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Balkans

Retour en force des nationalistes en Bosnie

Les électeurs bosniaques étaient convoqués samedi à des élections générales, les quatrièmes depuis la fin de la guerre. Pour la première fois cependant, le scrutin était directement organisé par les autorités bosniaques, et non plus par la communauté internationale. Selon des résultats encore partiels, les trois partis nationalistes effectuent un retour en force triomphal. Les trois sièges de la présidence centrale seront occupés par des représentants de ces trois formations.
De notre envoyé spécial

Les opérations de dépouillement se sont prolongées toute la journée de dimanche, car le scrutin était particulièrement compliqué. Les électeurs devaient en effet élire les députés de pas moins de trois Parlements: celui de l’Etat de Bosnie, et ceux des deux «entités» qui composent ce pays toujours divisé, la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska. Ils devaient également désigner les membres des assemblées de canton de la Fédération –une unité administrative qui n’existe pas en Republika Srpska– sans oublier les trois membres de la Présidence collégiale tournante de la Bosnie, un Serbe, un Croate et un Bosniaque musulman.

Malgré l’importance de l’enjeu, les électeurs se sont très peu mobilisés: la participation n’atteind que 55% des inscrits, contre 64% lors des précédentes élections générales, il y a deux ans. Cette faible participation, surtout dans les villes, a directement désavantagé les formations réformistes et anti-nationalistes, qui essuient un échec sans appel, au profit des trois partis nationalistes, le SDA musulman, le SDS serbe et le HDZ croate.

En Republika Srpska, le SDS manquerait de peu la majorité absolue que certains sondages lui prédisaient. Il est vrai que la formation créée par Radovan Karadzic, le fugitif toujours recherché par le Tribunal international de La Haye, n’a jamais vraiment quitté le devant de la scène. Les dirigeants actuels du SDS essaient de donner une image plus modérée au parti, mais sans renoncer à un nationalisme intransigeant, ni à la volonté de développer les relations entre l’entité serbe de Bosnie et la Serbie elle-même.

Sans surprise, les nationalistes croates du HDZ obtiennent également un triomphe en Herzégovine, puisque leur candidat à la présidence collégiale, Dragan Covic, recueillerait selon des résultats partiels, entre 70 et 84% des voix de la communauté croate.

L'argumentaire pro-européen n'a pas convaincu

Les formations modérées sont donc largement mises hors-jeu côté serbe, comme côté croate. Depuis plusieurs années, la communauté internationale n’avait pourtant pas ménagé ses efforts pour essayer de faire apparaître des alternatives à ces formations nationalistes. Même chez les musulmans bosniaques, le SDA, la formation longtemps dirigée par Alija Izetbegovic, effectue un retour en force triomphal. Ce résultat est donc un échec cinglant pour l’Alliance pour les changements, la coalition réformiste constituée autour du Parti social-démocrate (SDP), qui avait conquis le pouvoir il y a deux ans. Avant même que les résultats définitifs ne soient publiés, le haut représentant international en Bosnie, Paddy Ashdown s’est pourtant voulu rassurant, en démentant que le nationalisme se renforce en Bosnie.

À Sarajevo, les analystes politiques ont vite fait les comptes: situation économique catastrophique, inefficacité des institutions, incompétence et corruption de la classe politique. Le chômage touche en effet près de 40% de la population active du pays, et les salaires moyens restent compris entre 220 et 330 euros. «Rien d’étonnant à ce que les électeurs se soient, faute de mieux, réfugiés une fois de plus dans un vote identitaire», explique ainsi un journaliste du quotidien Oslobodjenje, qui reconnaît que le bilan de deux années de gestion social-démocrate n’est guère brillant: «il y a eu beaucoup de promesses, mais guère de concrétisations. Les électeurs n’ont pas cru à l’argumentaire pro-européen du SDP». Il convient aussi d’ajouter que les élites politiques du pays n’ont jamais osé s’engager dans une véritable politique de réconciliation nationale, permettant de tourner la page de la guerre.

Les forces réformistes n’ont guère qu’un motif de satisfaction: même en se coalisant, les trois partis nationalistes auront du mal à contrôler, seuls, les institutions bosniaques, ainsi que l’a expliqué, dès dimanche, le leader des sociaux-démocrates, Zlatko Lagumdzija. Cette situation risque pourtant d’avoir pour seule conséquence d’amener les dirigeants nationalistes à se concentrer sur les deux «entités», au détriment de l’Etat commun de Bosnie, qui ressort plus faible que jamais de ces élections.

Ecouter également
Thierry Parisot journaliste à RFI au micro de Christophe Jousset (7/10/2002, 4'20)



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 07/10/2002