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Balkans

L’ex-Yougoslavie unie dans le trafic d’armes

Les entreprises yougoslaves et bosniaques se trouvent au cœur d’un trafic d’armes, non seulement avec l’Irak mais aussi avec la Libye, le Liberia et la Birmanie. Ainsi, serbes, monténégrins, musulmans et croates ont fait fi de leurs divisions ethniques pour violer ensemble les embargos décrétés par l’ONU, mettant toute la région sur la sellette et provoquant l’ire des américains, mais aussi des britanniques qui dépêchent leur ministre des Affaires étrangères, Jack Straw, à Belgrade et à Sarajevo.
De notre correspondante

Selon nos informations, publiées également par Patriot de Banja Luka, les entreprises de la Republika srpska, l’entité serbe de Bosnie, mais aussi celles de la fédération croato-musulmane, participent avec l’entreprise publique yougoslave Jugoimport, au commerce illicite d’armes. Ainsi, Bratstvo («fraternité» en serbo-croate!) de Novi Travnik, et Unis promeks de Sarajevo fournissent des pièces pour les lance-roquettes de calibre 262 et 122 et des canons; Vitezit de Vitez, en territoire bosniaque contrôlé par les croates, produit du combustible pour les roquettes et des explosifs à usages civil et militaire. Le matériel était destiné à l’Irak, à la Libye, à l’Iran et à la Birmanie, et transitait parfois par la Malaisie.

«Le réseau de trafiquants d’armes avec les pays sous embargo de l’ONU dépasse les frontières politiques et ethniques. Ce n’est pas une criminalité nouvelle mais des liens qui datent d’avant l’éclatement de l’ancienne fédération yougoslave», analyse le représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, Peddie Ashdown. L’implication de ces entreprises apparaît alors que les activités illicites de Jugoimport, qui semble être au cœur du système et détient en Yougoslavie un quasi monopole de l’exportation d’armes, ont été reconnues, au moins partiellement. Les autorités de la Republika Srpska et celles de Belgrade ont en effet admis que Jugoimport et l’institut aéronautique Orao de Bjelina, en Republika srpska, contreviennent aux décisions de l’ONU.

«L’embargo de l’ONU a été violé à plusieurs reprises. Les moteurs de Migs 21 et 23 irakiens ont été réparés, et une coopération technique et militaire poursuivie avec l’Irak», lit-on dans un communiqué du gouvernement yougoslave en date du 31 octobre dernier. Ainsi, on a implicitement reconnu qu’un contrat, que nous nous sommes procurés, a bien été signé en octobre 2000, entre la société irakienne Al Bashair et Jugoimport. Et donc la coopération Belgrade-Bagdad, qui remonte aux années 70, s’est bien poursuivie après la chute du régime de Slobodan Milosevic.

La Yougoslavie peut devenir un Etat paria

Le gouvernement yougoslave a également partiellement reconnu qu’il y a eu exportation d’armes vers le Liberia, autre pays sous embargo de l’ONU. Selon un rapport confidentiel de l’ONU, six avions cargos ont décollé de Belgrade entre juin et fin août derniers et atterri à Monrovia. Les Iliouchine et Lockheed ont, en tout, transporté 200 tonnes d’armes automatiques, grenades, mines, munitions et lance-roquettes pour le compte de la société Temex, également liée à Jugoimport. Celles-ci proviendraient de vieux stocks de l’armée yougoslave. «Je suis au courant pour un avion», a admis le ministre yougoslave de l’Intérieur, Zoran Zivkovic. «Les documents montraient que les armes étaient destinées au Nigeria; nous avons appris plus tard qu’elles ont abouti au Liberia», explique-t-il. D’où l’ire britannique, dont les troupes sont stationnées au Sierra Leone voisin.

«Il est peu probable que l’industrie militaire de l’ex-fédération yougoslave puisse fabriquer de la technologie très avancée», considère Zoran Kusovac, analyste du magazine spécialisé Jane’s Defence Weekly. Sachant que les Etats-Unis ont dans un document informel accusé Jugoimport d’avoir transféré de la technologie à l’Irak, via la Libye, en matière de missiles de croisière. «Cependant, il y a des ingénieurs de très haut niveau qui font des séjours réguliers en Irak et en Libye et une industrie militaire interdépendante qui produit de tout. Sachant que toute usine, depuis l’époque de Tito, est conçue de manière à avoir un double-emploi. Elle peuvent soit produire des armes en permanence soit se convertir rapidement. Par exemple, l’usine Sloboda de Cacak fabrique des aspirateurs, mais elle peut également produire des lance-roquettes et des détonateurs. L’ensemble de ces industrie et expertise peuvent constituer dans de nombreux cas le chaînon manquant pour des pays comme l’Irak ou la Libye».

Jane’s Defence Weekly considère que la Croatie, la Slovénie et la Macédoine pourraient également être impliquées dans le trafic d’armes. «Les investigations vont maintenant se concentrer sur l’équipement et le matériel qui peuvent servir à la fabrication d’armes nucléaires, biologiques et chimiques», lit-on. Une inquiétude que partage l’ICG (International Crisis Group) à Belgrade qui analyse les conséquences sur le plan régional: «Le fait que musulmans, croates et serbes soient impliqués est méritoire d’un point de vue de la coopération inter-ethnique et économique, mais cela souligne aussi que les liens de criminalité dépassent les frontières». Quant aux conséquences pour Belgrade: «Si la réaction n’est pas appropriée, la Yougoslavie peut devenir un Etat paria et perdre l’aide des Etats-Unis, de l’UE, et des institutions financières internationales. L’entrée au Conseil de l’Europe et au sein du Partenariat pour la paix est déjà compromise. Car il n’y a aucun doute que le scandale a porté atteinte à la crédibilité de la Yougoslavie et fait grandir le doute qu’elle peut s’adapter aux régulations internationales». «Notre problème national est que l’on se comporte comme des millionnaires ivres et invincibles, puis on dessoûle et on devient des souris. C’était un mauvais incident et il est réglé», considère le ministre fédéral de l’Intérieur, Zoran Zivkovic. Reste à en convaincre la communauté internationale...



par Milica  Cubrilo

Article publié le 06/11/2002