Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Balkans

Elections à hauts risques en Macédoine

Plus d’un an après la conclusion des accords de paix d’Ohrid (août 2001), les électeurs de Macédoine votent dimanche lors d’élections législatives cruciales. Dans ce petit pays, toujours écartelé entre la majorité macédonienne et la forte minorité albanaise (au moins 25% de la population totale), le choix des électeurs pourrait décider de la guerre ou de la paix.
De notre correspondant dans les Balkans

Jeudi matin, un policier macédonien a été tué par des inconnus dans le village de Bogovina, non loin de Tetovo, dans les zones majoritairement albanaises du pays. Ce nouveau meurtre fait suite à une assez longue série d’incidents similaires: le 27 août, deux policiers étaient abattus à Tetovo, et six civils macédoniens étaient pris en otages par des Albanais. La guérilla albanaise de l’UCK s’est officiellement auto-dissoute en septembre 2001, mais d’autres groupes armés albanais se sont fait connaître, et ces incidents à répétition pourraient également relever d’une stratégie de provocation ourdie par ceux qui voudraient empêcher le bon déroulement du scrutin.

Selon la plupart des observateurs, le parti nationaliste macédonien VMRO-DPMNE, au pouvoir depuis 1998, devrait en effet être balayé au profit de l’opposition social-démocrate. Le bilan du Premier ministre Ljupco Georgieveski est accablant: l’économie est ruinée, le pays a failli sombrer dans la guerre civile il y a un an, et la corruption atteint des sommets inégalés. Derniers scandales en date révélés par la presse macédonienne d’opposition: la Banque centrale du pays aurait détourné 20 millions de dollars pour financer la campagne électorale du pouvoir, et des appartements serait généreusement distribués aux hommes des «Lions de Macédoine», cette unité paramilitaire rattachée à la police, qui fait office de véritable garde prétorienne du VMRO-DPMNE.

Des incidents paraissent inévitables

Dans le camp albanais, la partie va essentiellement se jouer entre le Parti démocratique albanais (PDSh) et l’Union pour l’intégration démocratique (BDI), la formation créée par les anciens guérilleros de l’UCK. Le PDSh participe à un gouvernement de coalition avec le VMRO-DPMNE depuis 1998, et les accusations de corruption se sont également multipliées à l’encontre des dirigeants du parti. Une bonne part de l’opinion albanaise accuse le PDSh d’avoir trahi les intérêts nationaux albanais, et pourrait se rallier aux anciens guérilleros.

Paradoxalement, le PDSh mène campagne en faisant surenchère sur les thèmes nationalistes, tandis que le BDI insiste sur le respect des accords de paix d’Ohrid, l’intégration pacifique des Albanais en Macédoine, et l’intégration du pays en Europe. S’ils l’emportaient, le VMRO-DPMNE et le PDSh ont déjà annoncé qu’ils reconduirait l’accord de coalition qui les unit depuis 1998, tandis qu’aucun parti politique macédonien n’a officiellement engagé de pourparlers avec le BDI. Bien au contraire, le ministre de l’Intérieur, Ljube Boskovski, un «faucon» du VMRO-DPMNE, a promis l’arrestation d’Ali Ahmeti, l’ancien porte-parole de la guérilla et actuel chef du BDI.

Ali Ahmeti a en effet été inculpé de crimes contre l’humanité et de génocide à la fin du mois d’août par un tribunal de Skopje. Les accords de paix d’Ohrid prévoyaient une amnistie pour les anciens guérilleros, mais le crime de génocide a justement été exclu du champ de l’amnistie. L’inculpation d’Ali Ahmeti ressemble cependant avant tout à une provocation supplémentaire du VMRO-DPMNE. Risquant de perdre le pouvoir, cette formation pourrait choisir de multiplier les incidents et les provocations, dans le but éventuel d’obtenir une annulation du scrutin.

Les élections de dimanche seront attentivement suivies par la communauté internationale, même si l’OSCE ne prévoit que 800 observateurs étrangers, alors que plus de 3200 bureaux seront ouverts dans le pays. Personne ne semble envisager que le scrutin puisse se dérouler sans incidents, mais reste à savoir si la violence connaîtra une escalade suffisamment grave pour annuler les élections.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 13/09/2002