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Balkans

Crise politique en Serbie

La Serbie n’en est sûrement qu’aux premiers soubresauts de la crise politique ouverte par l’invalidation du scrutin présidentiel de dimanche. L’extrême droite pourrait s’en trouver renforcer.
De notre correspondant

Le Parti démocratique de Serbie (DSS) a annoncé lundi soir la victoire de son candidat, Vojislav Kostunica. Ce dernier l’a en effet largement emporté sur son adversaire, le réformateur Miroljub Labus, mais la participation n’a atteint que 45,5% des électeurs inscrits, loin de la barre des 50%, nécessaires pour valider l’élection. Or, le DSS conteste désormais les listes électorales qui, selon ce parti, comporteraient au moins 600 000 électeurs fictifs. Le DSS donne des exemples: dans la seule agglomération de Belgrade, il y aurait 124 973 électeurs «fictifs».

Les listes électorales n’ont effectivement pas été revues depuis dix ans et comportent toujours nombre de personnes décédées, ainsi que des électeurs qui ne résident plus en Serbie depuis longtemps. Certaines organisations de la diaspora serbe ont d’ailleurs déjà déposé des plaintes auprès de la Commission électorale, soulignant que les électeurs vivant à l’étranger sont toujours inscrits dans leurs communes d’origine, alors qu’ils ne pouvaient pas se déplacer pour le scrutin et qu’ils ne pouvaient pas non plus voter depuis l’étranger, par correspondance ou bien dans les ambassades yougoslaves.

La plainte du DSS a cependant peu de chances d’être entendue: le bon sens exige en effet de contester les listes électorales avant l’élection et non pas après celle-ci. La commission électorale doit rendre son verdict final au plus tard jeudi à 20 heures et l’on ignore quelle sera la réaction du DSS si sa plainte est rejetée. Par contre, après la décision de la commission électorale, il revient normalement à la Présidente du Parlement, Natasa Micic, de fixer la date de nouvelles élections.

D’après la Constitution, les élections doivent avoir lieu au plus tard un mois avant la fin du mandat de l’actuel Président, dont l’échéance est fixée au 5 janvier. Sachant par ailleurs que la loi électorale prévoit une campagne d’au moins 45 jours, les élections pourraient avoir le 1er ou le 8 décembre, à condition qu’elles soient rapidement convoquées.

La commission électorale tout comme le Parlement de Serbie sont entièrement dominés par l’Opposition démocratique de Serbie (DOS), qui regroupe les partisans du Premier ministre de Serbie, Zoran Djindjic, l’ennemi juré de Vojislav Kostunica. Leurs décisions risquent donc d’être autant politiques que constitutionnelles.

Conservateurs contre extrême droite ?

Certains partisans de Zoran Djindjic ont déjà émis des alternatives à la convocation d’un nouveau scrutin. Le porte-parole des députés de la DOS au sein du Parlement de Serbie, Cedomir Jovanovic, a ainsi émis l’idée que le futur Président soit élu par le Parlement. Un changement aussi radical de la Constitution n’a pratiquement aucune chance d’être accepté dans le contexte de la crise actuelle. Mais cette idée avait sûrement pour but de «tester» l’opinion publique.

En fait, un grand désarroi semble régner dans le camp des partisans de Zoran Djindjic. Le ministre fédéral des Minorités nationales, Rasim Ljajic, a résumé la situation politique: il est bien peu probable, selon lui, que la DOS puisse trouver un nouveau candidat crédible pour des élections qui auraient lieu en décembre. Dans le même temps, la crise politique ne profite qu’au leader de l’extrême droite nationaliste, Vojislav Seselj, qui milite déjà pour devenir le candidat commun de «toute l’opposition». Le scénario d’une élection opposant Vojislav Kostunica à Vojislav Seselj est donc le plus probable.

Kostunica à nouveau candidat commun de toute l’ancienne opposition, réunifiée face à la menace de Vojislav Seselj ? Encore faudrait-il pour cela qu’un véritable compromis soit passé entre les frères ennemis de cette ancienne opposition. Il y a quelques mois, les partisans de Zoran Djindjic ont réussi le tour de force de retirer au DSS tous ses mandats parlementaires. La cour constitutionnelle doit se prononcer prochainement sur ce que les partisans de Vojislav Kostunica qualifient de «putsch parlementaire». Rasim Ljajic, pourtant proche de Zoran Djindjic, le reconnaît sans ambages: «c’est un véritable non-sens politique et juridique que le parti dont le candidat a obtenu deux millions de voix n’ait aucun représentant au sein du Parlement, ni dans les autres institutions», a-t-il déclaré.

L’invalidation de l’élection présidentielle n’était déjà pas un signe de stabilisation politique du pays. La crise politique dans laquelle se trouve plongée la Serbie pourrait avoir les pires conséquences, remettant notamment en cause l’évolution des discussions constitutionnelles avec le Monténégro. Si un compromis n’est pas rapidement trouvé, la cote de popularité de Vojislav Seselj pourrait en effet très vite remonter.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 17/10/2002