas disposer de positions bien solides au Kosovo lui-même. Si beaucoup d’Albanais des Balkans ont renoncé à l’euphorie nationaliste des années 1999-2001, l’enlisement de la situation économique, sociale et politique en Macédoine, dans le sud de la Serbie comme au Kosovo pourrait favoriser une nouvelle flambée de violence.
À quelques kilomètres de la petite ville de Bujanovac, dans le sud de la Serbie, sur la route qui mène au Kosovo, le village de Miratovac était, en 2001, un bastion de la guérilla albanaise. L’Armée de libération de Presevo, Medvedja et Bujanovac (UCPMB) a déposé les armes en mai 2001, après la conclusion d’un accord de paix avec Belgrade. Depuis le printemps, les grands murs aveugles qui entourent les maisons de Miratovac sont néanmoins recouverts de graffitis à la gloire d’un nouveau mouvement de guérilla : l’Armée nationale albanaise (ANA, en albanais Armata kombëtare shqiptarve, ou AKSh). Aux abords du village, quelques hommes, en civil, semblent monter la garde : nul doute qu’ils pourraient très rapidement revêtir l’uniforme de cette nouvelle guérilla. De toute façon, la police serbe, dont les patrouilles traversent le village pour aller surveiller les frontières du Kosovo, préfère ne pas s’attarder à Miratovac.
C’est dans le sud de la Serbie que l’ANA disposerait de ses principaux relais. Les 70 000 Albanais de la vallée de Presevo sont naturellement intéressés par le discours très radical de la guérilla, qui réclame l’unification de toutes «les terres albanaises» des Balkans, et la création d’un «État ethnique albanais unifié». Jusqu’à présent, les différents mouvements de guérilla – l’Armée de libération du Kosovo (UCK), l’UCPMB et l’Armée de libération nationale de Macédoine (UCK-M) – ne revendiquaient pas cet objectif de «Grande Albanie». L’UCK se battait pour l’indépendance du Kosovo et les deux autres mouvements pour l’octroi de droits accrus aux communautés albanaises du sud de la Serbie et de Macédoine.
Le fonds de commerce de l’ANA repose sur la désillusion qui a saisi les populations albanaises des Balkans : les dispositions des processus de paix tardent à s’appliquer en Macédoine comme dans le sud de la Serbie, et la communauté internationale oppose une fin de non recevoir à la revendication d’indépendance du Kosovo. Des négociations directes sur l’avenir du Kosovo doivent néanmoins s’ouvrir prochainement à Vienne entre représentants de Belgrade et de Pristina. Les Albanais du sud de la Serbie craignent d’être oubliés dans ces pourparlers. Pour eux, leur petite région n’est autre que le «Kosovo oriental» et certains sont prêts à reprendre les armes pour obtenir un rattachement de la zone au Kosovo.
Depuis l’été, les attentats revendiqués par l’ANA se sont multipliés dans le sud de la Serbie et en Macédoine, même si les capacités réelles d’action de la guérilla demeurent mal connues. Les experts pensent qu’elle compte tout au plus sur 200 combattants véritablement actifs, mais elle dispose aussi d’un plus large volant de sympathisants faciles à enrôler. D’anciens combattants des guérillas de 1999-2001, mécontents des accords de paix et de leur propre situation sociale, pourraient se laisser convaincre par la nouvelle aventure. Ces «demi-soldes» de la cause albanaise représentent plusieurs milliers de combattants aguerris.
Un soutien populaire difficile à évaluer
L’ANA, qui s’exprime essentiellement par le biais d’un site Internet domicilié en Suisse, dispose d’importants relais dans la diaspora, notamment dans le canton de Saint Gall, en Suisse, et dans la région de Liège, en Belgique. Trois hommes dirigent le mouvement. Gafurr Adili, qui se fait appeler Valdet Vardari, est un Albanais de Macédoine incarcéré depuis l’été en Albanie. Le «général» Vigan Gradica, qui dirige l’état-major de la guérilla, de son vrai nom Spiro Butko, est un ancien officier de l’Armée albanaise, qui a brièvement appartenu au Corps de protection du Kosovo (TMK). Le porte-parole du Front pour l’Unification nationale albanaise (FBKSh), la vitrine politique de l’ANA, est un certain Idajet Beqiri, connu sous le pseudonyme d’Alban Vjosa. Cet ancien agent à l’étranger des services secrets de l’Albanie stalinienne dispose du statut de réfugié en Belgique. Ces dernières années, il avait créé un petit parti ultra-nationaliste, l’UNIKOMB. Cet engagement d’Albanais d’Albanie est relativement nouveau, et pourrait être mis en relation avec la radicalisation du discours des dirigeants de Tirana qui ont rompu avec leur traditionnelle prudence sur la question du Kosovo.
Ces anciens agents des services secrets albanais semblent s’être liés avec des caïds de la scène politico-mafieuse de Macédoine, notamment avec les proches de Menduh Thaçi, le vice-président du Parti démocratique des Albanais (PDSH), repassé dans l’opposition depuis septembre 2002. L’ancienne guérilla albanaise de Macédoine, transformée en parti politique, siège en effet au gouvernement du pays depuis un an, mais sans obtenir de progrès bien sensibles pour la population albanaise. Marginalisés, les dirigeants du PDSH joueraient en sous-main la carte de la radicalisation. Menduh Thaçi dispose de plusieurs dizaines d’hommes qui rackettent pour son compte toutes les marchandises en transit entre le Kosovo et la Macédoine, notamment les stupéfiants passant par les cols de la montagne de Sar Planina, au-dessus de la ville de Tetovo. Les chefs mafieux de Tetovo, marginalisés depuis les accords de paix, pensent peut-être tenir avec l’ANA l’occasion de leur revanche.
Il demeure difficile d’évaluer le soutien populaire dont jouit la nouvelle guérilla, qui ne semble pas disposer de positions bien solides au Kosovo lui-même. Si beaucoup d’Albanais des Balkans ont renoncé à l’euphorie nationaliste des années 1999-2001, l’enlisement de la situation économique, sociale et politique en Macédoine, dans le sud de la Serbie comme au Kosovo pourrait favoriser une nouvelle flambée de violence.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 05/10/2003