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Balkans

Serbie: la transition économique au cœur de la campagne électorale

Entre les deux principaux candidats à l’élection présidentielle serbe de dimanche, la partie se jouera largement sur le terrain des réformes économiques. Le vice-Premier Ministre Miroljub Labus est un réformateur libéral qui veut accélérer le rythme de la transition économique. Vojislav Kostunica, l’actuel Président fédéral yougoslave, met en garde sur les risques sociaux de cette politique et accuse son rival d’être prêt à “brader le pays”.
De notre correspondant dans les Balkans

Kovacica est une petite ville de Voïvodine, la –relativement– riche province du nord de la Serbie. Kovacica est un fief du Parti démocratique de Zoran Djindjic, et la mairie est restée aux mains de l’opposition durant presque toute la période Milosevic. Le maire actuel, Miroslav Krisan, un jeune homme de 34 ans, s’adresse indifféremment à ses administrés en serbe, en slovaque, en hongrois et en roumain : “je porte un nom roumain, mais mon père est serbe, et ma mère slovaque, tout comme mon épouse. Et je vis dans un quartier principalement hongrois”, explique-t-il. La mosaïque ethnique qui caractérise la commune, comme d’ailleurs l’ensemble de la Voïvodine, explique probablement pourquoi ses habitants ont toujours rejeté le nationalisme serbe, maintenant incarné par Vojislav Kostunica.

La principale usine de la ville est une sucrerie, car la Voïvodine est une grande productrice de betterave à sucre. La privatisation des industries sucrières représente le second dossier en importance des privatisations menées depuis deux ans, après celles des industries du ciment. Dans l’usine Jedinstvo de Kovacica, la campagne annuelle de récolte et de traitement de la betterave à sucre vient de commencer. L’usine vient pourtant d’être achetée par le groupe serbe MK Comerc, au prix très symbolique de trois euros!

Etrangement, le plus enthousiaste défenseur de cette privatisation n’est autre que le président du syndicat de l’usine, Jan Mercek. “Bien sûr, au début, nous avons été humiliés par ce prix de trois euros”, explique-t-il, “mais il faut savoir que le groupe MK Comerc a aussi racheté les dettes de l’entreprise, et surtout qu’il s’est engagé à ne licencier aucun des 352 salariés, et à respecter durant cinq ans un plan d’investissement ambitieux et plan social très contraignant”. Le maire de Kovacica confirme que les dettes de l’entreprise s’élèveraient à 1,5 millions d’euros, et que le plan d’investissement serait garanti par les banques à hauteur de 5,5 millions d’euros. “Quelle alternative avions-nous à cette proposition?” demande-t-il.

Les conditions de la privatisation sont opaques

Tout le monde reconnaît pourtant que l’entreprise est fonctionnelle, que l’outil de travail a été bien entretenu et régulièrement modernisé. Le directeur technique de l’usine, Dusan Stojanovic, apporte une précision sur les dettes: “elles ont été calculées au 31 décembre 2001, à un moment où n’avions pas payé les coopératives agricoles pour les fournitures de matière première. En réalité, l’entreprise n’a aucune dette”. Deux autres sucreries de Voïvodine, en plus mauvais état, viennent d’être racheté par un consortium italien au prix respectif de 1,5 et de 3 millions d’euros.

Le propriétaire du groupe MK Comerc, Miodrag Kostic, a un long passé politique, puisqu’il a été directeur administratif du Parti démocratique de Zoran Djindjic durant les années 1990. Le maire reconnaît que l’investisseur est toujours membre du parti, mais prétend à peine le connaître.

L’appel d’offre s’est déroulé dans des conditions singulières, puisque seul MK Comerc s’est porté candidat et qu’aucun prix minimum n’a été fixé pour le rachat de l’entreprise. Le groupe MK Comerc se livre au commerce du sucre depuis des années, mais ne s’était encore jamais engagé dans la production sucrière.

Le directeur technique de l’usine énumère les possibilités : “MK Comerc a peut-être l’opportunité de constituer un conglomérat sucrier qui deviendrait compétitif. Pourtant, le sucre que nous produisons revient au minimum à 31 dinars le kilo. Le sucre que MK Comerc importe de l’Union européenne ne coûte que 24 dinars le kilo. Peut-être Miodrag Kostic compte-t-il sur ses amitiés politiques pour faire passer une loi qui protègerait la production nationale…”

Un salarié de l’entreprise qui tient à garder l’anonymat ne décolère pas contre le syndicat qui, estime-t-il, “n’a jamais appris à lutter pour défendre les salariés”. Quant aux habitants de Kovacica, ils s’apprêtent sûrement à voter encore une fois pour le candidat réformateur, mais les arguments de ceux qui dénoncent le “bradage” de la Serbie pourraient aussi trouver chez eux un écho plus important.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 27/09/2002