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Balkans

Biljana Plavsic reconnaît le nettoyage ethnique

L’ancienne dirigeante serbe de Bosnie Biljana Plavsic comparaît à La Haye depuis lundi, en plaidant coupable des crimes contre l’humanité qui lui sont reprochés. Cette comparution pourrait marquer un tournant dans l’histoire du TPI.
De notre correspondant à Belgrade

Biljana Plavsic s’était volontairement constitué prisonnière en 2001. Placée en liberté sous caution, elle a finalement choisi de plaider coupable en octobre dernier. En conséquence, la procédure du Tribunal international ne prévoit pas de procès, mais une simple audience destinée à fixer la peine qu’il convient d’infliger à l’accusée.

Universitaire renommée, spécialiste de biologie, Biljana Plavsic s’engage en politique au moment de l’éclatement de la Fédération yougoslave. Elle rejoint les rangs du Parti démocratique serbe de Bosnie (SDS), la formation ultranationaliste dirigée par Radovan Karadzic. Durant la guerre, elle devient vice-Présidente de la Republika Srpska, l’entité sécessionniste des nationalistes serbes de Bosnie. C’est à ce titre qu’il lui est reproché d’avoir cautionné et même ordonné la politique de «nettoyage ethnique» menée par les milices serbes contre les populations civiles musulmanes ou croates de Bosnie.

Après la signature des accords de paix de Dayton, à l’automne 1995, Biljana Plavsic ne tarde guère à prendre ses distances avec la direction toujours nationaliste du SDS. Menant une aile modérée du parti, elle est élue en 1996 Présidente de la Republika Srpska, en remplacement de Radovan Karadzic, déjà inculpé par le TPI et interdit de toute activité politique. Les témoins qui se sont succédé depuis lundi à la barre du TPI depuis lundi ont tous reconnu le « rôle positif» joué par Biljana Plavsic pour faire accepter aux Serbes de Bosnie les dispositions des accords de Dayton. Cet engagement de Biljana Plavsic lui vaudra d’ailleurs probablement de perdre les élections de 1998. Vilipendée par les nationalistes, qui l’accusent d’être «vendue aux Occidentaux», Biljana Plavsic cesse vite de jouer tout rôle politique, bien qu’elle garde la direction du petit parti modéré formé lorsqu’elle présidait aux destinées de la Republika Srpska. C’est donc une femme isolée, sans grands moyens financiers ni politiques qui a choisi de se rendre au TPI.

L’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright a évoqué, dans sa déposition de mardi, la personnalité «conflictuelle» de Biljana Plavsic, qui voulait respecter les accords de Dayton, tout en s’attachant à essayer de défendre les intérêts de la communauté serbe. Lundi, Milorad Dodik, un modéré qui fut Premier Ministre de Republika Srpska après la guerre, a essayé de démontrer que, dès les années de guerre, Biljana Plavsic s’était éloigné des radicaux de son propre camp. Cette hypothèse demeure difficile à vérifier, car Biljana Plavsic ne rompit ouvertement avec les partisans de Radovan Karadzic qu’en 1996, mais on peut au moins supposer que l’ancienne «dame de fer» serbe s’est fourvoyée en politique, et que les convictions nationalistes qu’elle n’entend pas renier l’ont amené à cautionner les crimes commis contre les civils de Bosnie.

Un effroi qui rend aveugle

Mardi, l’accusée a elle-même essayé d’expliquer son propre parcours. «Pourquoi n'ai-je pas vu la vérité plus tôt ? La raison réside dans le mot effroi, un effroi qui rend aveugle. Poussés par cette obsession de ne plus jamais être réduits à l'état de victimes, nous nous sommes permis de devenir des faiseurs de victimes».

Ce témoignage de Biljana Plavsic, sûrement sincère, constitue un élément important pour comprendre le mécanisme qui a permis à des intellectuels serbes respectables de s’engager dans le délire ultranationaliste. L’engagement de l’accusée en faveur des accords de Dayton et sa décision d’accepter sa culpabilité pourraient amener les juges à faire preuve d’une relative clémence envers une femme âgée de 72 ans, même si la procureure générale Carla Del Ponte a appelé à la rigueur, au nom de l’ampleur des crimes commis. L’écrivain et prix Nobel de la paix Elie Wiesel, qui s’est adressé à la Cour par vidéoconférence lundi, a lui aussi exhorté les juges à considérer «la douleur et la souffrance de toutes les victimes» de la guerre de Bosnie avant de déterminer la peine qui sera infligée à Biljana Plavsic.

Biljana Plavsic plaide coupable de persécutions pour des motifs politiques, raciaux et religieux, ce qui est qualifié de crime contre l’humanité dans l’acte d’accusation. En échange de sa reconnaissance de culpabilité, l’accusation a décidé de ne pas retenir sept autres points, dont celui de génocide.

Biljana Plavsic est la plus importante responsable politique jugée à ce jour par le TPI. Jusqu’à présent, elle a toujours refusé de témoigner au procès en cours de Slobodan Milosevic, mais sa décision de plaider coupable pourrait avoir valeur d’exemple, et marquer un tournant dans l’histoire du TPI, en pointant les responsabilités politiques des crimes commis. À Belgrade et en Republika Srpska, cependant, la majorité de l’opinion considère toujours que la déclaration de culpabilité de Biljana Plavsic n’est que le résultat d’un marchandage avec le TPI.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 18/12/2002