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Balkans

La Macédoine fête son indépendance dans la désunion

La Macédoine a fêté samedi le centenaire de la première insurrection macédonienne. Le conflit entre les Églises orthodoxes serbe et macédonienne risque pourtant de rallumer une crise entre les deux pays.
Le 2 août est une date doublement sacrée pour les Macédoniens. Le 2 août 1903, jour de la Saint-Élie – ou Ilinden en macédonien – éclate la première insurrection menée par l’Organisation révolutionnaire intérieure de Macédoine (VMRO), qui cherche à libérer le pays du joug turc. Les insurgés proclamèrent une éphémère république à Krusevo, dans le centre du pays. Le VMRO actuel, héritier autoproclamé de l’historique formation, a été chassé du pouvoir par les sociaux-démocrates à l’automne dernier, après avoir failli mener le pays à la banqueroute et à la guerre civile. Malgré cela, l’unité nationale, fut-elle de façade, a été à l’ordre du jour samedi, nouvelle majorité et opposition nationaliste se retrouvant pour un pique-nique géant et de solennelles commémorations dans la petite ville de Krusevo. Des représentants des diasporas macédoniennes d’Australie, de Nouvelle-Zélande et du Canada avaient même fait le voyage.

La Macédoine actuelle est aussi tributaire d’un autre 2 août, celui de l’année 1944, quand les délégués du Conseil antifasciste de libération nationale proclamèrent la naissance de la République socialiste fédérée de Macédoine. Les délégués partisans s’étaient réunis dans l’enceinte du monastère de Sveti Prohor Pcinjski, lequel se situe aujourd’hui à 500 mètres des frontières de la Macédoine, mais du côté serbe. Une délégation macédonienne avait prévu de se rendre au monastère, mais l’Église orthodoxe serbe, propriétaire des lieux, y a opposé un veto catégorique. La délégation, conduite par la ministre des Affaires étrangères et le président du Parlement de Macédoine, a donc dû se contenter de célébrer ce jour historique à l’extérieur des murs du monastère.

Un sentiment patriotique commun

L’Église orthodoxe macédonienne, qui a proclamé son indépendance en 1967, est en effet considérée comme schismatique par sa grande sœur serbe. Il y a un an, un compromis avait été suggéré, prévoyant le retour provisoire de l’Église macédonienne dans le giron de l’Église, qui lui aurait aussitôt concédé un statut d’autonomie. Depuis, les négociations patinent, et les relations ne cessent de se détériorer entre les deux Églises. L’Église serbe a désigné un évêque pour la représenter en Macédoine ; dès que celui-ci a voulu célébrer la liturgie dans une église macédonienne, il a été arrêté par la police, et détenu durant cinq jours. Par la suite, plusieurs prêtres serbes ont été refoulés à la frontière par la police macédonienne. En raison du lien trop étroit entre appartenance confessionnelle et identité nationale développé par les Églises orthodoxes des Balkans, la crise menace donc d’affecter les rapports d’États entre les deux pays. Les représentants des autorités civiles de Belgrade essaient de désamorcer la crise en multipliant les gestes d’amitié envers leurs homologues de Skopje, mais sans oser contester ouvertement la position radicale choisie par l’Église serbe.

Au lieu de la communion nationale souhaitée pour les célébrations du centenaire d’Ilinden, les Macédoniens se retrouvent encore une fois confrontés au déni de leur identité par leurs voisins. Le nationalisme macédonien cultive d’ailleurs un très fort sentiment de persécution face aux puissants voisins que sont les Serbes, les Grecs et les Bulgares. Cependant, les célébrations d’Ilinden n’ont pas non plus permis que les différents groupes ethniques vivant en Macédoine se retrouvent autour d'une histoire commune.

Représentant un quart de la population du pays, les Albanais ont encore une fois boudé la fête de Krusevo. Pourtant, le 2 août 1903, des représentants slavo-macédoniens, albanais et aroumains avaient ensemble proclamé la République de Krusevo, pari sans lendemain d’une Macédoine véritablement multiethnique. Il y a deux ans, les accords de paix d’Ohrid mettaient fin à plusieurs mois de conflit armé avec la guérilla albanaise de l’ouest de la Macédoine. Les droits constitutionnels de la minorité albanaise ont été largement étendus. Cependant, l’anniversaire d’Ilinden n’aura pas encore fourni l’occasion de voir émerger un sentiment patriotique commun. Les différents peuples de Macédoine acceptent la cohabitation comme un mal nécessaire, en campant chacun sur leurs propres lectures de l’histoire. Et l’Église orthodoxe serbe n’a toujours pas l’intention de laisser pénétrer sur ses terres le moindre «schismatique» macédonien.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 03/08/2003