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Balkans

Élections sans passion dans un Monténégro en crise

La troisième tentative devrait être la bonne. Après deux scrutins présidentiels annulés faute d’une participation suffisante des électeurs, en décembre et février dernier, Filip Vujanovic est à peu près certain de devenir président du Monténégro à l’issue des élections de dimanche. En effet, la loi électorale a été modifiée et la participation de 50 % au moins des inscrits n’est plus requise.
Contrairement aux précédents scrutins, l’opposition n’appelle donc plus au boycott, mais seuls les indépendantistes radicaux de l’Alliance libérale (LSCG) ont envoyé un représentant dans la course, leur président Miodrag Zivkovic. Paradoxalement, certains sympathisants de l’opposition pro-serbe pourraient choisir de voter en faveur de ce dernier, afin d’essayer de contrecarrer la toute-puissance du clan politique qui a mis le Monténégro en coupe réglée depuis le début des années 1990.

Filip Vujanovic est un fidèle de Milo Djukanovic, longtemps président du petit pays, devenu Premier ministre à l’automne dernier, en remplacement de Filip Vujanovic, qui avait alors accédé à la présidence du Parlement ! Milo Djukanovic avait déjà été Premier ministre, avant qu’il ne délègue ce poste à Filip Vujanovic. Cette étrange conception locale du "renouvellement de la classe politique", qui consiste, depuis plus de dix ans, à faire tourner les principales charges de l’État entre les mêmes hommes, n’a guère de chance de motiver les électeurs, d’autant plus que la société monténégrine n’arrive pas à sortir du marasme économique et politique.

Réformes en panne

Depuis que l’euro est devenu monnaie légale au Monténégro, en janvier 2002, les prix ont flambé pour s’aligner sur des niveaux occidentaux, sans que les salaires ne suivent : un fonctionnaire ne gagne en moyenne que 250 à 300 euros par mois. Les réformes radicales, promises par Milo Djukanovic lorsqu’il est devenu Premier ministre, se font toujours attendre et la proclamation de la nouvelle Union de Serbie et Monténégro, en remplacement de la Fédération yougoslave, le 4 février dernier, a achevé de désespérer les indépendantistes.

Le candidat Filip Vujanovic a promis un référendum d’autodétermination au terme de la période «probatoire» de trois ans prévue pour cette nouvelle Union, mais plus personne ne semble croire que la petite République pourra se détacher de la Serbie. Dans le même temps, les institutions abracadabrantes de l’Union compliquent toute politique de réforme : cette Union est en effet censée constituer un seul État, mais les deux Républiques qui composent l’Union dispose de systèmes monétaires et de régimes douaniers différents. Seule conséquence notable de la création de l’Union, le «clan» monténégrin a pu déléguer certains des siens à Belgrade, notamment l’ancien président du Parlement de la petite République, Svetozar Marovic, qui est devenu président de l’Union.

Quant à la lutte contre le crime organisé, qui figurait en bonne place sur la «feuille de route» imposée par l’Union européenne au nouvel État, elle demeure parfaitement virtuelle au Monténégro. À l’automne dernier, le procureur adjoint de la République et de hauts dignitaires du parti au pouvoir ont été directement impliqués dans une affaire de proxénétisme et de trafics d’êtres humains. Depuis, l’affaire a été étouffée, et l’opposition elle-même se garde bien d’attaquer Milo Djukanovic, Filip Vujanovic et leurs proches sur ce terrain.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 10/05/2003