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Balkans

Serbie-Monténégro : destin incertain

Ainsi, la Yougoslavie passe aux placards de l’Histoire. Sans drame, mais sans pompe et enthousiasme non plus. Ce que fût la grande famille des Slaves du sud, réduite à une peau de chagrin après dix ans de guerres, a formellement cessé d’exister le 4 février dernier. Les deux républiques sur les six qui la composaient jadis (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro et Macédoine) forment désormais un nouvel Etat : l’Union de la Serbie et du Monténégro. Un couple séparé de fait depuis quelques années, temporairement sauvé du divorce suite à la pression de l’UE.
De notre correspondante à Belgrade,

La charte constitutionnelle qui régit cette confédération et sa loi d’application a été adoptée le 4 février dernier par le Parlement commun aux deux républiques, après l’adoption du texte la semaine précédente par les Parlements serbe puis monténégrin en application de l’accord de Belgrade signé le 14 mars dernier sous les auspices de l’UE. Rédigée après d’interminables négociations qui ont duré sept mois, réanimée par l’envoyé spécial et ambulancier de l’UE, Javier Solana, à chaque fois qu’elle était au point mort, la charte a été adopté à une large majorité. Le Parti national de peuple monténégrin (SNP), ancien allié de Slobodan Milosevic et le Parti démocratique serbe (DSS) du président Kostunica, ont voté «oui» pour préserver l’Etat commun, alors que la coalition réformiste serbe (DOS) qui soutient le premier ministre Djindjic et le Parti démocratique socialiste (DPS) du premier ministre monténégrin Djukanovic l’ont fait essentiellement pour satisfaire l’UE. Seuls le parti socialiste, l’extrême droite et le parti national serbe du Monténégro ont voté contre. Clamant que «l’on enterrait la Yougoslavie de manière antidémocratique et anticonstitutionnelle». Cela a été plus difficile pour la loi d’application de la charte, car le DSS a voté contre avec l’opposition, arguant notamment que la question de la propriété de l’armée n’a pas été réglée, par ailleurs insatisfait que les députés du Parlement commun seront élus au scrutin indirect.

Le nouvel Etat a été proclamé dix minutes après le vote, par le président du Parlement commun, Micunovic, devant les applaudissements du corps diplomatique. Sans hymne, sans feu d’artifice. Dans l’indifférence générale de la population agacée par le temps passé à régler cette question alors que les préoccupations sont centrées autour du niveau de vie. Selon l’agence AGB, au moment de la transmission en direct à la télévision publique RTS, l’audimat est passé de 25% à 17%. Les téléspectateurs ayant zappé sur les soap opera brésiliens tels «Café à l’odeur de femme» !

Naisssance d'un Frankenstein

«Il n’y a pas de passion concernant cette question, même si l’opinion est divisée, 40% étant satisfaits de la charte et 40% mécontents», nous explique Srdjan Bogosavljevic, de l’institut SMRI. En somme, personne n’a envie de relations conflictuelles avec les Monténégrins, sachant qu’il existe de nombreux liens de famille, et que la langue et la religion sont partagées. «Dans un mois nous aurons de nouvelles institutions et nous pourrons ainsi être admis au Conseil de l’Europe», a promis Micunovic. Ce qui implique un président, un Parlement commun, élu par le parlement serbe et monténégrin, un conseil des ministres chargé des relations économiques avec l’étranger, des relations économiques entre les deux républiques et la protection des droits de l’homme. Quant à l’armée, elle sera dirigée par un Conseil supérieur de la défense qui prendra les décisions par voie de consensus. Tout le reste, y compris la police, les douanes et le système monétaire seront séparés, le Monténégro gardant l’euro et la Serbie le dinar. Sachant qu’il y a une obligation d’harmonisation avec l’UE, la carotte de l’histoire. In fine, le pouvoir sera essentiellement aux mains des gouvernements serbes et monténégrins.

Rares sont les analystes ou diplomates qui sont optimistes quant au fonctionnement de ce nouvel Etat. Aussi est-il qualifié en privé de «Frankenstein» par de nombreux politiques serbes et monténégrins comme par les diplomates occidentaux. Ainsi que de «Solania» -en référence à Javier Solana-, car la solution apparaît comme imposée. «Il n’y avait pas le choix, l’UE voulait à tout prix éviter un référendum d’indépendance au Monténégro car l’opinion y était divisée mais surtout par peur d’un effet domino dans la région», nous rappelle un haut responsable serbe. Soulignant que cela évite ainsi pour le moment de s’occuper de la question du Kosovo et du désir d’indépendance des albanophones, d’ailleurs fort mécontents que le Kosovo ait été considéré dans la charte comme partie intégrante de la Serbie. Mais dans trois ans il faudra remettre à nouveau les cartes sur la table, puisque la charte prévoit l’organisation d’un référendum au Monténégro. Et déjà la majorité monténégrine promet de tout faire pour obtenir l’indépendance.

En attendant, il restera pour beaucoup la nostalgie d’une identité et surtout d’un nom : la Yougoslavie. Dans les cafés belgradois, on était rassuré au moins quant à une chose : il restera des équipes de sport communes, qui porteront désormais un SM pour Serbie-Monténégro sur leurs maillots, à la place du YU. Mais on ne sait pas encore quel hymne ils chanteront, sous quels symboles et quel drapeau. Pour ce dernier on est d’accord sur les couleurs, rouge, blanc, bleu en lignes horizontales, mais c’est la nuance du bleu qui pose problème…



par Milica  Cubrilo

Article publié le 10/02/2003