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Balkans

Paix incertaine en Macédoine

Un an après les accords de paix d’Ohrid, la Macédoine hésite toujours entre la guerre et la paix. Les élections générales prévues pour le 15 septembre devraient permettre d’achever le processus politique prévu par les accords, mais les plus fortes tensions se situent maintenant à l’intérieur de la communauté albanaise, entre les formations politiques traditionnelles et le nouveau parti issu de la guérilla de l’UCK.
De notre correspondant dans les Balkans

À quarante ans, Faton Sherifi a connu plusieurs vies. En 1981, étudiant de français à l’Université de Pristina au Kosovo, il participe aux manifestations albanaises qui secouent la province. Il parvient à obtenir une bourse d’études en France. «Si je n’étais pas parti, j’aurais sûrement connu la prison, comme beaucoup de jeunes de ma génération». Faton décide de rester à l’étranger, et trouve un emploi dans un restaurant de Genève. De retour en Macédoine à la fin des années 1980, il devient professeur de français dans une école primaire d’un village des environs de Tetovo.

Faton est un militant du Parti démocratique albanais (PDSh) d’Arben Xhaferi, la principale formation albanaise de Macédoine, dont le leadership est désormais menacé par l’Union pour l’intégration démocratique (BDI), le parti créé par Ali Ahmeti, l’ancien porte-parole de la guérilla. En 1998, le PDSh entre en coalition avec le VMRO-DPMNE, la droite nationaliste macédonienne. Cette alliance contre-nature se solde par un juteux partage des postes. Faton devient directeur du marketing du complexe de Popova Sapka, un grand centre de ski situé près des sommets du Sar Planina, les montagnes qui séparent Tetovo du Kosovo.

Le site est superbe, les installations de remonte-pente en bon état, mais le parc hôtelier aurait demandé une sérieuse rénovation, impossible à entreprendre faute d’argent. «Nous avons essayé de développer le tourisme et de rendre le site attractif», explique Faton. En mars 2001, les hôtels affichaient complets, lorsque la guerre a éclaté dans la région de Tetovo. En quelques jours, il a fallu évacuer tous les touristes, tandis que le site devenait une base de l’armée et de la police macédoniennes.

Durant cette période sombre, Faton a dû chercher une nouvelle source de revenus. Il prend en gérance un restaurant dans la ville de Gostivar. Le calcul est mauvais, car les clients sont plus que rares en cette période troublée. «Je n’avais pas envie de prendre le fusil, mais comme presque tous les Albanais de Tetovo, je soutenais l’UCK. Dans mon quartier, nous nous sommes concertés, et 90% des gens étaient prêts à aider la guérilla».

La communauté albanaise traversée par de violents conflits

Les accords de paix d’Ohrid, en août 2001, vont offrir une nouvelle opportunité professionnelle à Faton, qui devient interprète du contingent militaire français. C’est à ce titre qu’il peut visiter une première fois le complexe de Popova Sapka. «Les hôtels ont été entièrement saccagés par la police, les pertes s’élèvent à plusieurs centaines de milliers d’euros». Depuis le début du mois de juillet, la société de Faton a pu rouvrir le restaurant établi au départ du téléphérique qui, depuis Tetovo, mène vers le site de Popova Sapka, toujours occupé par la police et l’armée.

Faton ne veut guère parler de politique. Les accords d’Ohrid assurent des droits constitutionnels étendus aux Albanais de Macédoine, mais la communauté est désormais traversée par de violents conflits entre les anciens partis politiques et la nouvelle formation créée par la guérilla, qui propose un plan ambitieux de lutte contre les mafias et la corruption. «Certains quartiers de Tetovo commencent à ressembler au Bronx ou à la Colombie», estime un journaliste local, qui s’attend à une recrudescence de la violence politique inter-albanaise à l’approche des élections générales du 15 septembre.

Faton préfère parler de l’avenir des relations entre Macédoniens et Albanais. «Je suis citoyen de ce pays, et je veux élever mes enfants dans le double sentiment de leur identité albanaise et macédonienne», explique-t-il, «mais mon fils de deux ans a peur à la simple vue d’un uniforme macédonien». Faton fait le calcul suivant : «en ce moment, 90% des Albanais et des Macédoniens sont incapables de se supporter mutuellement», même si lui même se range dans les 10% restants.

Faton veut parier sur un retour à des règles normales de coexistence. Mais l’une de ses filles pourrait-elle se marier à un Macédonien ? «Cela m’étonnerait beaucoup que ma fille aînée puisse tomber amoureuse d’un Macédonien. Si cela se produisait tout de même, je ferais tout pour la ramener à la raison. Comme n’importe quel père de famille, je veux que ma fille soit heureuse, et je sais qu’un tel mariage serait forcément condamné à brève échéance, car il ne serait jamais accepté par aucune des deux communautés».



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 12/08/2002